Inutile, l’adjectif est lâché. Des gestes aussi intrusifs que le toucher pelvien et l’examen au speculum seraient-ils réalisés sans réelle justification chez des femmes qui ne se plaignent de rien ? C’est ce que laisse entendre une revue de la littérature réalisée par l’American College of Physicians (ACP) en soulignant l’absence de bénéfices en matière de dépistage des cancers pelviens, le frottis cervico-vaginal recommandé tous les 3 ans mis à part. Car même le dépistage d’infections sexuellement transmissibles à Chlamydia et à gonocoques peut se faire sans, à l’aide de l’autoprélèvement. Alors qu’en France, il existe un consensus professionnel pour réaliser un examen pelvien une fois par an jusqu’à l’âge de 65 ans, la pratique du toucher vaginal n’a décidément pas la cote chez les Anglo-saxons, puisque les Britanniques ne le recommandent plus dans le suivi de grossesse depuis la mesure échographique de la longueur du col.
« Le toucher vaginal de routine n’a donné aucun résultat positif chez les femmes sans symptôme, présentant un risque moyen de cancers gynécologiques et qui ne sont pas enceintes », a indiqué le Dr Linda Humphrey, membre de la commission des guides cliniques de l’ACP et co-auteur de ce travail publié dans les Annals of Internal Medicine. La valeur prédictive positive de l’examen pelvien pour la détection du cancer de l’ovaire a été estimée à moins de 4 % dans les 2 études rapportées. Sans compter que l’examen pelvien serait perçu comme « gênant », «anxiogène», voire « douloureux » pour plus de 30 % des femmes en médiane. Les auteurs américains estiment même que la faible valeur diagnostique « conduit à des résultats faussement positifs ou négatifs qui entraînent des coûts supplémentaires ».
Un rituel initiatique
L’examen pelvien systématique ne correspondrait-il alors qu’à un rituel dans la vie d’une femme ? C’est ce qu’ont estimé les Drs George Sawaya et Vanessa Jacoby, deux gynécologues de l’université de Californie (San Francisco) dans un éditorial associé. « Le toucher vaginal a occupé une place importante dans la santé des femmes pendant de nombreuses décennies pour devenir davantage un rituel qu’un véritable examen médical basé sur des faits cliniques », ont-elles expliqué. Est-ce la mort annoncée du toucher pelvien et de l’examen au spéculum en routine ? L’examen gynécologique systématique devrait-il se cantonner à l’examen des seins?
Un examen à préserver
Ce n’est pas l’avis du Pr Bernard Hédon, gynécologue obstétricien au CHRU de Montpellier et président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens (CNGOF). « L’étude ne nous dit rien de neuf, a-t-il commenté. Le toucher est bien peu efficace pour dépister le cancer de l’ovaire, ce que l’on sait depuis toujours. On peut d’ailleurs étendre ce défaut d’efficacité à l’échographie, et c’est la raison pour laquelle le cancer de l’ovaire est un cancer qui ne se dépiste pas. Que les femmes n’aiment pas les touchers vaginaux, ce n’est pas non plus une surprise ». Un point de vue partagé par le Pr Fabrice Lecuru, gynécologue à l’hôpital européen Georges Pompidou, spécialisé dans la cancérologie féminine : « L’examen pelvien est un examen à préserver en routine. Dans notre pratique, nous recevons des patientes asymptomatiques qui ont été dépistées par l’examen pelvien. C’est particulièrement vrai pour les kystes de l’ovaire, qui même volumineux, peuvent rester silencieux ».
Des rythmes de dépistage à expérimenter
Il faut noter que rien n’est dit dans l’étude concernant le dépistage des autres cancers pelviens (utérus, vessie, vagin, vulve), ni celui des pathologies non malignes (inflammation pelvienne, fibromes, condylomes, atrophie vaginale). Tout simplement par... manque de données. L’analyse réalisée sur une sélection de 52 articles, dont 32 études et 20 recommandations, pêche par l’absence totale de données sur les bénéfices en terme de morbi-mortalité pour toutes les pathologies pelviennes. « Et le fait de ne pas retrouver beaucoup de pathologies chez des femmes asymptomatiques n’est pas en soi très étonnant », a estimé le Pr Lecuru.
« Il faut bien se garder de généraliser la portée de cet article, a conclu pour sa part le Pr Hédon. L’examen pelvien fait partie de l’examen gynécologique de ville de la femme en âge de procréer et de la femme ménopausée jusque l’âge de 65 ans voire plus en cas de traitement hormonal de substitution. Il permet de dépister précocément une masse pelvienne ». Bien conscients des limites de l’étude, les auteurs eux-mêmes tempèrent leurs propos en conclusion et appellent à relancer la recherche en ce sens.
Il pourrait être intéressant d’évaluer dans quelle mesure l’appréhension rapportée par les femmes entraîne un suivi gynécologique chaotique et un retard à consulter. Une réalisation systématique plus pondérée et mieux justifiée de l’examen pelvien pourrait-elle se traduire au final par une meilleure prise en charge ? « Bien que très répandu en clinique, les données justifiant l’examen pelvien chez les femmes asymptomatiques sont maigres. (...) Un champ important de recherche s’ouvre dans le développement et l’expérimentation de stratégies permettant de diminuer la réalisation inappropriée de l’examen pelvien ». Le toucher vaginal n’est de toute façon pas « mort et enterré », car l’étude, qui s’est attachée aux femmes asymptomatiques, ne le remet en rien en cause en cas de douleurs, saignements, dyspareunie ou leucorrhées.
Annals of Internal Medicine, publié le 1er juillet 2014
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