Depuis son apparition au début des années 1960, l’évolution naturelle de la contraception estroprogestative, dont le risque thromboembolique a toujours été connu, s’est faite vers une réduction des doses d’estrogènes et le recours à des progestatifs de moins en moins androgéniques. Un certain calme a régné entre 1995, année de la première « pill scare » et 2009, date de la publication de la vaste étude danoise par Lidegaard, qui a retrouvé un doublement du risque de phlébite avec les pilules de troisième et quatrième générations. C’est toutefois cette même année que fut décidé le remboursement de certaines de ces pilules. Puis, trois ans plus tard, la décision de les dérembourser a été prise en mettant en avant les risques soulignés dans l’étude danoise, avec les conséquences en chaîne que l’on connaît. « Le débat a pris des proportions énormes, Diane a été sacrifiée et l’Europe a été sollicitée alors qu’elle avait donné son avis six mois plus tôt », rappelle le Dr Christian Jamin (Paris) avant de repréciser le fond de la question : l’évaluation du risque. « Lorsqu’un accident est très rare, ce qui est le cas de la phlébite avec deux événements supplémentaires pour 10 000 femmes chaque année, les outils de la pharmacovigilance ne fonctionnent pas. Il reste alors deux solutions. Se fonder sur des études comme celle de Lidegaard, étude pharmaco-économique qui donne un chiffre statistique indubitable (sur 3,5 millions d’années-femmes) mais qui est médicalement non « signifiante » car elle ne tient pas compte du terrain poids, antécédents familiaux ou de la date de début de la contraception. Ou bien se baser sur des études prospectives, qui elles ne trouvent pas de surrisque mais portent sur des cohortes bien plus faibles et sont donc de moindre significativité statistique ».
L’Europe a rendu son avis en octobre 2013 indiquant que le rapport bénéfice/risque de toutes les pilules est positif et qu’il ne faut donc pas jeter l’anathème sur tel ou tel produit. Elle estime qu’il n’y a pas lieu de changer de contraception si la femme est satisfaite de sa pilule, même si elle précise que le risque d’accident est potentiellement moindre avec le lévonorgestrel, la noréthistérone et le norgestimate, potentiellement plus élevé avec le désogestrel, le gestodène et la drospirénone et mal connu avec les nouvelles pilules (diénogest, nomegestrol et chlormadinone).
L’Europe indique que ses recommandations ne sont pas gravées dans le marbre et sont susceptibles d’évoluer avec les données issues des nouvelles études. « Il ne faut donc plus raisonner en termes de génération de produit, mais de résultats de travaux, poursuit le Dr Jamin. La France a été obligée de réintroduire Diane et de supprimer la notion de prescription de première intention. »
Nouveau rebondissement en mars dernier avec la publication d’une revue Cochrane (1), qui souligne que toutes ces études n’ont pas pris en compte la dose d’estrogènes et que « les pilules les plus à risque de thrombose veineuse sont celles dosées à 50 microgrammes d’éthinylestradiol (EE), quel que soit le progestatif et les moins à risque celles combinées au lévonorgestrel et au norgestimate, mais aussi celles dosées à 20 microgrammes d’EE combiné au désogestrel et au gestodène. Ainsi, les anciennes troisième et quatrième générations n’exposeraient à un surrisque que lorsqu’elles sont plus fortement dosées en EE », expose le Dr Jamin. Parallèlement, les études prospectives contrôlées ayant évalué uniquement les nouvelles utilisatrices ne retrouvent pas d’augmentation du risque avec l’anneau, le patch et la drospirénone (faiblement dosée).
Quelle leçon en tirer ?
« En l’absence de situation particulière, il est légitime de débuter par une pilule faiblement dosée avec du lévonorgestrel, estime le Dr Jamin. Mais en présence d’une acné, le norgestimate a sa place en première intention. Et si la femme tolère mal ces pilules, il est ensuite légitime de changer pour un autre produit ».
« Tout ce débat a eu le mérite de rappeler que la pilule n’est pas un bonbon et de souligner que le risque n’est pas lié au progestatif mais au terrain : poids, âge antécédents, constantes métaboliques, voyage en avion, plâtre… Le risque naturel de faire une phlébite est de 2/10 000/an, il passe à de 4 à 6/10 000/an avec la pilule, de 5 à 7/10 000/an peut-être pour les pilules les plus à risque. Mais, chez une femme de 40 ans ayant un indice de masse corporelle› 25 kg/m2 et des antécédents familiaux, il s’élève à 216/10 000/an.
Les outils (2) récemment proposés par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) présentent l’avantage d’imposer la vigilance lors de la prescription. Mais cette vigilance doit être de mise quel que soit le contraceptif, en évitant de stigmatiser certains produits ce qui pourrait laisser penser que les autres sont sans risque aucun », conclut le Dr Jamin.
D’après un entretien avec le Dr Christian Jamin, Paris
(1) de Bastos M et al. Combined oral contraceptive : venous thrombosis. Revue Cochrane publiée en ligne le 3 mars 2014. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD010813.pub2/abstr…
(2) http://ansm.sante.fr/Dossiers/Pilules-estroprogestatives-et-risque-thro…
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