LE QUOTIDIEN : Les enquêtes menées à la demande de l’ANSM révèlent qu’une femme sur deux seulement s’estime suffisamment informée sur les risques liés à la prise de médicament pendant la grossesse. Ces chiffres vous étonnent-ils ?
Dr SYLVAIN BOUQUET : Ces chiffres ne m’étonnent pas. Je pense que les femmes enceintes reçoivent l’information, mais que cette dernière n’est pas intégrée comme étant importante, ou au contraire qu’elle est surinterprétée. Je suis des patientes pour des maladies chroniques auxquelles je dis « il faut qu’on discute de votre traitement en cas de projet de grossesse ». Et je suis généralement informé de la grossesse trop tard pour faire des ajustements.
Peut-être que l’information ne leur est pas délivrée au bon endroit, ou qu’il faudrait qu’elle arrive de plusieurs manières. Les pharmacies sont, à ce titre, très importantes, mais aussi les sages-femmes, les infirmiers, les pédiatres, les médias féminins, etc.
Pensez-vous que les médecins, et notamment les spécialistes qui suivent les maladies chroniques, soient sensibilisés à la question de la prescription pendant la grossesse ?
Il faut bien comprendre que, lors de mes études, on m’a appris qu’il ne fallait pas se préoccuper des prises de médicament lors du premier trimestre et que « si ça passe, ça passe ». La question du projet de grossesse, même lointain, doit pourtant être systématiquement posée. Mais il faut surtout que les spécialistes aient des gens vers qui se tourner pour une expertise.
La référence, c’est le centre de référence des agents tératogènes (CRAT). Il y a aussi le Vidal mais aussi les centres régionaux de pharmacovigilance qui peuvent donner des informations plus précises sur tel ou tel médicament.
Quelles sont les classes médicamenteuses les plus à surveiller ?
Les rétinoïdes, les AINS, les anti-épileptiques et les AVK, ainsi que certains antibiotiques. Pour certains rétinoïdes, il faut même les arrêter deux ans avant le début de la grossesse, à tel point que certaines recommandations étrangères demandent la pose d’un implant ou d’un stérilet en début de traitement pour s’assurer qu’aucune grossesse ne puisse être lancée sans intervention médicale.
Des critiques ont été formulées à l’encontre du pictogramme fixé sur les médicaments déconseillés lors de la grossesse. Qu’en pensez-vous ?
Ce pictogramme est le même, quel que soit le niveau de risque associé au médicament, et systématiquement interprété comme une interdiction. Ces pictogrammes sont une bonne idée, mais ils ont été fixés par l’industrie pharmaceutique de son propre chef sans prendre l’avis des acteurs de terrain. On aurait préféré une gradation des pictogrammes avec une colorimétrie. C’est dommage.
À titre d’exemple, l’Aspégic disposait d’un pictogramme pendant un temps, or on sait que l’Aspégic nourrisson est utilisé en cas d’antécédents de mauvaise implantation du placenta, en particulier prééclampsie, de retard de croissance intra-utérin ou en cas de fausses couches à répétition. Il y a aussi des cas particuliers où les AVK ne doivent pas être interrompus chez les femmes ayant une valve cardiaque mécanique.
L’un des mots d’ordre de la campagne est « Jamais seule avec ma prescription ». N’est-ce pas un peu infantilisant ?
La grossesse est un moment particulier de la vie où des médicaments peuvent poser problème, même si ce n’est pas le cas en temps normal. La grossesse est un beau projet et il serait dommage de ne pas prendre toutes les précautions nécessaires.
Il faut aussi tenir compte d’une réalité du terrain : les armoires à pharmacie des Français sont pleines de médicaments qui ne sont pas considérés comme des dangers potentiels. C’est en partie de la faute aux médecins : 30 à 40 % de ce que nous prescrivons ne sont pas pris et finissent stockés sur les étagères.
Il y a aussi des idées reçues qui peuvent être dangereuses. Des femmes pensent qu’un médicament donné à leur nourrisson peut être pris sans risque pendant la grossesse.
Les femmes enceintes ont plus souvent recours à l’automédication lors de leur second ou troisième enfant que lors du premier. Comment cela s’explique-t-il ?
Le premier bébé est un grand moment de la vie. Les couples qui ont leur premier enfant viennent toujours aux rendez-vous au jour dit et à l’heure. Quand on attend son second enfant, on doit déjà s’occuper du premier et on a moins de temps pour le suivi médical de la grossesse. On pense qu’on maîtrise mieux et on fait moins attention.
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