Les questions des internautes du Quotidien du Médecin :
En médecine générale de ville, quelles sont les antibios qu'il ne faut pas prescrire ?
Réponse du Pr Antoine Andremont : Je ne suis pas favorable à se focaliser sur un antibiotique en particulier. Ce qu’il faut c’est éliminer tous les traitements qui ne sont pas nécessaires.
Réponse du Pr Olivier Patey : Il existe actuellement un mésusage des antibiotiques à la fois sur le plan quantitatif et qualitatif.
Les actions doivent être doubles, en utilisant l'antibiothérapie à bon escient, c'est à dire uniquement en cas d'infection bactérienne prouvée ou probable et non dans les infections virales, mais également en incitant les prescripteurs à se conformer aux recommandations des sociétés savantes dont l'expertise est reconnue dans ce domaine et qui sont malheureusement mal connues.
La priorité n'est-elle pas de lutter contre l'usage des antibiotiques en médecine vétérinaire ?
Pr Andremont : Il faut en même temps cibler toutes les consommations humaines, vétérinaires et en élevage.
Pr Patey : On connaît l’importance des consommations antibiotiques chez l'homme et son rôle dans l'antibiorésistance ; la France est plutôt mal placée dans ce domaine. Les actions doivent être multiples et coordonnées, touchant à la fois la médecine humaine et la médecine vétérinaire. N'oublions pas le rôle de la mondialisation avec la circulation simultanée des hommes et des bactéries.
Quels verrous faut-il faire sauter pour permettre le développement de la phagothérapie ?
Pr Andremont : Il faut s’assurer d’abord de l’innocuité de ce type de traitement car le premier devoir médical est de ne pas nuire aux patients, puis de l’efficacité potentielle de ce type de traitement lors d’essai cliniques soigneusement contrôlés. Clairement on ne dispose pas à ce jour de suffisamment d’informations sur ces deux points essentiels. En outre personne n’est actuellement capable de dire si l’utilisation des bactériophages de façon importante chez des patients porteurs de bactéries résistantes ne peut pas être en elle-même un facteur de dissémination de ces résistantes car les bactériophages sont des vecteurs connus de la dissémination génique. L’impact collectif potentiel de ces pratiques doit être évalué. A ce jour, toute utilisation des bactériophages en dehors du strict cadre de la réglementation en vigueur en France, et d’autorisations données par l’ANSM, doit évidemment être prohibée et serait hautement répréhensible. Les graves déboires qui ont suivis en France l’utilisation inappropriée de produits biologiques (je pense au sang contaminé) ou de médicaments (je pense au mediator) doivent rester en mémoire.
Pr Patey : La phagothérapie est utilisée dans le monde depuis près de 100 ans. Si elle ne l'est plus aujourd'hui à l' »Ouest », c'est parce qu'elle a été remplacée par les antibiotiques avec les progrès que nous connaissons mais aussi le développement de l’antibiorésistance aboutissant à des impasses thérapeutiques. Elle continue à être utilisée dans les pays de l’Est, de l'ex bloc soviétique sans conséquence notable néfaste connue sur la santé, même si on peut manquer de données de pharmacovigilance « moderne » dans ces pays. Son efficacité est certaine et plusieurs patients ont pu en bénéficier récemment dans certains pays européens dont la France. Un des obstacles majeurs est la réglementation, car il s'agit d'un biomédicament de réintroduction récente devant passer par les différentes phases réglementaires ; notons qu'il n'existe pas à ce jour de textes règlementaires spécifiques pour les phages. Les produits hors union européenne (les seuls disponibles) ne peuvent donc être officiellement utilisés. Par ailleurs, les phages, produit naturel, ne sont pas brevetables ; ils n’intéressent donc pas l'industrie pharmaceutique ; les financements restent à ce jour très insuffisants et l'investissement des Pouvoirs Publics quel que soit le pays européen est nul ou encore très insuffisant comme en France. Nous sommes donc soit en face d'impasses thérapeutiques, soit de tourisme médical vers les pays de l'Est qui sont en train de se développer et posent des questions éthiques et d'inégalité devant la Santé.
Les produits en cours de validation sont des cocktails fixes de bactériophages qui ne répondent que partiellement à la demande ; une production personnalisée est indispensable dans un certain nombre de cas, posant des problèmes techniques et surtout de coût actuellement.
Une coopération nationale et internationale sont indispensables pour créer une banque de phages permettant d'avoir un panel de phage important pour les différentes espèces bactériennes.
La lutte en France contre l'antibiothérapie peut-elle s'inspirer d'exemples étrangers probants (je pense aux pays scandinaves ou aux États-Unis…) ?
Pr Andremont : Les pays du Nord de l’Europe consomment effectivement beaucoup moins d’antibiotiques que nous tant en médécine humaine que vétérinaire et élevage. Ce sont de bons exemples. Les pratiques ne sont actuellement pas plus vertueuses aux Etats-Unis qu’en France et il n’y a pas beaucoup à y apprendre. En revanche, les financements qui ont été récemment débloqués pour faire face à la situation sont impressionnants et on aimerait voir des sommes proportionnellement au même niveau débloquées par notre gouvernement.
Pr Patey : On connaît le gradient Nord Sud en termes d'antibiorésistance qui est corrélé avec la consommation des antibiotiques comme le montrent les données de l'ECDC. Elle est quantitative et qualitative et de nombreuses mesures sont déjà proposées au fil des plans nationaux avec une efficacité relative dans notre pays. L'application de « One Health » avec un développement des passerelles et actions entre la médecine humaine et animal est sûrement un progrès.
Outre les phages, quelles sont les pistes alternatives à l'antibiothérapie ?
Pr Andremont : L’objectif principal doit absolument être de faire diminuer la consommation des antibiotiques en médecine humaine, vétérinaire et en élevage. C’est ce qui permettra de faire reculer la résistance et redonnera de l’efficacité aux traitements actuellement disponibles. L’innovation thérapeutique (nouveaux antibiotiques, vaccins, prévention de l’émergence de la résistance au cours des traitement) doit se développer en parallèle et non pas à la place de la réduction de la consommation. Les nouveaux produits seront probablement des produits à utilisation beaucoup plus ciblée chez des patients sélectionnés par des tests diagnostic nouveaux tests rapides dont le développement est aussi indispensable que celui des nouveaux médicaments eux-mêmes, afin de ne pas les prescrire trop largement et ainsi induire de nouvelles résistances.
Pr Patey : L’antibiorésistance est un phénomène évolutif et multifactoriel, dont les déterminants ont été bien identifiés dans le cadre des différents plans nationaux de lutte contre cette antibiorésistance. Les différentes pistes y sont abordées et concernent à la fois un diagnostic meilleurs et plus rapide des infections bactériennes par des nouvelles technologies de biologie moléculaire et le développement de tests de diagnostic rapide facile d'utilisation, fiable et peu onéreux, mais également la prévention des infections et de la diffusion des bactéries résistantes par la vaccination (réduction de l'antibiorésistance des pneumocoques par la généralisation de la vaccination chez l'enfant et remplacement des souches résistantes vaccinales par d'autres sérotypes moins résistants ; prévention des surinfections bactériennes par contrôle d'infections virales comme la grippe...) l’applications strictes des mesures d'hygiène.
Les phages ne se positionnent pas seulement comme une alternative à l'antibiorésistance : en effet, en cas de bactérie multi ou totorésistante, en raison d'un mécanisme d'action qui ne tient pas compte des mécanismes d'antibiorésistance, on voit bien le rôle d'alternative à l'antibiothérapie qu'ils peuvent jouer. Mais on connaît depuis les années 40 le rôle synergique de l'association antibiotique phages avec les travaux sur la pénicilline et le staphylocoque doré. De par son rôle complémentaire sur les biofilm, les phages apparaissent ainsi comme un complément fondamental dans le traitement de certaines infections bactériennes, avec un rôle protecteur sur les antibiotiques.
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