Comment réduire le risque de transmission de maladies mitochondriales ? La thérapie de remplacement mitochondrial (ou « don de mitochondries ») est une option testée en médecine reproductive dans quelques pays comme le Royaume-Uni, l’Ukraine ou la Grèce. Une équipe britannique de l’université et de l’hôpital de Newcastle vient de publier dans le New England Journal of Medecine une étude sur les performances de la technique par transfert nucléaire. Sur les 22 transferts d’embryons réalisés avec cette méthode, huit naissances vivantes ont été obtenues avec des taux d’ADN mitochondrial drastiquement réduits. Les enfants sont aujourd’hui âgés entre six mois et plus de deux ans.
Les femmes porteuses de mutations de l'ADN mitochondrial (ADNmt) sont à risque de transmettre divers syndromes cliniques, collectivement appelés maladies mitochondriales, et représentent 1 naissance sur 5 000. Le transfert nucléaire consiste à transplanter le génome nucléaire d’un ovule fécondé issu d’une femme atteinte dans un ovule fécondé énucléé donné par une femme non atteinte. La technique de remplacement mitochondrial est toutefois loin d’être parfait, et des taux parfois élevés d’ADNmt muté sont retrouvés chez les enfants.
Dans ce travail, les chercheurs ont proposé à des couples dont la femme est porteuse de mutations de l’ADNmt soit une fécondation in vitro (FIV) par injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) avec transfert pronucléaire soit une FIV par ICSI avec diagnostic génétique préimplantatoire. Le transfert pronucléaire était réservé aux patientes présentant une homoplasmie (100 % des mitochondries mutées) ou une hétéroplasmie (une partie seulement des mitochondries étaient mutées) très élevée, tandis que le test préimplantatoire était proposé en cas d’hétéroplasmie plus modérée.
Encore controversée et suscitant des questionnements éthiques, la thérapie de remplacement mitochondrial n’est autorisée que dans quelques pays, dont le Royaume-Uni depuis 2015. En France, cette technique de médecine reproductive (appelée par certains opposants « bébés à trois parents ») n’est pas encore autorisée en recherche. L’Agence de la biomédecine (ABM) a voulu lancer des études mais a été confrontée à des refus d’autorisation par la justice, qui avait été saisie par la Fondation Lejeune. Si l’ABM fait valoir que le transfert de noyau se fait sans modification du génome, la justice estime que la loi de bioéthique « ne réduit [pas] le génome de l'embryon au seul ADN nucléaire ». Jusque-là, le Comité consultatif national d’éthique ne s’est pas exprimé clairement, appelant à « une réflexion spécifique » sur la frontière entre le soin et l’eugénisme.
Plus de naissances vivantes après le test préimplantatoire
Au total, 61 patientes ont été recrutées dans l’étude, dont 22 ont été orientées vers un don de mitochondries et 39 vers un test préimplantatoire. Sur les 22 patientes ayant eu un don de mitochondries, 8 ont donné naissance à un enfant en bonne santé, avec un taux sanguin d'hétéroplasmie de l'ADNmt (c’est-à-dire de présence conjointe de mitochondries de la patiente et de la donneuse) qui variait de l’indétectable à 16 %. Les analyses de sang néonatal ont révélé une diminution des taux de mutations maternelles de l'ADNmt de 95 à 100 % chez 6 nouveau-nés et de 77 et 88 % chez les 2 autres, par rapport aux cellules énucléées correspondantes.
Une hyperlipidémie et une arythmie cardiaque se sont développées chez un enfant dont la mère avait présenté une hyperlipidémie pendant la grossesse, les deux affections de l'enfant ont pu être traitées. Une épilepsie myoclonique infantile s'est développée chez un autre enfant, avec une rémission spontanée.
Sur les 39 patientes orientées vers le test génétique préimplantatoire, 18 ont donné naissance à un enfant vivant. Les taux d'hétéroplasmie étaient connus chez 10 des 18 nourrissons et variaient d'indétectables à 7 %.
Les auteurs estiment que « le don de mitochondries par transfert pronucléaire était associé à de bien meilleures chances de viabilité de l'embryon humain » et qu’un programme intégré associant transfert pronucléaire et test génétique préimplantatoire « s'est avéré efficace pour réduire la transmission de variants pathogènes homoplasmiques et hétéroplasmiques de l'ADNmt », par rapport aux études cliniques antérieures.
Le transfert pronucléaire était moins efficace que le test préimplantatoire pour obtenir des naissances vivantes. Le succès du transfert pronucléaire a également été limité par un pourcentage plus faible d'ovules normalement fécondés dans le groupe de transfert pronucléaire que dans le groupe de test préimplantatoire. Cela conforte la conviction des auteurs à proposer un test préimplantatoire à la place d’un transfert de noyau, quand cela est cliniquement pertinent.
Comprendre la présence d’ADNmt muté résiduel
Un suivi à long terme des enfants nés dans le cadre de cette étude reste nécessaire, étant donné le potentiel d'amplification de la petite fraction de l'ADNmt maternel muté. Les auteurs veulent vérifier la stabilité des taux d’ADNmt maternels au fil du temps, et au sein de différents types de tissus. De petites quantités d’ADNmt muté peuvent en effet subsister dans 20 % des cas après un transfert pronucléaire, avec des taux d’hétéroplasmie pouvant atteindre 40 à 60 % dans la littérature.
« Il sera important de comprendre les bases techniques et biologiques des niveaux plus élevés d'hétéroplasmie », jugent les auteurs. On ignore encore à ce jour pourquoi les enfants nés après transfert de noyau portent des copies d’ARNmt mutés. L’explication la plus logique serait qu’il y en aurait un peu dans la petite quantité de cytoplasme accompagnant le noyau lors du transfert. Alors que cette hypothèse n’explique pas les différences de taux d’hétéroplasmie entre les enfants, d’autres sont avancées, dont un possible avantage réplicatif.
Dans un article associé, l’équipe précise le devenir des enfants. Lors de la rédaction du rapport, trois enfants étaient âgés de 0 à 5 mois, deux entre 6 et 11 mois, deux entre 12 et 23 mois et un d’au moins 24 mois. Cinq n’ont présenté aucun problème de santé. « Les huit enfants sont nés en bonne santé et se développent normalement », lit-on.
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