LE QUOTIDIEN. Les Françaises aiment beaucoup la pilule. Peut-on aujourd’hui faire le point sur les risques et inconvénients de cette méthode contraceptive ?
Dr DAVID ELIA. Depuis que Gregory Pincus a osé expérimenter cette méthode à Porto Rico en 1956 les choses ont bien évolué et l’on connaît aujourd’hui la plupart des risques et avantages de cette technique. Et les résultats dépassent les espérances que l’on aurait pu rêver à l’époque.
Tout d’abord l’avantage principal qui n’est pas remis en question : la pilule estroprogestative est efficace à prévenir les grossesses : sans oublis c’est une méthode efficace à 100 %. Elle est réversible dès l’arrêt
Pour ses inconvénients, on s’est très vite on s’est focalisé sur les risques de thromboses veineuses et artérielles.
Ce risque de thrombose veineuse, la seule vraie « pierre dans le jardin » de cette contraception, est augmenté - avec un risque de 1,7 avec les pilules comportant des progestatifs de 2e génération (lévonorgestrel par exemple) - et un risque plus élevé avec ceux de troisième génération. Raison pour laquelle la HAS nous recommande de prescrire les pilules contenant des progestatifs de deuxième génération en première intention. Ce risque a bien diminué, proportionnellement aux doses d’éthinyl estradiol (EE) : si le risque est multiplié par 8 à 10 pour les pilules contenant plus de 50 mcg d’EE il reste inférieur à 2 pour les 2 mcg d’EE( Lewis, « Hum Reprod », 1999, 14 :1493-9)
Quant au risque artériel (AVC, Infarctus du myocarde) il n’est pas modifié par les progestatifs mais par la quantité d’éthinylestradiol de chaque comprimé : la baisse constante des posologies, qui atteignent aujourd’hui 15 à 20 mcg d’EE, contraste avec celles des années 1960 ou des posologies de 100 à 150 mcg d’EE étaient banales.
Cette baisse drastique du composé estrogénique explique les exceptionnels accidents artériels aujourd’hui.(risque = 4, par exemple, pour les pilules ayant plus de 50 mcg d’EE contre risque = 1 pour les pilules à 20 mcg d’EE [Meta analyse de Khader, « Contraception », 2003, 68:11-7]).
Et les autres risques de santé ? Le CIRC n’a t-il pas déclaré les estrogènes substances oncogènes ?
Pour répondre à cette question et pour la suite je vais vous donner les résultats de la formidable étude de Philip Hannaford parue en ligne en mars 2010 dans le « British Medical Journal »** ; 1 400 cabinets de médecine générale y ont participé dans tout le Royaume-Uni. Et, ce, dès 1968. Il s’agit sans doute de l’étude la plus importante sur ce sujet ; 46 112 femmes ont été suivies observées pendant une durée allant jusqu’à 39 ans : 378 006 années/femmes n’ayant jamais utilisé de contraceptifs oraux ont été comparées à 819 175 années/femmes d’utilisatrices (l’année femme est une unité qui mesure une période d’utilisation pendant 12 cycles) ; ce sont ainsi 23 000 femmes ayant pris la pilule qui ont été comparées en termes d’événements de santé à un nombre comparable de non-utilisatrices. Les généralistes qui suivaient ces femmes (dont l’âge moyen était de 29 ans au début du recrutement et qui ont pris 44 mois de pilule en moyenne) ont fourni, à intervalles de six mois, des informations sur les préparations hormonales prescrites, les grossesses et leurs issues, tous les nouveaux épisodes de maladie, une intervention chirurgicale et tout décès survenant chez les femmes sous leur observation. La période d’observation a été de près de quarante ans (terminée en 2007) ; 91 % des femmes avaient commencé la pilule avant 38 ans.
Quels sont les résultats de cette étude ?
Ils sont stupéfiants ! La pilule, outre qu’il s’agit d’une thérapeutique contraceptive fiable, qu’elle gomme les dysménorrhées et autres PMS, qu’elle aide à gérer les ovaires microkystiques et les ménorragies fonctionnelles…, diminue de 12 % la mortalité toutes causes confondues des utilisatrices de pilules versus les autres.
Il s’agit ici de ce qu’il est convenu d’appeler les BNC (bénéfices non contraceptifs de la pilule).
Hannaford retrouve un taux significativement plus faible de décès chez les utilisatrices pour tous les cancers : le colon et le rectum, le corps de l’utérus ou les ovaires, pour les principaux cancers gynécologiques combinés ; un taux de décès plus faible encore pour toutes les maladies veineuses ou artérielles ; un taux plus faible aussi pour l’ensemble des maladies « autres catégories » qui comprenait les affections respiratoires, mais aussi du système nerveux, parasitaires et infectieuses, mentales, sans oublier les troubles génito-urinaires et les maladies métaboliques et endocriniennes. Seul le taux de morts violentes était plus élevé chez les utilisatrices (ce que les auteurs ne s’expliquent pas). Ce fait insolite n’a pas été retrouvé dans une étude comparable (Nurse’s Health Study aux États-Unis).
Enfin, à noter l’incidence des dysplasies et des cancers du col était plus élevée chez les utilisatrices de pilule (la pilule EP - pas les progestatives pures - semble être un cofacteur de risque avec le tabac des infections à HPV). Cela souligne encore, s’il en était besoin, l’importance des frottis du col de dépistage.
Quels sont les points forts et faibles de cette énorme étude ?
Une des grandes forces de cette étude est d’inclure plus d’un million d’années/femme d’observation. Les auteurs ont ajusté leurs résultats pour les facteurs confondants potentiellement importants : l’âge, le tabagisme, la classe sociale, la parité et (pour certaines analyses) l’utilisation de l’hormonothérapie substitutive. Cependant, comme ils l’écrivent, les analyses peuvent avoir été sujettes à une mauvaise classification en termes d’exposition, les femmes de plus de 38 ans ayant été considérées comme non utilisatrices, qu’il faut compter avec celles qui ont quitté l’étude en cours ont été considérées comme ne prenant plus la pilule… Ce niveau de classification est susceptible d’avoir sous-estimé le risque de décès lié contraception concèdent-ils.
Les femmes incluses utilisaient-elles des pilules « modernes » ?
Les auteurs n’ont pas examiné si le risque de décès différait selon la composition hormonale des pilules. La plupart (75 %) des pilules utilisées dans l’étude contenaient 50 mcg d’EE et seulement 3 % des progestatifs seuls. Les résultats auraient pu être encore plus impressionnants avec les pilules contenant moins de 30 mcg d’EE d’aujourd’hui (décès d’origine artérielle et veineuse). A noter que les résultats d’Hannaford sont comparables avec ceux de 2 autres études d’importance : ceux de de la Nurse ‘s Health Study et ceux de l’Oxford Family Planning Association Contraception Study. (Cette dernière, enregistre 889 décès pendant près de un demi millions années-femme d’observation entre 1968 et 2000).
*David Elia, gynécologue, Paris, www.gynecole.fr
Conflit d’intérêt du Dr David Elia sur ce thème : Theramex.
**BMJ. 2010; 340 : c927. Publié en ligne mars 2010 11. doi: 10.1136/bmj.c927. Philip C. Hannaford, Lisa Iversen, Tatiana V. Macfarlane, Alison M. Elliot , Valerie Angus et Amanda J. Lee.
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