L'antiviral molnupiravir (commercialisé sous le nom de Lagevrio, par Merck, appelé MSD à l'international, hors États-Unis et Canada) pourrait provoquer des mutations du Sars-CoV-2 et participer à l’évolution de nouveaux variants, avertissent des chercheurs.
Le traitement est conçu pour entraîner des mutations dans le génome du virus lors de la réplication. Ce processus (nommé « error catastrophe ») contribue à sa destruction par accumulation de mutations. Mais chez des patients qui ne guériraient pas complètement, « il pourrait y avoir un risque de transmission ultérieure de virus mutés par le molnupiravir », écrivent-ils dans Nature.
Une signature spécifique des mutations induites
Mis sur le marché en 2021, le molnupiravir était le premier médicament oral disponible dans la lutte contre le Covid, à un moment où l’arsenal thérapeutique reposait sur les vaccins ou des traitements par voie intraveineuse. Dès son arrivée, certains spécialistes avaient émis des craintes sur la sécurité de son mode d’emploi, en raison de son mode d’action. Ainsi, si l’agence américaine du médicament (FDA) l’avait approuvé, la Haute Autorité de santé (HAS) l'avait écarté. Le laboratoire a par ailleurs retiré sa demande d'autorisation de commercialisation en juin auprès de l'Agence européenne du médicament.
Pour mettre au jour un lien potentiel entre l’antiviral et des mutations du Sars-CoV-2, les chercheurs britanniques et sud-africains* se sont appuyés sur la base mondiale de données de séquençage, Gisaid, dans l’optique de cartographier les mutations au fil du temps. Ils ont ainsi pu identifier des événements mutationnels qui semblaient très différents des modèles typiques des mutations du Covid.
« Une classe spécifique de longues branches phylogénétiques, caractérisées par une forte proportion de mutations G-to-A et C-to-T, apparaît presque exclusivement dans des séquences à partir de 2022, après l'introduction du traitement par molnupiravir, et dans les pays et les groupes d’âge où l’usage de l’antiviral est répandu », relèvent-ils. Dans les données anglaises, au moins 30 % des événements mutationnels impliqueraient l'utilisation de molnupiravir, selon eux.
Ces événements sont porteurs d’une « signature » avec des mutations sur des séquences particulières du génome. Et les chercheurs ont établi une correspondance étroite entre la signature observée dans ces événements mutationnels et celle lors des essais cliniques sur le molnupiravir. Ils ont également observé de petits groupes de mutations suggérant une transmission ultérieure d’une personne à une autre.
« Ce que nous avons découvert, c’est que chez certains patients, le mode d’action du molnupiravir ne tue pas tous les virus et que certains éléments mutés peuvent se propager, résume Christopher Ruis, du département de médecine de l'Université de Cambridge, dernier auteur de l’étude. Il est important d’en tenir compte lors de l’évaluation des bénéfices et des risques globaux du molnupiravir et des médicaments similaires. »
Ces conclusions ont été rejetées par Merck. Selon le laboratoire américain, l'étude ne met en avant qu'une corrélation sans permettre d'affirmer un lien de cause à effet entre son traitement et ces mutations. Les auteurs se basent sur des « associations circonstancielles », a indiqué le groupe à l'AFP.
Un traitement à utiliser avec prudence
Les résultats sont pourtant salués par certains experts. Le virologue Stephen Griffin, de l’université de Leeds, juge ce travail « bien mené et d'une importance exceptionnelle ». Le schéma d’évolution observé se produit généralement chez des patients immunodéprimés, réclamant plusieurs cycles d’antiviraux pour être traités, rappelle-t-il auprès du Science Media Center (SMC) britannique. « Le fait que ces lignées virales mutées aient été détectées signifie que, plutôt que de tuer le virus, le molnupiravir a en fait contribué à l'évolution du virus qui a ensuite pu se propager, c'est-à-dire qu'il n'a induit ni erreurs mortelles ni en nombre suffisant pour rendre le virus non viable », indique-t-il. Comme les auteurs de l'étude, il insiste sur un point : les mutations repérées ne semblent pas, en elles-mêmes, avoir été particulièrement dangereuses ou contagieuses.
Ces résultats ne signifient pas pour autant que le molnupiravir doit être complètement abandonné. « Dans certaines circonstances tendues », il pourrait être « très utile pour favoriser la résilience des systèmes, car il aide clairement les gens à guérir plus rapidement et à réduire la charge virale », souligne le Pr Chris Butler, de l’université d'Oxford, sur le SMC. Avant d’avertir : « Nous ne devons pas commettre les mêmes erreurs que celles que nous avons commises avec les antibiotiques, lorsque nous les avons utilisés à grande échelle avant de procéder à des essais pour déterminer qui en profite réellement et quelles pourraient être les conséquences en cas de résistance aux antibiotiques. »
*Du Francis Crick Institute, de l'Université de Cambridge, de l'Imperial College de Londres, de l'Université de Liverpool, de l'Université du Cap et de l'agence sanitaire britannique (UKHSA).
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