Y a-t-il un bénéfice à éradiquer Helicobacter pylori chez des patients sous aspirine à faible dose en prévention primaire des ulcères gastroduodénaux ? Le travail mené par l'équipe de Chris Hawkey de l'université de Nottingham du Royaume-Uni et paru dans le « Lancet » tend à montrer que oui, mais uniquement dans les 2,5 ans suivant l'introduction de l'aspirine (1).
« L'aspirine à faible dose est utile pour protéger les personnes présentant un risque accru d'infarctus du myocarde et d'accident vasculaire cérébral. Cela est dû à sa capacité à inhiber la thrombose. Malheureusement, elle augmente également le risque d'hémorragie, notamment d'ulcère gastrique, dont la principale cause est la bactérie Helicobacter pylori, indique Chris Hawkey. Aucune équipe avant nous n'avait montré que l'éradication d’ Helicobacter pylori par un traitement antibiotique d'une semaine réduit le risque d'ulcère chez les personnes sous aspirine sans antécédent. »
Le Dr Frédéric Heluwaert du service d'hépato-gastroentérologie du centre hospitalier Annecy Genevois, qui n'a pas participé aux travaux, salue « une grande et belle étude qui tente de répondre à une question courante en soins courants », alors que « nous ne disposions jusque-là que de données en prévention secondaire ».
En France, la Haute Autorité de santé, dans ses recommandations de 2019, préconise la recherche d'une infection et son traitement avant la prise d’aspirine à faible dose uniquement en cas d’antécédent d’ulcère gastrique ou duodénal.
Une réduction de 65 % du risque d'hospitalisation ou de décès à 2,5 ans
Entre le 14 septembre 2012 et le 22 novembre 2017, plus de 30 000 patients âgés de plus de 60 ans et sous aspirine à faible dose ont été inclus dans l'étude Heat (Helicobacter Eradication Aspirin Trial), impliquant 1 208 centres de soins primaires britanniques. Un test respiratoire à l'urée a été réalisé pour chacun des participants : un résultat positif a été obtenu pour 5 367 patients (17,8 %).
Pour l'analyse, 5 352 d'entre eux, âgés en moyenne de 73,6 ans, ont été randomisés pour recevoir soit un traitement visant une éradication active (n = 2 677), soit un placebo (n = 2 675). Ils ont été suivis pendant une durée médiane de cinq ans. Le traitement consistait en la prise orale d'une combinaison de deux antibiotiques (clarithromycine et métronidazole) et d'un inhibiteur de la pompe à protons (IPP, lansoprazole), deux fois par jour pendant une semaine.
Le critère principal de l'étude portant sur le délai d'hospitalisation ou de décès dû à un ulcère gastroduodénal n'a pas été atteint pendant les cinq ans de suivi. « Les auteurs ont dû changer leur objectif », souligne le Dr Heluwaert. En effet, ils ont finalement réalisé une analyse en deux temps, portant sur deux périodes de 2,5 ans.
Une réduction significative de 65 % du risque d'hospitalisation ou de décès lié à un ulcère gastroduodénal certain ou probable a ainsi été observée dans les 2,5 ans de suivi pour le groupe « éradication » par rapport au groupe contrôle, avec six épisodes de saignements d'ulcère pour 1 000 personnes-années contre 17. Ce bénéfice ne persiste toutefois pas à cinq ans.
« Il est difficile d'expliquer pourquoi le bénéfice ne perdure pas. En revanche, on constate un vrai bénéfice à éradiquer Helicobacter pylori lorsqu'on introduit un traitement par aspirine, note le gastroentérologue. Des résultats similaires avaient déjà été retrouvés avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens, avec là aussi des résultats peu probants sur le long cours. »
Des résultats qui ne plaident pas pour une généralisation
Si les auteurs soulignent « l'utilité clinique potentielle » de leurs résultats, ils estiment qu'ils ne plaident pas pour autant en faveur d'une généralisation de l'éradication d'Helicobacter pylori au Royaume-Uni, au-delà des patients à haut risque d'ulcère gastroduodénal. En effet, dans la population étudiée, « il faut traiter en moyenne 238 patients pour éviter une hospitalisation ou un décès », rapporte le Dr Heluwaert.
En France, la prévalence de l'infection à Helicobacter pylori est cependant plus élevée que celle observée au Royaume-Uni, dépassant les 30 %, alors qu'elle est de moins de 18 % dans l'étude. « On peut donc supposer qu'avec une prévalence plus importante, l'avantage de l'éradication serait plus élevé », avance-t-il. Et d'ajouter que « l'éradication de la bactérie a également un intérêt pour prévenir l'apparition de cancer ». Selon l'Institut national du cancer (Inca), 80 % des cas de cancer de l'estomac sont liés à Helicobacter pylori.
Une baisse de la mortalité par ulcère
« Les taux de saignement d'ulcère étaient beaucoup plus bas que prévu, suggérant que l'aspirine pourrait être plus sûre que ce que l'on pensait auparavant », estime Chris Hawkey. D'après les chiffres de l'Office national des statistiques britannique (ONS) rapportés par les auteurs, le nombre de décès par ulcère gastrique est passé de 1 628 en 2001 à 641 en 2019 et 531 en 2020. « Le risque de mourir d'un ulcère gastroduodénal au Royaume-Uni a été diminué par trois en 20 ans », résume le Dr Heluwaert.
Plusieurs explications à cela selon le spécialiste. « Du fait de l'amélioration des conditions d'hygiène, nous sommes de moins en moins affectés par Helicobacter pylori. Les populations les plus jeunes sont moins à risque de contamination et donc moins à risque d'ulcère, explique le gastroentérologue. Il est donc probable que la mortalité par ulcère continue de diminuer. » L'étude montre aussi une moindre prescription d'aspirine avec le temps.
En revanche, le recours aux IPP est en hausse, constate le spécialiste, soulignant leur effet protecteur. « En 20 ans, j'ai pu observer des prescriptions larges d'IPP et de moins en moins d'ulcères. Même infectés par Helicobacter pylori, les patients sous IPP au long cours sont protégés », note-t-il.
Dans un commentaire associé paru également dans le « Lancet » (2), les Prs Angel Lanas du service des maladies digestives de l'hôpital clinique universitaire de Saragosse (Espagne) et Francesca Santilli du département de médecine et du vieillissement de l'université de Chieti (Italie) estiment que l'essai Heat apporte des enseignements importants.« L'effet de l'éradication d’ Helicobacter pylori n'est pas aussi fort que prévu et ne devrait pas modifier les directives actuelles de pratique clinique », écrivent-elles.
(1) C. Hawkey et al, Lancet. 2022. doi: 10.1016/S0140-6736(22)01843-8
(2) A. Lanas et al, Lancet, 2022. doi: 10.1016/S0140-6736(22)02000-1
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