Depuis juillet, les recommandations européennes de prise en charge du myélome multiple (1) proposent que les patients considérés comme fragiles (plus de 80 ans et/ou avec des comorbidités) bénéficient d’une stratégie d’épargne cortisonique dans l’attelage des traitements de première ligne.
Ce changement de pratique est en grande partie lié aux travaux de l’intergroupe francophone du myélome, coordonnés par les chercheurs du CHU de Lille, et récemment publiés dans le Lancet Oncology. Ces résultats incitent à ne plus donner de corticoïdes au long cours, et il se pourrait même que leur place se réduise fortement, à mesure que les nouveaux traitements prennent de l’importance dans les algorithmes décisionnels.
Dans cette étude randomisée prospective de phase 3 (2), la première sur un tel sujet, les chercheurs ont comparé un protocole combinant daratumumab, lénalidomide et une stratégie d’épargne de la dexaméthasone, avec un traitement sans daratumumab mais avec dexaméthasone au long cours, chez des patients de 65 ans et plus atteints de myélome multiple. Sobrement baptisée IFM2017-03, cette étude regroupe un total de 335 patients âgés en médiane de 81 ans, recrutés dans 61 centres français. Les deux tiers ont été affectés à un groupe recevant 1 800 mg de daratumumab en sous-cutané et 25 mg par jour de lénalidomide en prise orale (21 jours pour un cycle de 28 jours), plus de la dexaméthasone orale pendant deux cycles de traitement seulement, à raison de 20 mg par semaine. Le tiers restant a reçu du lénalidomide (25 mg par jour) et 20 mg de dexaméthasone orale par semaine pendant toute la durée du traitement.
Une survie sans progression plus que doublée
La survie médiane sans progression est de 53,4 mois dans le groupe bénéficiant d’une stratégie d’épargne de la dexaméthasone, contre 22,5 mois dans le groupe contrôle. Il n’y avait pas de différence significative en termes d’effets secondaires graves, ou de décès provoqués par un effet secondaire. Cette survie sans progression de presque quatre ans et demi « est remarquable dans une population aussi fragile », se félicitent les auteurs, qui comparent ces résultats aux 21,6 mois obtenus dans l’essai Hovon. Dans cette étude qui évaluait l’association daratumumab, ixazomib et dexaméthasone chez les patients âgés, la survie médiane était de 47,3 mois dans le groupe contrôle et n’était pas encore atteinte dans le groupe avec stratégie d’épargne de la dexaméthasone.
Ces résultats, présentés lors du congrès de la Société américaine d’hématologie en décembre 2024, sont à l’origine, avec d’autres données, des récentes évolutions publiées en juillet des recommandations de l’Association européenne d’hématologie (EHA) et du réseau européen du myélome, qui préconisent le recours systématique à la combinaison daratumumab/lénalidomide/deux cycles de dexaméthasone.
Le daratumumad, le nouveau standard
Depuis les résultats de l’essai randomisé Maia (3), la combinaison daratumumab/lénalidomide/dexaméthasone est considérée comme un standard de traitement du myélome multiple. La présence du daratumumab est associée à un taux élevé d’effets indésirables d’ordre infectieux, tandis que l’exposition prolongée à la dexaméthasone peut également augmenter le risque d’infection, mais aussi d’hypertension et d’hyperglycémie.
Les résultats de l’étude IFM2017-03 montrent que l’introduction du daratumumab a un effet positif très marqué sur la survie sans progression, qui se confirme dans tous les sous-groupes de patients (âge, stade de la pathologie, risque cytogénétique). Il est d’ailleurs à noter que plusieurs patients du groupe suivant une stratégie d’épargne cortisonique ont pu continuer le daratumumab après avoir arrêté le lénalidomide pour mauvaise tolérance. « Jusqu’à récemment, beaucoup estimaient que l’association lénalidomide et dexaméthasone était pertinente car entièrement en prise orale, précise le Pr Salomon Manier, du service des maladies du sang au CHU de Lille et premier auteur de l’étude IFM2017-03. Nos données démontrent clairement que la triplette comprenant le daratumumab constitue la meilleure stratégie. »
Certes, le double rôle anti-inflammatoire et immunosuppresseur induit une apoptose des cellules myélomateuses. Mais pour le Pr Salomon Manier, on assiste à une remise en question de la place des corticoïdes dans les algorithmes décisionnels concernant le myélome multiple. « Les corticoïdes sont présents partout dans les traitements du myélome et cette étude pose clairement la question : est-ce une bonne idée de continuer la dexaméthasone au très long cours ? interroge-t-il. Les données montrent que si les patients reçoivent 80 mg de dexaméthasone pour chacun des deux premiers cycles, cela suffit ». Mais les habitudes sont difficiles à changer. « Bien que cette triplette soit approuvée et remboursée, beaucoup de centres continuent de craindre qu’elle ne provoque davantage d’effets secondaires », déplore-t-il.
La dexaméthasone pourrait jouer un rôle antagoniste avec les nouvelles générations de traitement ciblant les lymphocytes T
Un nouvel essai vient de commencer, inspiré du travail lillois, visant à proposer une épargne cortisonique aux patients en rechute. « Ce qu’il faut bien comprendre, analyse le Pr Manier, c’est que la question de l’épargne cortisonique ne se posait pas il y a des années quand les médianes de survie de progression étaient très limitées. Maintenant que la moitié des patients survit plus de cinq ans, on réalise qu’on ne peut pas les laisser sous dexaméthasone aussi longtemps. »
La communauté des hématologues a donc maintenant une mission à remplir : définir à quel moment arrêter les corticoïdes sans que cela n’entache l’efficacité du traitement. Le Pr Manier imagine même un avenir sans dexaméthasone, dans la mesure où elle pourrait jouer un rôle antagoniste avec les nouveaux traitements qui s’appuient sur les lymphocytes T tels que les CAR-T cells ou les anticorps bispécifiques.
Définir le patient fragile
La stratégie de l’épargne cortisonique s’impose en priorité aux patients fragiles, mais qu’est-ce qu’un patient fragile ? Plusieurs scores ont été développés pour les identifier à commencer par le score de fragilité du groupe international de travail sur le myélome, considéré comme une référence. Toutefois, sa complexité limite son utilisation en routine. Aussi l’intergroupe francophone du myélome a-t-il mis au point un score simplifié appelé Ecog basé sur l’âge, les performances du patient et l’index de comorbidité de Charlson. « Si on a un Ecog altéré avec des comorbidités, on peut être considéré comme fragile en dessous de 80 ans », indique le Pr Salomon Manier, du service des maladies du sang au CHU de Lille.
(1) M. A. Dimopoulos et al., Nature Reviews Clinical Oncology, 2025; n°22, p 680-700
(2) S. Manier et al., The Lancet Oncology, 2025; vol 26, n°10, p 1323-1333
(3) T. Facon et al., The New England Journal of Medicine, 2019; vol 380, n°22, p 2104-2115
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