La goutte est probablement la maladie rhumatologique la mieux comprise en terme de physiopathologie mais elle garde encore des secrets comme, par exemple, la régulation digestive de l’urate. Produit final du métabolisme des purines chez l’Homme, l’urate est métabolisé en allantoïne chez les petits mammifères et les procaryotes (bactéries) grâce à l’urate oxydase, enzyme que l’Homme a perdu au cours de l’évolution. L’uricémie résulte d’un équilibre entre sa production et son élimination. Sa production provient du métabolisme cellulaire et du métabolisme des aliments. La production de l’urate par les bactéries intestinales n’avait jamais été évaluée avant les travaux de Guo et al. (1). Ces auteurs ont montré que le microbiote intestinal des patients goutteux était différent de celle des sujets sains. Il est enrichi en bactéries de la famille des Bacteroides et appauvri en espèces bactériennes Faecalibacterium. Cette flore intestinale ressemble à celle des patients diabétiques de type 2 et de ceux ayant un syndrome métabolique, ce qui pourrait expliquer en partie les comorbidités de la goutte. Le métabolisme de la flore intestinale des patients goutteux favorise les voies de synthèse des purines mais diminue celle des acides butyriques. Cependant, la voie de la purinosynthèse est elle-même perturbée : l’activité de la xanthine dehydrogénase, enzyme qui permet la synthèse de l’acide urique, est augmentée alors que celle de l’allantoïnase, enzyme qui permet la dégradation de l’acide urique, est abaissée. Ainsi, cette dysbiose intestinale pourrait contribuer à l’augmentation de l’uricémie chez des patients goutteux. Par ailleurs, l’acide butyrique et le butyrate ont des propriétés anti-inflammatoires. La baisse de sa synthèse par le microbiote des patients goutteux pourrait contribuer aux crises inflammatoires. Ces résultats nécessitent d’être confirmés par d’autres équipes mais ouvrent indéniablement un pan de recherche qui a été ignoré.
Cinq locus de susceptibilité
La régulation digestive de l’uricémie a aussi été suggérée par les analyses GWAS (Genome-Wide Association Studies) de l’équipe de Matsuo (2). À la différence des études GWAS habituelles qui concernaient des patients dont le diagnostic de goutte reposait sur leur déclaration, cette analyse a été effectuée chez des patients avec une goutte certaine. La maladie est classée en fonction du mécanisme principal de l’hyperuricémie : associée à un défaut d’excrétion rénale de l’urate (DERU) ou avec une excrétion rénale normale de l’urate (NERU). Les patients NERU ont soit une production endogène de l’urate augmentée, soit une régulation digestive de l’urate altérée. Les auteurs ont identifié cinq locus de susceptibilité qui contiennent des gènes déjà associés et codant pour les transporteurs de l’urate (ABCG2 et SLC2A9) et trois nouveaux polymorphismes intéressant les gènes GCKR (impliqué dans le métabolisme du glucose), MYL2-CUX2 (gène associé aux cholestérols et au diabète) et CNIH-2 (gène impliqué dans la régulation du glutamate). Le poids du polymorphisme d’ABCG2 était plus fort chez les patients NERU par rapport aux patients DERU. ABCG2 est exprimé du côté apical de l’épithélium digestif et rénal et permet l’excrétion de l’urate. Le polymorphisme identifié est responsable d’une diminution de l’excrétion de l’urate. Son association plus forte chez les patients NERU suggère donc un défaut d’excrétion digestive de l’urate à l’origine de l’hyperuricémie. À l’inverse, les patients DERU ont une association plus forte avec un polymorphisme de SCL2A9 codant pour le transporteur GLUT9 qui participe à la réabsorption rénale de l’urate. L’hyperuricémie chez ces patients serait donc plus en rapport avec une réabsorption rénale accrue de l’urate.
Ces découvertes vont sans aucun doute ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques en ciblant les protéines impliquées dans la régulation digestive de l’uricémie.
Hôpital Lariboisière, Paris, Inserm 1132, Bioscar, Paris
Références
(1) Guo Z. et al. Sci Rep. 2 016 ; 6 : 20602.
(2) Matsuo H. et al. Ann Rheum Dis. 2 016 ; 75 : 652-9.
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