Une percée remarquable dans l'exploration du microbiote

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Publié le 03/05/2016
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Crédit photo : PHANIE

Deux études de cohortes belge et hollandaise offrent une vue sans précédent sur les variations du microbiote dans la population. Ces travaux, publiés dans « Science* », mettent au jour des facteurs liés à sa composition : consistance des selles, médicaments, alimentation et chromogranine A fécale…

« Notre étude fournit une quantité importante de nouveaux aperçus sur la composition du microbiote chez les personnes normales. La plupart des précédentes études s’intéressaient à des maladies spécifiques ou portaient sur une plus petite zone géographique. Or il est essentiel d’analyser la flore intestinale “moyenne” si l’on veut développer des diagnostics et des médicaments basés sur les bactéries intestinales. Il faut d’abord comprendre ce qui est normal pour pouvoir comprendre et traiter la maladie », souligne le Pr Jeroen Raes (université KU Leuven, Belgique) qui a lancé en 2012 l’étude belge FGFP (Flemish Gut Flora Project).
« Au total, nous avons découvert 60 facteurs alimentaires qui influencent la diversité. Il est encore difficile de savoir exactement ce que cela signifie. Cependant, la diversité est bien corrélée à la santé », précise pour sa part le Dr Alexandra Zherkulova (université de Groningen, Pays-Bas).

 

664 genres bactériens identifiés

 

Falony, Raes et coll. ont analysé les selles de 1 106 sujets d’une cohorte belge (FGFP ; découverte) et de 1 135 adultes d’une cohorte hollandaise (Life-Lines-DEEP ; réplication). En combinant ces données à celles de cohortes anglaises et américaines, soit au total 4 000 personnes, ils ont identifié une richesse de 664 genres bactériens, avec un « noyau commun » de 17 genres bactériens retrouvé chez chacun dans cette cohorte occidentale. En ajoutant des échantillons de Nouvelle-Guinée, du Pérou et de Tanzanie, le noyau commun universel se réduit à 14 genres bactériens.

Parmi 503 paramètres étudiés, la consistance des selles montre la plus forte association avec la composition du microbiome. Le facteur associé à la plus grande variation du microbiome est la prise de médicaments (n = 13) : antibiotiques et laxatifs, mais aussi les antihistaminiques, les hormones féminines, les benzodiazépines et antidépresseurs, et des médicaments pour les maladies inflammatoires intestinales.

 

Chocolat noir et Lachnospiraceae

 

Comme prévu, l’âge, le poids et le sexe affectent la flore, ainsi que certains facteurs alimentaires, notamment la consommation de fibres, de bière… Parmi les surprises, une augmentation des bactéries Lachnospiraceae est observée chez les amateurs de chocolat noir. D’autres facteurs non identifiés jusqu’ici, comme le taux des globules rouges et le taux d’hémoglobine, montrent que la capacité d’assimilation de l’oxygène sanguin affecte la composition du microbiome. Ces facteurs devront être pris en compte dans les futures études de maladies.
De façon remarquable, certains événements précoces de la vie ne sont pas reflétés dans la composition du microbiote adulte, comme le mode d’accouchement et l’allaitement. Par contre, une vie en zone rurale plutôt qu'urbaine dans les 5 premières années est associée à une plus grande richesse du microbiote adulte.

 

La chromogranine A fécale, biomarqueur potentiel de santé intestinale.

 

Zhernakova et coll. ont étudié l’association entre 207 paramètres et le microbiome dans la cohorte hollandaise (1 135 adultes). Ainsi, 126 facteurs ayant trait à l’alimentation, au mode de vie, à la prise de médicaments et à la santé se révèlent expliquer environ 20 % de la variation interindividuelle de la composition microbienne.
Les facteurs les plus fortement associés à la composition du microbiome dans cette étude sont les taux de plusieurs protéines sécrétées dans les selles, comme la calprotectine – un marqueur de l’activation du système immunitaire, la bêta-défensine-2 humaine (HBD-2) – un marqueur de défense contre l’invasion microbienne, et la chromogranine A (CgA) – un marqueur d’activation du système neuro-endocrinien. Cette dernière montre la plus forte association, avec de faibles taux de CgA corrélés a une grande diversité et richesse fonctionnelle et une alimentation riche en fruits et légumes. Quelque 61 espèces bactériennes sont exclusivement associées à la CgA. Selon les chercheurs, la chromogranine A fécale pourrait offrir un biomarqueur prometteur de santé intestinale.

 

Des variations possibles après un infarctus

 

Plusieurs facteurs alimentaires typiques d’un régime occidental, comme l’apport énergétique élevé, le grignotage, le lait entier, un apport élevé en carbohydrates, et les sodas sucrés sont associés à une diversité microbienne plus faible, tandis que les consommations de café, thé et vin rouge sont associées à une plus grande diversité.
Même une crise cardiaque peut changer le microbiome ; ainsi les personnes ayant un antécédent d’infarctus du myocarde hébergent une plus faible quantité d’Eubacterium eligens.

Si ces études représentent une avancée, il reste de nombreuses inconnues. Les facteurs étudiés n’ont pu expliquer qu’une fraction de la variation du microbiome – 8 % dans l’étude belge, 20 % dans l’étude hollandaise. De plus, selon les estimations du Pr Raes, il faudra étudier au moins 40 000 autres échantillons de selles pour capter la biodiversité complète de la flore intestinale, avec une estimation d’environ 784 genres bactériens. Enfin, parmi ces associations, il reste à déterminer quelles sont les causes et les conséquences. Des études de suivi, de taille plus grande, sont déjà prévues.

* Science 29 avril 2016, Falony et coll., Zhernakova et coll.

Dr Véronique Nguyen

Source : lequotidiendumedecin.fr