PAR LE Dr RICHARD MACREZ ET LES Prs CARINE ALI ET DENIS VIVIEN
SCHÉMATIQUEMENT, LORS d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, l’obstruction vasculaire entraîne une chute drastique du débit sanguin cérébral dans la région située en aval. Cela conduit à l’initiation de la cascade ischémique, ensemble de processus délétères incluant des phénomènes nécrotiques, apoptotiques et inflammatoires. Les neurones en souffrance vont se dépolariser et libérer des quantités importantes de glutamate (principal neurotransmetteur excitateur), lequel, en se fixant notamment sur les récepteurs ionotropiques de type NMDA (N-methyl-D-asparate), va entraîner une accumulation toxique de calcium dans les neurones : c’est la mort neuronale excitotoxique. On estime à 2 millions le nombre de neurones qui meurent chaque minute lors d’un AVC.
A ce jour, le seul traitement de l’AVC ischémique (lié à la formation locale d’un thrombus ou à la migration d’un embole), est l’administration d’un agent thrombolytique : l’activateur tissulaire du plasminogène (tPA), dont l’objectif est de favoriser la reperfusion (restauration de l’apport en oxygène et en glucose en rétablissant le flux sanguin) du tissu cérébral. Cette stratégie de thrombolyse, autorisée depuis 1996 aux États-Unis et 2002 en France, consiste en une injection intraveineuse, et ce, dans un cadre clinique strict (unité neurovasculaire) après imagerie cérébrale (scanner ou IRM pour diagnostiquer la nature ischémique de l’AVC), avec d’importants critères d’exclusions, cela dans une fenêtre thérapeutique très étroite (dans les 4 h 30 suivant l’apparition des symptômes). Elle peut s’accompagner d’un risque de transformation hémorragique symptomatique, limité par les critères d’exclusions adoptés. L’ensemble de ces règles d’administration du rtPA (Actilyse), exclut sur le territoire Français, près de 95 % des patients d’un traitement de la phase aiguë des AVC.
Malgré les effets bénéfiques indéniables du rtPA associés à la thrombolyse vasculaire (pour 30 % des patients traités), de nombreuses études expérimentales suggèrent que des effets délétères du tPA, de par sa capacité à franchir la barrière hémato-encéphalique, limitent le bénéfice global de cette thérapie. Ces effets néfastes du tPA exogène sont des risques hémorragiques établis en clinique et des risques proneurotoxiques démontrés chez l’animal. Par ailleurs, il a été montré que le tPA endogène produit par les cellules cérébrales en souffrance aggrave les lésions excitotoxiques ou ischémiques.
Notre équipe, Inserm UMR-S U919, a pu disséquer le mécanisme d’action du tPA dans cette cascade ischémique. De manière non suspectée, nous avons démontré que cette sérine protéase extracellulaire pouvait interagir avec, puis cliver la sous-unité GluN1 du récepteur NMDA, au niveau de l’arginine en position 260 du domaine amino-terminal (ATD-GLuN1). Ce clivage conduit alors à une augmentation neurotoxique de l’influx calcique associée à l’activation du récepteur NMDA. Le tPA est donc maintenant identifié comme un modulateur positif de la neurotransmission glutamatergique, proneurotoxique en conditions ischémiques, en dépit de son action bénéfique en termes de reperfusion.
La mise en évidence de ce mécanisme d’action délétère du tPA nous a permis d’envisager plusieurs stratégies thérapeutiques pour augmenter le nombre de patients éligibles à la thrombolyse et/ou pour limiter les effets délétères du tPA (endogène et/ou exogène). Parmi elles, l’immunothérapie ciblant l’interaction tPA-récepteur NMDA fait partie des stratégies les plus prometteuses.
En partant du constat de l’interaction tPA-ATD-GluN1 du récepteur NMDA et de l’identification du site exact d’interaction et de clivage, notre hypothèse de travail a été qu’un anticorps ciblant spécifiquement cette région critique devrait empêcher le tPA de se lier à ce récepteur et donc, d’exercer son effet proexcitotoxique, cela sans affecter ni les propriétés fondamentales du récepteur NMDA ni l’activité thrombolytique vasculaire du tPA.
Nous avons donc développé une stratégie d’immunothérapie passive, par injection intraveineuse d’anticorps purifiés, dirigés contre l’ATD-GluN1, seuls ou en même temps que la thrombolyse. L’enjeu majeur est ici de proposer des anticorps médicaments susceptibles de bloquer les effets délétères du tPA pour les patients éligibles ou non à la thrombolyse et ainsi d’étendre la fenêtre thérapeutique d’utilisation du tPA.
Protéger le tissu cérébral des lésions ischémiques.
Nous avons ainsi montré que ces anticorps étaient capables de reconnaître l’ATD-GluN1, aussi bien chez le rongeur que chez l’homme, et de bloquer in vitro, sur des modèles d’excitotoxicité, les effets pro-neurotoxiques du tPA. In vivo, ces anticorps sont capables de franchir la barrière hémato-encéphalique (BHE ; IRM et imagerie proche infrarouge). L’injection intraveineuse de ces anticorps diminue très significativement la cascade d’événements moléculaires participant à l’altération de la BHE lors d’un AVC (diminution de la perméabilisation de la BHE et de l’activation des métalloprotéinases). Dans un modèle d’ischémie thrombo-embolique chez la souris, une seule injection intraveineuse de ces anticorps, seuls ou associés au tPA, dans ou en dehors de la fenêtre thérapeutique, protège le tissu cérébral des lésions ischémiques, et ce durablement. Cette protection s’accompagne d’une récupération fonctionnelle (tests neurologiques) importante et durable (80 % après 3 mois).
En théorie, l’anticorps pourrait être prescrit à 100 % des patients, parce que même ceux chez lesquels l’injection de rtPA est contre-indiquée ont une production endogène de tPA qui, avec le temps, exerce un effet délétère sur les neurones. Par ailleurs, l’anticorps pourrait permettre d’élargir la fenêtre d’indication thérapeutique du rtPA au-delà de 4 h 30 sans craindre d’effets délétères sur les neurones. Néanmoins, le traitement de l’infarctus cérébral est une course contre la montre, donc plus l’anticorps sera injecté tôt, mieux ce sera.
Cette approche s’inscrit donc dans l’espoir de repousser les limites de l’injection de rtPA en préservant les neurones des effets délétères du tPA, pour que plus de patients puissent bénéficier d’un traitement.
*INSERM UMR-S U919 "serine proteases and pathophysiology of the neurovascular unit" - SP2U Université Caen Basse-Normandie, Caen. Contact: macrez@cyceron.fr
D’ici la fin de l’année ou le début de l’année 2013, nous aurons terminé de caractériser l’anticorps monoclonal potentiellement injectable chez l’homme. Les essais cliniques pourront alors commencer. L’anticorps est sous brevet international porté par l’Inserm, la licence est signée avec un industriel avec lequel nous avons des accords jusqu’à commercialisation. Ces travaux font également l’objet de deux publications originales dans le journal Stroke et d’une revue dans Lancet Neurology.
Macrez R et coll. Stroke 2010;41(12):2950-5.
Macrez R et coll. Lancet Neurology 2011;10(5):471-480.
Macrez R et coll. Stroke 2011;42(8):2315-22.
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