Opposition au brevet du sofosbuvir, deuxième round ! Une trentaine d'associations originaires de 17 pays, dont Médecin du Monde, Médecins sans Frontières, AIDES et l’Alliance européenne, a déposé ce lundi un dossier d'opposition à l'un des deux brevets accordés par l'OEB (Office européen des brevets) au laboratoire Gilead pour le sofosbuvir (Sovaldi), médicament contre l'hépatite C. Cette nouvelle procédure concerne cette fois la pro-drogue. Les associations entendent faire de cette action un emblème du combat pour l'accès aux traitements innovants à des prix abordables. Décryptage.
Le brevet attaqué par Médecin du Monde est-il le même que celui déjà en partie remis en cause par l'OEB en octobre dernier ?
Non. Le sofosbuvir est en fait protégé par 2 brevets différents. Le premier, obtenu en juin 2014, protège la prodrug, c’est-à-dire la combinaison du composant de base et d'une molécule permettant son absorption et sa métabolisation, tandis que le second, obtenu en juin 2016, ne concerne que le composant de base. La première demande déposée par Médecin du Monde, à laquelle l'OEB a répondu en octobre, concernait le premier brevet. L'Office européen avait maintenu le brevet sous une forme modifiée : un des 3 stéréo-isomères contenus dans le brevet, le PSI-7851, mais plus les deux autres, le PSI-7977 et le PSI-7976.
Qu'est-ce qui est reproché au brevet de Gilead ?
Les reproches formulés à l'encontre de la pro-drogue sont les mêmes que ceux qui figuraient dans la première demande ciblant le composant de base, à savoir une description insuffisante des stéréo-isomères et un critère d'inventivité non rempli. « L'état des lieux de la connaissance scientifique au moment du dépôt du brevet aurait permis à n'importe quel homme du métier de mettre au point cette molécule », décrypte auprès du « Quotidien » Olivier Maguet, responsable de la campagne « Prix du médicament et systèmes de santé », et un des artisans de la contestation. « Le laboratoire n'est pas en mesure de prouver qu'il a apporté une véritable plus-value », poursuit-il.
Sur quoi se basent les plaignants pour affirmer le manque d'inventivité de Gilead ?
En octobre dernier, l'OEB n'a pas seulement exclu une partie des énantiomères du sofosbuvir du brevet, il a également modifié la date de priorité à partir de laquelle le brevet s'applique. Cette dernière n'est plus le 30 mars 2007 mais le 24 octobre 2007. Ce changement est très important, puisque le brevet commence désormais après la présentation de résultats communiqués lors du 14e symposium international sur l'hépatite C qui s'est tenu à Glasgow, en septembre 2007. Plinio Perrone, de l'université de Cardiff, y avait en effet présenté en poster les résultats de ses travaux sur la mise au point et la synthèse d'une nouvelle prodrogue efficace contre le virus de l'hépatite C : le futur sofosbuvir. « Si la chambre de recours de l'OEB va jusqu'au bout du raisonnement, le critère d'inventivité du brevet de Gilead devrait également tomber », affirme Olivier Maguet.
Le brevet du sofosbuvir peut-il véritablement être annulé ?
Difficilement. Pour cela, il faudrait que les deux brevets déposés par le laboratoire soient annulés par l'OEB. Le laboratoire et Médecin du Monde ont tous les deux fait appel de la décision d'octobre dernier portant sur le composant de base, alors que commencent tout juste les auditions pour la nouvelle demande concernant la pro-drogue. L'ensemble de la procédure devrait prendre au moins 2 ans.
Est-ce que cela pourrait hâter l'arrivée de versions génériques du sofosbuvir en France ?
C'est peu probable. La nouvelle association pangénotypique de Gilead Epclusa (sofosbuvir et velpatasvir) sera disponible bien avant que les décisions définitives de l'OEB soient connues, et les observateurs s'accordent pour dire que le gros des patients sera traité, moyennant un effort de dépistage.
Rappelons toutefois que, contrairement au Zepatier (MSD) et à Exviera et Viekirax (AbbVie), les deux spécialités de Gilead contenant du sofosbuvir (Sovaldi et Harvoni) sont toujours restreintes aux patients présentant des stades de fibroses F3 ou supérieur, et à condition qu'une réunion de concertation pluridisciplinaire donne son accord. Des conditions de restriction qui ont largement fait débat. Malgré ces restrictions, il reste un élément important de la réponse au VHC puisqu’il est le seul à être recommandé dans les 4 génotypes par la Haute Autorité de santé.
Quel message cherchent à faire passer les associations ?
Pour Olivier Maguet, au-delà du cas des traitements de l'hépatite C, la démarche de Médecin du Monde veut surtout exploiter ce cas singulier pour attirer l'attention des politiques de santé sur la fragilité des brevets de traitement pourtant de plus en plus coûteux. « Nous ne sommes pas contre les brevets, se défend-il, mais les laboratoires se retrouvent piégés dans une logique où ils doivent dépenser des sommes importantes pour acquérir des start-up [Gilead a déboursé 11 milliards d'euros pour acquérir Pharmasset, firme qui a mis au point le sofosbuvir NDLR], et déposent très rapidement des brevets bancals. Il faut que les gouvernements prennent leur responsabilité maintenant, car le problème se pose de plus en plus avec, notamment avec les nouveaux traitements contre le cancer. »
Les associations défendent l'idée du recours à la licence d'office, autorisée par la loi de 1968. « Les parlementaires, les industriels, les patients et le comité économique de produits de santé, doivent se mettent autour de la table pour redéfinir un mode de fixation des prix, si l'on ne veut pas avoir à imposer un rationnement dans le mélanome, ou le cancer du poumon », conclut Olivier Maguet.
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