Prévu dans la première feuille de route interministérielle de lutte contre l’antibiorésistance, un programme prioritaire de recherche (PPR) a été mis en place le 1er octobre 2020. Quatre ans et 11 projets de recherche financés plus tard, plusieurs responsables présentent leurs résultats intermédiaires. Le timing est bien choisi : moins d’un mois après la publication de la deuxième feuille de route (2024-2034), des négociations ont commencé pour décider de son financement, et donc de la pérennité de ces projets.
Projet touchant le plus du doigt la pratique clinique, NAILR (pour Novel Anti-Infectives with Limited Resistance) est porté par les chercheurs de l’université Rennes 1, avec pour but la mise au point de peptides antimicrobiens et l’étude des synergies possibles entre cette nouvelle classe de molécules et les traitements antibiotiques. Les chercheurs concentrent leurs efforts sur les hepta-pseudopeptides, des antimicrobiens synthétisés naturellement par des bactéries, servant à éliminer la concurrence ou à maintenir des caractéristiques génétiques associées au gène codant pour la fabrication de l'antitoxine.
Le gros avantage des peptides antimicrobiens est que le risque d’émergence de résistance est très faible
Pr Vincent Cattoir
Bactériologiste au CHU de Rennes
Des peptides bactériens antimicrobiens
La collaboration entre biologistes et chimistes a d’ores et déjà permis d’isoler un peptide toxique produit par le staphylocoque doré. Les scientifiques s'en sont servi pour créer puis breveter un pseudo-peptide, c’est-à-dire un peptide modifié, plus stable, moins toxique et plus actif que le peptide d’origine. « Nous l'avons cyclisé pour le rendre plus court et facile à synthétiser, précise le Pr Vincent Cattoir, bactériologiste au CHU de Rennes. Nous avons constaté une activité sur différents types de cellules bactériennes. »
Six axes de travail sont développés en parallèle par les six partenaires du projet, à commencer par l’identification des bactéries sensibles à ces peptides antibactériens, la compréhension de son mode d'action et l’évaluation du risque de résistance : « le gros avantage de ces peptides est que le risque d’émergence de résistance est très faible, se réjouit le Pr Cattoir. Lors de nos tests in vitro, il a fallu exposer des bactéries à ce peptide pendant plusieurs semaines pour que certaines s’adaptent un petit peu ».
Les chercheurs ne peuvent à ce stade que formuler des conjectures pour expliquer pourquoi des résistances n'apparaissent pas. « On suppose que cela peut être lié au fait que le mode d'action est tellement rapide que les bactéries n'ont pas le temps de mobiliser un mécanisme d'adaptation », avance le bactériologiste. Autre hypothèse : ces peptides auraient plusieurs modes d'action. « Ces peptides sont efficaces à la fois contre des bactéries Gram+ et Gram-, précise le Pr Cattoir. Or les membranes de ces deux types de bactéries sont tellement différentes que l'on pense qu'il y a deux modes d'action très différents. »
Des tests sur un modèle murin sont en cours, de même que des études d’impact sur le microbiote. Un autre axe de recherche concerne l'environnement et la persistance du peptide dans l'environnement. « Selon nos données, ces produits s’hydrolysent dans l'environnement et disparaissent à hauteur de 50 % au bout de 15 jours, rassure le Pr Cattoir. Le reste se fixe dans les sédiments. »
Dans deux ou trois ans, nous devrions être en mesure de fournir des chiffres français de présence de bactéries résistantes dans l’environnement
Pr Marie-Cécile Ploy
Bactériologiste au CHU de Limoges
Fédérer les chercheurs autour du One Health
Afin de mener des programmes de recherche, le méta-réseau de recherche Promise a été mis en place à partir de 2021. Selon son animatrice principale, la Pr Marie-Cécile Ploy, cheffe du service Bactériologie-virologie-hygiène au CHU de Limoges, « il était nécessaire de structurer la recherche en France sur les thématiques One Health ». Le premier chantier des acteurs rassemblés par Promise est la définition d’indicateurs communs pour la recherche et la quantification de l’antibiorésistance dans l’environnement. « Si on cherche des bactéries résistantes dans l’environnement ou les eaux de rivière, nous allons en trouver, explique la Pr Ploy. Mais nous n'aurons pas plus d’information sur leur impact réel. »

Un protocole adopté par cinq laboratoires de recherche est en cours de reconnaissance par l’Association française de normalisation (Afnor). « Dans deux ou trois ans, nous devrions être en mesure de fournir des chiffres français de présence de bactéries résistantes dans l’environnement », se réjouit la Pr Ploy. Des travaux similaires ont également été commencés au sein du réseau européen Eionet (European Environment Information and Observation Network). Mais la pérennité de Promise n’est pas assurée. Le réseau a reçu 1,4 million d’euros sur trois ans dans le cadre du PPR, avec en sus une rallonge d’une année. « On ne sait pas ce qui se passera dans un an », craint la Pr Ploy.
Le séquençage des souches bactériennes permettrait d’anticiper des échecs de traitement et de déterminer quelle concentration minimale inhibitrice employer
Séquencer plus pour diagnostiquer mieux
Également présent au congrès de Lille, Philippe Glaser (directeur de l’unité Écologie et évolution de la résistance aux antibiotiques de l’Institut Pasteur) a présenté les premières étapes du projet Seq2DiAg d’utilisation diagnostique du séquençage des espèces bactériennes Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae et Pseudomonas aeruginosa.
« Les laboratoires des CHU utilisent déjà le séquençage pour la surveillance épidémiologique, explique-t-il. Avec la baisse de prix et du temps nécessaire pour un séquençage, nous anticipons le jour où il sera cliniquement pertinent de s’en servir pour rechercher des résistances ou des sensibilités aux antibiotiques. » Du point de vue du clinicien, le séquençage des souches prélevées chez le patient permettrait, en théorie, d’anticiper des échecs de traitement et de déterminer quelle concentration minimale inhibitrice employer.
Les chercheurs ont accumulé des collections de souches bactériennes à la sensibilité connue pour 24 antibiotiques différents. En alimentant une intelligence artificielle avec ces données et les résultats du séquençage, les scientifiques espèrent obtenir un outil de diagnostic fiable. Une phase d’expérimentation démarre. Le nouvel outil est mis en situation « pseudo-réelle » pour comparer la vitesse et l’exactitude du diagnostic obtenu sur des cas cliniques déjà résolus par rapport à une prise en charge standard basée sur des antibiogrammes.
« Il existe une grande diversité de mécanismes de résistance et un important polymorphisme au sein des trois espèces que nous étudions », explique Philippe Glaser. Le chercheur parie cependant qu’il est possible de prédire l’effet de nouvelles mutations, grâce à la connaissance de la fonction des gènes qu’elles affectent et en utilisant l’IA et d’autres outils intégrant des modèles d’apprentissage. « Notre projet est financé sur cinq ans, avec une prolongation d’une 6e année, explique-t-il. Au bout de cette période, nous n’avons pas la prétention de prétendre proposer une solution clé en main pour les laboratoires hospitaliers. Nous aurons besoin d’un nouveau projet pour le faire évoluer dans le domaine clinique. »
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