Récent retraité en Bretagne à 72 ans après une carrière de généraliste dans le canton de Noisy le Grand-Gournay et un mandat de conseiller ordinal, le Dr Dominique Blondel a répondu à l’appel aux soignants volontaires (#RenfortsCovid) avec un but double : ne pas se soustraire à sa mission de médecin tout en préservant sa propre santé (« avec une comorbidité, face à un ennemi invisible, j’ai pensé que je pouvais être plus efficace pour mes confrères, vivant que mort »). Il a choisi d’assurer des périodes de régulation au centre 15, « un métier qui ne s’improvise pas ».
Pour le Dr Blondel, comme pour beaucoup de médecins, tout a basculé le 23 mars avec l’annonce du premier décès d’un médecin urgentiste de 67 ans qui s’était porté volontaire pour aider au service d’urgences de Compiègne. Si le ministère de la Santé a annoncé ce décès, par la suite aucune communication n’a eu lieu. En effet, le Directeur Général de la Santé avait annoncé début mars : « Les données concernant des cas individuels ne sont pas rendues publiques et la « profession » n’est heureusement pas « donnée obligatoire » sur les avis de décès et sur les registres épidémiologiques. Le secret médical permet de conserver l’anonymat des patients, quelle que soit leur profession. »
Déstabilisé par cette « omerta » alors même que, sur les réseaux sociaux des noms et des chiffres circulaient et que dans d’autres pays, la communication était plus ouverte (177 décès en Italie, 48 en Espagne, 129 en Russie, 21 dans la région de Wuhan…), le Dr Blondel a tenté de réunir des données françaises (en l’absence de données centralisées par le ministère de la Santé et les ARS). « Je me suis tourné vers la presse nationale, régionale, spécialisée, les réseaux sociaux et vers les amicales communales ou cantonales qui ont été réactivées car les médecins ont très vite éprouvé le besoin de communiquer. » Il a recueilli ces données qui ont été publiées dans son mémoire du DIU « Soigner les soignants ». « Au total, entre mars et juin 2020, au moins 33 médecins en exercice sont décédés. 15 % d’entre eux exerçaient en Seine Saint Denis, mon département, c’est pour cette raison que j’ai choisi de travailler sur l’enchevêtrement des évènements qui ont conduit à ces décès », explique-t-il.
Comme l’explique le Dr Blondel, « les 33 médecins actifs recensés (3 étant en cumul emploi-retraite) étaient âgés en moyenne de 67 ans. Il s’agissait d’homme dans 97 % des cas. Les généralistes étaient surreprésentés (19), suivi des urgentistes (3). 26 % étaient salariés, 74 % libéraux. Ne figurent pas dans l’étude la vingtaine de médecins retraités CARMF décédés de la Covid-19 ».
Contaminés avant le 17 mars
Quelles étaient les particularités des cinq médecins, tous généralistes libéraux âgés de 61 à 83 ans, exerçant en Seine Saint-Denis (département le plus touché, suivi des Yvelines avec 3 décès, et des Hauts de Seine, Val de Marne et Val d’Oise avec 2 décès chacun) ? « Presque tous les médecins de Seine Saint-Denis décédés ont été contaminés avant le 17 mars (début du confinement) », précise le Dr Blondel.
L’activité des médecins et leur risque d’infection pendant la première vague, ont été analysés par le Conseil Départemental de Seine Saint-Denis sur 1 438 des 5 189 médecins inscrits : 85 % d’entre eux ont exercé pendant la période de confinement dont 70 % avec une activité correspondant à 50 % ou plus de leur activité habituelle (en particulier grâce à la télémédecine). 322 des 1 438 médecins ont déclaré avoir été malades pendant la crise sanitaire, 176 (21,7 %) ont dû être mis en arrêt de travail (en moyenne pour moins de 14 jours), 22 ont subi un Covid long (plus d’un mois d’arrêt) et 34 ont été hospitalisés (2,3 %). Le nombre des hospitalisations dans cette cohorte de médecin était plus élevé que celui attendu : 34 contre 27 (si on utilise un facteur 0,036 comme facteur de risque d’hospitalisation, risque majoré de 26 %). Le taux de décès pour sa part se situait dans les chiffres attendus (5 pour une estimation de 5,2 % avec un taux de 0,007 %).
L’ensemble du département de la Seine Saint-Denis a connu une surmortalité du fait d’un taux de contamination particulièrement important dans ce territoire défavorisé où vivent beaucoup de famille nombreuses dans des petits logements. « Le département de Seine-Saint-Denis a été submergé par un tsunami de contaminations dans la semaine qui a précédé le confinement. Les professionnels de santé étaient alors tous mobilisés. L’offre de soins était assurée malgré la réelle pénurie de soignants. Les quatre médecins généralistes libéraux décédés ont travaillé avec conscience professionnelle. , » observe le médecin jeune retraité.
Pour expliquer les autres facteurs de risque de contamination des soignants dans ce département – qui est le plus jeune de France métropolitaine — le Dr Dominique Blondel retient au moins sept causes : une surexposition professionnelle au virus, un contact avec des patients jeunes contaminés mais souvent asymptomatiques, un défaut de protections individuelles adaptées pour l’examen rapproché des patients, des locaux professionnels inadaptés pour recevoir des patients en période épidémique, une diffusion virale maximale dans la période de pré confinement dans des quartiers ou des villes où la population est plutôt jeune et où les médecins ont plus de 60 ans, une densité urbaine particulièrement forte et une absence de distanciation sociale possible dans des transports en commun imposés à plusieurs millions de voyageurs pour se rendre au travail. « Travailler dans ces conditions a exposé les cinq médecins libéraux à une pression virale qui a eu raison de leur engagement », conclut le Dr Blondel.
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