C’est le produit phare du congrès Aids 2024. Le lénacapavir de Gilead, cet inhibiteur de capside du VIH, administré par injection deux fois par an, montre une efficace de 100 % en préexposition chez les femmes cis, selon l’essai de phase 3 Purpose 1 du laboratoire. Les résultats ont été présentés ce 24 juillet à Munich au congrès et publiés en parallèle dans The New England Journal of Medicine.
Les femmes cis représentent près de la moitié du 1,3 million de personnes nouvellement infectées par le VIH chaque année. Si 6 millions de personnes sont sous emtricitabine-ténofovir disoproxil (Truvada) depuis 2012 (date de son approbation par l’Agence américaine du médicament, la FDA), le recours à la prophylaxie préexposition (Prep) reste limité chez les femmes. Et en 2024, l’incidence du VIH dans ce groupe en Afrique du Sud reste supérieure à 3,5 pour 100 personnes-années.
Alors que le lénacapavir est déjà autorisé notamment en Europe pour des adultes infectés par une souche multirésistante de VIH-1, Purpose 1 teste son application en prévention. L’essai en double aveugle, randomisé, contrôlé de phase 3 a recruté 5 338 jeunes femmes de 16 à 25 ans en Afrique du Sud et en Ouganda, séronégatives à l’inclusion. Les participantes ont été réparties en trois groupes (selon un ratio 2:2:1) : le premier a reçu du lénacapavir toutes les 26 semaines en sous-cutané ; le second de l’emtricitabine-ténofovir alafénamide (F/TAF, Descovy de Gilead), un comprimé oral, chaque jour ; et le dernier, le groupe contrôle, l’emtricitabine-ténofovir disoproxil (F/TDF, Truvada, Gilead aussi).
Adhésion au schéma d’injection
Au total, 55 infections au VIH ont été recensées, parmi les 5 338 participants. Mais aucune, chez les 2 134 femmes du groupe lénacapavir. Quelque 39 infections sont survenues dans le groupe F/TAF (sur 2 136 participantes, soit 2,02 pour 100 personnes années) et 16 chez les femmes sous F/TDF (sur 1 068 membres, soit 1,69 pour 100 personnes années).
Quant à l’incidence du VIH en population générale (mesurée à partir d’un groupe de 8 094 participants, observés mais non recrutés, car il ne serait pas éthique de les mettre sous placebo), elle est de 2,41 pour 100 personnes-années.
L’incidence du VIH sous lénacapavir était donc significativement inférieure à celle de l’incidence en population générale ou avec Truvada. A contrario, l’incidence sous Descovy n’était pas significativement différente de celle de la population générale, ni de celle sous Truvada. En outre, l’adhésion à la Prep orale était faible tandis que 92 % des femmes ont respecté le schéma des injections, malgré les réactions au site d’injection (attendues et fréquentes).
L’efficacité du lénacapavir a été telle que l’essai a été arrêté précocement. « L’essai Purpose 1 illustre non seulement que les femmes peuvent respecter ce planning d’administration mais aussi que les niveaux d'un inhibiteur de la capside du VIH-1 peuvent rester suffisamment élevés sur une période de six mois pour prévenir de manière fiable l’infection », commentent dans un éditorial associé, la Pr Rochelle Walensky, ex-directrice des Centers for Disease Control and Prevention américains (CDC) et le Dr Lindsey Baden, tous deux de la Harvard Kennedy School of Government and Harvard Business School. « Alors que l’utilisation de la Prep est sous-optimale, notamment chez les femmes en Afrique, les femmes de couleur aux États-Unis et les migrants dans de nombreux territoires, le lénacapavir apparaît comme une option efficace et discrète », conclut l’étude.
Un défi moral et financier
« Avoir une Prep extrêmement efficace est une grande nouvelle pour la science, mais pas (encore) pour les femmes », écrivent la Pr Walensky et le Dr Baden, soulignant qu’au-delà de l’efficacité, l’enjeu est sa distribution sur le terrain, alors que le lénacapavir coûte annuellement près de 43 000 dollars par personne aux États-Unis.
« S’il est approuvé et dispensé rapidement, à un coût abordable et équitablement, à ceux qui en ont besoin ou le souhaitent, cet outil à action prolongée pourrait contribuer à accélérer les progrès mondiaux en matière de prévention du VIH », a salué la présidente du congrès Sharon Lewin, faisant part de son intérêt pour les résultats à venir de Purpose 2, qui teste le lénacapavir dans d’autres groupes à risque (hommes cis, trans, non binaires, hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes…).
Dans le sillage du plaidoyer de la directrice de l’Onusida, Winnie Byanyima, une coalition internationale d’acteurs non gouvernementaux, dont Médecins sans frontières (MSF), demande à Gilead de partager la licence du lénacapavir à travers le mécanisme du Medecines Patent Pool, appuyé par l'Organisation des Nations unies, afin d’obtenir des génériques qui coûteraient d’abord 100 dollars par personne par an, puis 40 dollars, alors que la demande augmenterait. « Le lénacapavir changera la donne s’il est accessible dans les pays qui affichent le plus fort taux de nouvelles infections », comme la Russie, le Brésil, les Philippines, l’Ukraine ou encore la Thaïlande, pour l’heure exclus des accords envisagés par le laboratoire, a dénoncé la Dr Helen Bygrave, responsable à MSF.
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