On n’avait pas vu ça depuis des milliards d’années. Il ne paraît pas excessif de qualifier de révolutionnaire la publication de l’équipe de Floyd Romesberg en Californie, parue dans Nature le 8 mai dernier. Le laboratoire américain est parvenu à prouver que l’homme est capable de remonter les origines de la vie jusqu’à en modifier le langage le plus élémentaire : l’ADN. Jusque là codé par deux paires de bases complémentaires, AT (adénine-thymine) et CG (cytosine-guanine), il s’enrichit d’une nouvelle paire de bases azotées, baptisées d5SICS-dNaM.
« C’est une étape supplémentaire dans la vie artificielle, dans une forme de vie différente », commente le Dr Laurent Alexandre, PDG de l’entreprise DNA vision, spécialisée dans le séquençage et l’interprétation du génome. Rien n’arrête plus la biologie de synthèse en effet. Après la synthèse d’une cellule artificielle et il y a quelques mois d’un chromosome, c’est maintenant le tour de la double hélice d’ADN. « Ces nouvelles bases triphosphates vont coder pour de nouveaux acides aminés, différents des 20 existants, avec lesquels on créera des protéines inédites dotées de nouvelles fonctionnalités ». Utilisables par exemple en thérapeutique, en médecine ou pour lutter contre le vieillissement...
Une réplication in cellulo
Une dizaine d’équipes dans le monde travaillent sur la recherche de nouvelles paires de bases. Mais, comme l’explique Thomas Lavergne, co-signataire de l’étude et actuellement chercheur au CNRS à Grenoble. « Sur les trois dont les recherches sont les plus abouties, la nôtre est la première à avoir pu passer du stade in vitro, à celui de la cellule ». Ces nouvelles bases sont totalement acceptées par la cellule, ce qui signifie deux choses, que « la cellule est capable de les intégrer et que son système de réparation ne les reconnaît pas ». La cellule s’est ainsi répliquée avec ce nouveau code et les nouvelles bases ont été retrouvées sur plusieurs générations avec un taux de 99,4 %.
Le système n’est pas auto-réplicatif
Comment les chercheurs s’y sont-ils pris en pratique ? « Le gros du travail a été de définir une paire de base qui reste le plus stable possible après réplication. Nous avons opté pour des bases complètement artificielles, dites "orthogonales" », poursuit Thomas Lavergne. Le nouveau code génétique était introduit via un plasmide (ADN circulaire extracellulaire), en prenant soin de choisir une région contrôlée par une polymérase favorable à la réplication. La cellule, incapable de synthétiser elle-même ces bases non-naturelles, était baignée dans un milieu spécial contenant ces nouveaux triphosphates. Et pour les faire rentrer dans la cellule, l’équipe a dû trouver un transporteur transmembranaire compatible, l’élu provient d’une algue. « Cette protéine se comporte comme un interrupteur : une fois "éteint", la cellule n’est plus alimentée en nouveaux triphosphates ».
L’aboutissement ultime d’une telle voie de recherche pourrait être la modification de l’ADN humain. « C’est l’illustration qu’il n’existe aucune limite à la manipulation du vivant », s’exclame ainsi le Dr Alexandre. Mais, pour Thomas Lavergne, « le système n’étant pas auto-réplicatif, il n’y a pas d’échappement possible ». Les craintes éthiques concernant la sécurité de telles manipulations n’auraient pas lieu d’exister. En thérapeutique, le champ des applications serait très vaste. « L’utilisation des petites protéines est en plein essor, explique Thomas Lavergne. Avec des fonctions supplémentaires, les médicaments antiviraux ou anticancéreux gagneraient en efficacité ». Si pour le Dr Laurent Alexandre, il ne faut rien en attendre à court terme « pas avant une dizaine d’années », le chercheur Thomas Lavergne est plus optimiste. « Si la prochaine étape du passage à l’ARN est validée, on peut espérer des choses d’ici 2 à 3 ans. Sinon, il faudra repartir sur la recherche d’une paire de bases artificielles, plus fiable, plus stable ».
Nature, publié en ligne le 8 mai 2014
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