La gynécologie obstétrique est une médecine qui touche à l’intimité des femmes. Tout y est sensible. Pas seulement les organes. Les histoires personnelles, les antécédents et les représentations ont des variétés infinies et souvent inattendues qui peuvent constituer autant de vulnérabilités individuelles. Une disponibilité particulière s’impose donc pour celles et ceux qui pratiquent ce métier, qu’on pourrait nommer « tact et sensibilité ». Ces compétences font désormais partie des qualités professionnelles requises de manière impérieuse. Le rustre bougon laconique qui rudoie ses patientes et ne leur explique rien car « lui sait ce qui est bon pour elle » est désormais exposé à une exposition médiatique très mutilante.
Or, le tact et les qualités qui l’accompagnent ne sont pas innés et sont insuffisamment enseignés. On a été éduqué, au cours de nos études de médecine à ne pas nous projeter sur le patient pour éviter de « sombrer dans une empathie qui pourrait être délétère », voire phagédénique. Et, pourtant, se mettre à la place de la patiente pourrait au contraire constituer une excellente boussole : sans cesse se demander comment on percevrait pour soi-même les paroles qui viennent d’être dites ou les gestes qui viennent d’être effectués. Les accepterait-on pour ses propres sœurs ou mieux encore, pour sa propre mère ?
Des patientes exposées à la variabilité individuelle des comportements
Puisque le tact n’est pas inné et qu’il y a beaucoup de personnes qui en manquent souverainement (on est tous capables de désigner dans nos services ceux à qui on ne confierait pas une proche), la question est de savoir, eu égard à l’importance des traumatismes psychiques que son absence peut générer, ce que fait notre profession en termes de formation, voire de prévention, pour aider ceux qui en sont dénués ou ne l’ont pas appris quand ils étaient petits, dans leur cadre familial. Notre profession doit s’imposer une formation commune et efficace en termes de prévention du traumatisme dans le soin. Y renoncer exposerait gravement les patientes, ce qui est le cas aujourd’hui, à la variabilité individuelle dans la manière de se comporter des professionnels. Ce qui n’est plus acceptable par les temps qui courent.
Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) commence à être identifié par la profession comme une complication possible de la passade obstétricale ou gynécologique. Selon les études, il atteint entre 2 et 5 % des femmes, et la dépression postnatale, aux conséquences redoutables pour la femme mais aussi pour l’enfant (lire aussi p. 27), serait supérieure à 15 %. Un des meilleurs signes prédictifs de SSPT est d’ailleurs la dépression prénatale, que, souvent, nous avons sous les yeux, sans la prendre suffisamment en considération dans sa signification.
Nous n’avons pas appris à être vigilants sur les facteurs de risques de développer ces complications pourtant graves. Le dialogue avec les patientes permet d’en repérer certaines causes :
— La survenue d’une complication inopinée plus ou moins grave au cours de la grossesse ou de l’accouchement ;
— L’existence d’un antécédent sous-estimé ou scotomisé par la patiente elle-même ;
— L’existence d’un vécu traumatique, qu’il soit le fruit d’un « délinquant de la profession » ou de ce qui est aujourd’hui communément dénommé « violence obstétricale », souvent involontaire de la part des équipes, démunies en matière de formation, dépistage et prise en charge.
Les actes effectués sans consentement ou sans explication, a priori et a posteriori, sont à juste titre sur la sellette. La posture paternaliste peut avoir des conséquences dévastatrices : « pas de clampage tardif dans mon service » ou « pas de repas pendant le travail dans mon service », etc., nonobstant des RPC validées par toute la profession.
Plus de communication entre les femmes et les équipes
Toutes ces causes ne se préviennent pas de la même manière, loin s’en faut. Parmi les outils à peaufiner et à mettre en œuvre, l’information, accessible et compréhensible, des femmes, occupe une place importante. Elle doit aborder les complications possibles et fréquentes en obstétrique. L’entretien prénatal précoce devrait être non seulement systématiquement proposé, mais évalué en qualité, et se doubler d’un entretien postnatal sur le même modèle. Le projet de naissance, qui permet à la patiente de partager avec l’équipe ses forces, ses angoisses, ses besoins et ses envies, sur de nombreux sujets, devrait aussi être utilisé systématiquement. C’est un outil indispensable à partager ensemble, avant la naissance, et qui permet d’anticiper l’immense majorité des situations où l’aléa pourrait surgir.
Une carence chronique des professionnels concerne le dépistage des antécédents de violence sexuelle dans l’enfance ou dans la conjugalité. Par pudeur parfois, par méconnaissance souvent, les obstétriciens et les sages-femmes n’abordent pas ces questions même lorsqu’ils présument l’existence d’un traumatisme antérieur. La fréquence de cet antécédent, à hauteur de 20 % des femmes, souvent dans le cadre familial ou éducatif, est un fort argument pour donner l’opportunité de l’évoquer avec des mots, car cela change la manière de prendre en charge une patiente. Pour que ces femmes puissent donner leur confiance aux professionnels du soin, il faut que ces traumatismes aient été identifiés par eux.
Enfin, il y a les paroles et les gestes malheureux. Il faut beaucoup de tact pour aborder les addictions ou les excès de poids. Comment faire en cas de refus de soins ? Il y a une grande différence entre ceux qui ont bénéficié d’une formation sur ces sujets sensibles et ceux qui les abordent avec leurs simples notions médicales. Jeux de rôle mais aussi séminaires et compagnonnage en consultation autour de la bientraitance devraient être largement disponibles, pour jalonner nos parcours professionnels. Le consentement des patientes est insuffisamment sollicité et l’urgence est rarement telle qu’il ne soit pas possible de l’obtenir, quel que soit le geste, si minime soit-il, et quel que soit le contexte.
De nombreux progrès ont été réalisés depuis 40 ans par notre discipline, dans la qualité des soins mais aussi dans l’accompagnement des patientes au travers de cette véritable « crise » qu’est la naissance d’un enfant. Mais ces prises en charge sont, hélas, encore inégales et dépendent avant tout de la motivation individuelle des professionnels. Le coefficient d’Apgar ne peut être notre unique objectif : il faut assurer une prise en charge au-delà de la naissance pour éviter que ne se constituent des dégâts pour l’enfant, d’autant plus regrettables qu’ils étaient évitables. Un enjeu de formation qui s’est déjà concrétisé dans certaines régions, mais devra devenir plus systématique à l’avenir.
Exergue 1 : « Il faut sans cesse se demander comment on percevrait pour soi-même les paroles qui viennent d’être dites ou les gestes qui viennent d’être effectués »
Exergue 2 : « On est tous capables de désigner dans nos services ceux à qui on ne confierait pas une proche »
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