CONTRIBUTION - La Haute Autorité de santé a publié en juin 2018 des recommandations de bonnes pratiques concernant la prise en charge de la borréliose de Lyme ou maladie de Lyme. Ces recommandations définissent en particulier la symptomatologie/syndrome persistant(e) après possible piqûre de tique (SPPT) et proposent une prise en charge standardisée articulée autour de centres hospitaliers régionaux spécialisés ayant établi des relations étroites avec des médecins de ville. Il s’agit de répondre à un enjeu de santé publique majeur, c’est-à-dire de lutter contre l’errance médicale, réduire les délais de prise en charge et surtout éviter les prescriptions médicamenteuses inappropriées chez les patients ayant recours au système de soins pour des symptômes polymorphes mal expliqués.
La rédaction de cette tribune a été motivée par la prise en charge récente dans notre hôpital (centre de référence pour les toxidermies graves) d’une patiente d’une quarantaine d’années (l’accord de la patiente a été obtenu avant publication de cet article) pour un syndrome de Lyell (ou nécrolyse épidermique toxique), une toxidermie grave se caractérisant par un décollement étendu de l’épiderme et des muqueuses pouvant conduire au décès [1].
Un cocktail de six anti-infectieux
Cette femme, professeure des écoles, ayant pour principaux antécédents un érythème migrant traité par doxycycline sept ans auparavant (selon les recommandations en vigueur à l’époque) et un herpès génital récurrent, présentait depuis huit mois des douleurs articulaires mécaniques, des épisodes d’asthénie et des intolérances alimentaires mal définies. Le diagnostic de maladie de Lyme disséminée tardive avait été suspecté et une association large d’anti-infectieux était prescrite environ trois semaines avant l’admission, associant praziquantel, ivermectine, cotrimoxazole, fluconazole, rovamycine, desloratadine, ainsi que de l’homéopathie.
Deux semaines après le début de ce traitement, la patiente développait des érosions buccales avec un exanthème maculopapuleux fébrile. Des bulles extensives ont conduit au diagnostic de syndrome de Lyell 48 heures plus tard. L’imputabilité intrinsèque (chronologie) était retenue pour le cotrimoxazole, le fluconazole et la rovamycine, mais l’imputabilité extrinsèque (notoriété du médicament) penchait plutôt en faveur de celle du cotrimoxazole, médicament à haut risque de syndrome de Lyell [2,3].
Quinze jours de réanimation pour une sérologie Lyme négative
La patiente a été hospitalisée en dermatologie puis rapidement transférée en réanimation pour défaillance respiratoire. La surface cutanée décollée maximale était de 35 % et était associée à une atteinte oculaire, laryngée, trachéobronchique et œsophagienne étendues. Après quinze jours de réanimation et un séjour hospitalier total d’un mois, la patiente rentrait au domicile avec une peau épidermisée et des érosions muqueuses en voie de cicatrisation. La sérologie maladie de Lyme (test ELISA) était négative en IgG et IgM.
Un quart des toxidermies évitables
Les syndromes de Stevens-Johnson (SJS) et de Lyell sont d’origine médicamenteuse dans 85 % des cas : ils constituent la forme la plus grave de toxidermie. La mortalité globale en phase aiguë est de 15 %, mais peut atteindre 40 %. Plus de la moitié des patients gardent des séquelles notamment oculaires, cutanées, et psychiques à long terme impactant significativement la qualité de vie [4]. La majorité des SJS/Lyell sont induits par des médicaments à haut risque, dont le cotrimoxazole [3]. Cependant, une étude française a montré que près de 25 % des cas sont évitables, car liés à un usage inapproprié des médicaments : indication inappropriée, reprise malgré un antécédent d’allergie, ou automédication. Au premier rang des indications inappropriées, on retrouve l’allopurinol, et le cotrimoxazole [5]. Pour notre patiente, il s’agissait bien de la prescription de plusieurs médicaments, dont au moins un considéré à haut risque, pour une suspicion d’infection à Borrelia non documentée, survenue après sept ans d’intervalle libre de tout symptôme depuis l’épisode de l’érythème migrant, et hors respect des recommandations de la HAS, qui a abouti à la survenue d’un syndrome de Lyell.
Triptyque pour la maladie de Lyme
Le diagnostic d’une borréliose de Lyme active repose sur un triptyque :
- Une exposition claire aux piqûres de tique : ici prouvée puisqu’il y un antécédent d’érythème migrant,
- Une présentation clinique compatible : ici peu probable devant des signes cliniques aspécifiques et des douleurs articulaires multiples d’horaire mécanique, contrairement à la borréliose de Lyme articulaire où dans plus de 90 % des cas il s’agit d’une monoarthrite. De plus, les signes cliniques sont survenus après plusieurs années d’intervalle libre de tout symptôme après le traitement de l’érythème migrant,
- Une sérologie positive en ELISA confirmée par Western-Blot : ici la sérologie était négative, ce qui est très rare dans les formes disséminées tardives, en dehors des grands immunodéprimés. Il est à noter, que même si la sérologie avait été positive chez notre patiente, la clinique étant peu évocatrice, ce diagnostic de borréliose de Lyme serait aussi resté incertain. Une sérologie positive est un marqueur de rencontre avec Borrelia, et de fabrication d’anticorps, mais pas un marqueur d’activité de la maladie. La clinique est au premier plan.
Une antibiothérapie d'épreuve pendant 28 jours
Par ailleurs, le traitement repose sur des recommandations nationales (HAS, 2018 ; et conférence de consensus des sociétés savantes, 2019 [6]), similaires à celles européennes et internationales. Le diagnostic d’une borréliose de Lyme est parfois difficile, puisque pouvant mimer de nombreuses autres pathologies. C’est pourquoi en cas de suspicion diagnostique forte, malgré un triptyque incomplet, les recommandations HAS recommandent d’avoir recours à une antibiothérapie d’épreuve par doxycycline pendant 28 jours maximum. Ces recommandations mettent néanmoins l’accent sur les points suivants :
- Toute antibiothérapie d’épreuve excédant 28 jours doit être prescrite uniquement dans le cadre de protocoles de recherche validés par un comité d’éthique de protection des personnes.
- En cas d’absence d’amélioration des symptômes à 3 semaines, l’antibiothérapie ne doit pas être reconduite compte tenu d’un risque d’effets secondaires estimé supérieur aux hypothétiques bénéfices attendus pour le patient.
À ce jour, il n’est pas décrit de résistance acquise de Borrelia aux antibiotiques et cinq études randomisées ont montré l’absence de supériorité d’une antibiothérapie de plus d’un mois, l’absence d’intérêt des associations thérapeutiques, ainsi que les effets secondaires potentiellement graves auxquels pouvaient être exposés les patients en cas d’antibiothérapie prolongée.
La doxycycline, molécule la plus efficace per os
Les deux molécules les plus efficaces et donc les plus utilisées pour le traitement de la borréliose de Lyme sont la doxycycline, per os, et la ceftriaxone, intraveineuse. Il est à noter que la patiente n’a reçu aucune de ces deux molécules dans son traitement comportant des associations multiples. Le praziquantel et l’ivermectine sont des antiparasitaires inefficaces sur Borrelia. Le fluconazole est un antifongique inefficace sur Borrelia, probablement prescrit pour éviter les mycoses secondaires aux anti-infectieux. La rovamycine est moyennement efficace sur Borrelia et constitue un traitement de seconde intention en cas d’allergie sévère. On lui préférera l’azithromycine, de la famille des macrolides également, mais avec moins d’effets secondaires. Enfin, le cotrimoxazole n’est pas recommandé dans les infections à Borrelia car peu efficace, et devant être utilisé uniquement pour des infections documentées et en l’absence d’autres alternatives compte-tenu des effets secondaires potentiellement graves (cf. fiche Vidal).
Enfin, les tiques pouvant transmettre d’autres pathogènes (Anaplasma, Rickettsia etc.), l’hypothèse de co-infections (rares avec Borrelia) ou d’autres maladies vectorielles à tiques est systématiquement soulevée dans la prise en charge de ces patients mais là encore, la clinique est parlante avec des signes biologiques souvent évidents. En cas de traitement anti-infectieux d’épreuve, c’est aussi la doxycycline qui est le premier choix.
Balance bénéfices/risques
En pathologie infectieuse, comme plus généralement en médecine, le traitement proposé au patient doit reposer sur une balance favorable entre les bénéfices attendus et les risques potentiels. Si les risques sont heureusement rares mais souvent imprévisibles pour de nombreux médicaments, les bénéfices doivent être établis consciencieusement et honnêtement grâce à des données scientifiques valides et reproductibles, et doivent être constamment réévalués et mis à jour à la lumière de nouvelles données. C’est le fondement de la médecine moderne scientifique, idéalement basée sur les preuves. Les sociétés savantes et autres institutions médicales régionales, nationales et internationales, émettent ainsi, suivant une méthodologie consensuelle, des avis basés sur des niveaux de preuves définis avec des forces de recommandations variables [7].
Le non-respect de ces recommandations implique en premier lieu les patients, à la fois perdants et victimes d’un jeu de dupe dans lequel ils sont exposés le plus souvent à leur insu et sans en connaître les règles, comme l’illustre cette histoire clinique. Le doute sur le meilleur traitement à proposer doit toujours bénéficier au patient et s’appuyer sur des données scientifiques. La règle du « primum non nocere » (d’abord ne pas nuire) prévaut. Les aléas thérapeutiques doivent être discutés honnêtement avec le patient. L’inconnu doit rester dans le domaine de la recherche médicale qui inscrit cette incertitude dans un cadre réglementaire structurellement le plus protecteur des patients [8].
C’est grâce à la promotion de la recherche, au maintien de l’honnêteté scientifique de chaque praticien devant les connaissances médicales actualisées et du respect de la confiance des patients qui nous est accordée à chaque consultation, que ce type d’évènement pourra être évité.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par des intervenants extérieurs. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
Références :
[1] Duong TA, Valeyrie-Allanore L, Wolkenstein P, Chosidow O. Severe cutaneous adverse reactions to drugs. Lancet 2017;390:1996–2011.
[2] Arimone Y, Bidault I, Dutertre J-P, Gérardin M, Guy C, Haramburu F, et al. Updating the French method for the causality assessment of adverse drug reactions. Therapie 2013;68:69–76.
[3] Mockenhaupt M, Viboud C, Dunant A, Naldi L, Halevy S, Bouwes Bavinck JN, et al. Stevens-Johnson syndrome and toxic epidermal necrolysis: assessment of medication risks with emphasis on recently marketed drugs. The EuroSCAR-study. J Invest Dermatol 2008;128:35–44.
[4] Ingen-Housz-Oro S, Alves A, Colin A, Ouedraogo R, Layese R, Canoui-Poitrine F, et al. Health-related quality of life and long-term sequelae in survivors of epidermal necrolysis: an observational study of 57 patients. Br J Dermatol 2020;182:916–26.
[5] Chaby G, Valeyrie-Allanore L, Duong TA, Lebrun-Vignes B, Milpied B, Sassolas B, et al. Severe cutaneous adverse reactions due to inappropriate medication use. Br J Dermatol 2018;179:329–36.
[6] Gocko X, Lenormand C, Lemogne C, Bouiller K, Gehanno J-F, Rabaud C, et al. Lyme borreliosis and other tick-borne diseases. Guidelines from the French scientific societies. Med Mal Infect 2019;49:296–317.
[7] Brozek JL, Canelo-Aybar C, Akl EA, Bowen JM, Bucher J, Chiu WA, et al. GRADE Guidelines 30: The GRADE Approach to Assessing the Certainty of Modelled Evidence - an Overview in the Context of Health Decision-making. J Clin Epidemiol 2020. https://doi.org/10.1016/j.jclinepi.2020.09.018.
[8] Harris IA, Naylor JM. Double standards in clinical practice ethics. Med J Aust 2014;200:76.
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