Une dysbiose à l'origine d'un déficit en acides biliaires secondaires

Rectocolite hémorragique, une piste contre la pochite

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Publié le 27/03/2020
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Des chercheurs californiens montrent qu'il existe un déficit en acides biliaires secondaires chez les sujets opérés d'une rectocolite hémorragique. Un déséquilibre du microbiote en serait à l'origine. Ces résultats ouvrent des pistes inédites de traitement, comme la supplémentation en acide ursodésoxycholique, pour lutter contre l'inflammation persistante de la poche iléale.
Un traitement pour atténuer l'inflammation intestinale

Un traitement pour atténuer l'inflammation intestinale
Crédit photo : Phanie

Les patients ayant une rectocolite hémorragique (RCH) opérée présenteraient un déficit en acides biliaires secondaires produits par des bactéries intestinales, révèle une étude californienne. Alors que ces acides biliaires secondaires se sont avérés anti-inflammatoires dans trois modèles murins de colite, un essai évalue l'intérêt d'une supplémentation pour traiter la pochite.

Cette découverte soulève l’espoir qu’une supplémentation avec les métabolites manquants, ou peut-être la restauration des bactéries intestinales qui les produisent, puisse offrir un traitement pour atténuer l'inflammation intestinale des patients atteints de rectocolite hémorragique (RCH) et peut-être aussi des patients atteints de la maladie de Crohn, une autre maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI).

« Cette étude nous aide à mieux comprendre la maladie. Nous espérons que cela nous permettra également de la traiter avec un métabolite naturel qui est déjà présent en grande quantité dans l’intestin en bonne santé », précise la Dr Aida Habtezion, gastro-entérologue à l’université de Stanford en Californie, qui a dirigé l’étude publiée dans la revue Cell Host & Microbe.

Une pochite persistante chez 50 % des patients

Les patients atteints de RCH sévère étendue doivent parfois subir l’ablation du côlon et du rectum (coloprotectomie) avec création d’une poche iléale (anastomose iléo-anale), ce qui assure leur guérison. Cependant, 50 % de ces patients continuent d’avoir une inflammation de la poche iléale, ou pochite, qui est traitée par antibiotiques.

De façon remarquable, les patients subissant la même intervention chirurgicale pour une affection génétique non inflammatoire, la polypose adénomateuse familiale (PAF), ne développent pas de pochite.

L'équipe du Dr Atul Sinha (Leicester Royal Infirmary, Leicester, Grande-Bretagne) a examiné si les acides biliaires pouvaient jouer un rôle dans l’inflammation intestinale de la RCH. Les acides biliaires primaires, synthétisés dans le foie à partir du cholesterol et libérés dans l’intestin pour émulsifier les graisses, peuvent être transformés par des bactéries du côlon en acides biliaires secondaires (ABS), lesquels figurent parmi les métabolites bactériens les plus abondants dans le côlon.

Un essai testant l'acide ursodésoxycholique

Les chercheurs ont donc étudié les selles (métabolome, microbiome, métagénome, transcriptome) dans la poche iléale des patients traités par colectomie pour une RCH (n= 17) ou pour une PAF (n= 7). Ils ont ainsi constaté que, comparée à la PAF, la poche iléale dans la RCH montre un déficit en acide lithocholique et en acide désoxycholique, ainsi qu’une baisse en Ruminococcaceae, l’une des rares familles de bactéries productrices des ABS.

Ces ABS sont effectivement anti-inflammatoires, comme le montre une expérience de supplémentations dans trois modèles murins de colite qui atténuent l’inflammation intestinale. « Ces données suggèrent que la dysbiose provoque un déficit en ABS chez les patients atteints de RCH, et ce déficit favorise un état pro-inflammatoire dans l’intestin qui pourrait être traité par une restitution des ABS », notent les auteurs.

L’équipe de Stanford a déjà lancé un essai de phase II pour évaluer si une supplémentation orale en acide ursodésoxycholique, un acide biliaire secondaire naturel prescrit pour des affections biliaires (sclérose biliaire primitive, calculs biliaires), pouvait être bénéfique chez les patients atteints de RCH qui souffrent d’une pochite réfractaire aux antibiotiques. « Nous sommes encore à la phase précoce de notre étude. J’espère que nous aurons quelques résultats préliminaires avant la fin de l’année », confie au « Quotidien » le Dr Sidhartha Sinha, qui dirige l’essai clinique.

S. Sinha et al., Cell Host & Microbe, 10.1016/j.chom.2020.01.021, 2020

Dr Véronique Nguyen
RCH

Source : Le Quotidien du médecin