PAR LE Pr PHILIPPE DUCROTTE
BIEN COMPRENDRE la plainte est une étape initiale indispensable. Le ballonnement abdominal correspond à la sensation subjective d’une distension abdominale associée ou non à une distension objective. L’interrogatoire doit le distinguer de la gêne apparue au décours d’une prise de poids et liée à l’élévation de la pression intra-abdominale due à l’adiposité abdominale et d'une plénitude épigastrique postprandiale s’intégrant dans un syndrome dyspeptique.
Ballonnement : pourquoi ?
Le ballonnement peut découler d'une perturbation du transit des gaz dans l’intestin, d'une hypersensibilité viscérale, plus rarement d'une production excessive de gaz dans l’intestin et, enfin, surtout dans le cas d’un ballonnement isolé, d'un dysfonctionnement des muscles de la sangle abdominale. Plusieurs de ces facteurs sont souvent retrouvés chez un même patient.
Beaucoup de ballonnés souffrent d’une altération du transit intestinal des gaz secondaire, par défaut de propulsion ou résistance accrue à l’écoulement. La séquestration des gaz s’accompagne de variations limitées du périmètre abdominal. La gêne la plus intense est déclenchée par une rétention jéjunale.
Une seconde explication à la sensation de ballonnement est une hypersensibilité viscérale qui rend le sujet anormalement sensible aux mouvements intestinaux d'un volume normal de gaz. Elle peut être d’origine périphérique (sensibilisation des terminaisons sensitives périphériques) ou centrale (trouble de l’intégration corticale des messages sensitifs digestifs). Ce mécanisme concernerait particulièrement les ballonnés à abdomen plat.
Le rôle d’une production excessive de gaz est le plus discuté. Une hyperproduction de gaz pourrait exister dans un sous-groupe de malades, notamment ceux souffrant de SII. En dehors d'une possible malabsorption du lactose, l’excès de gaz peut aussi découler d’une malabsorption de sucres, tels que le fructose. Ce type de malabsorption est peut-être sous-estimé alors que l’exclusion de ces sucres conduit à une amélioration significative. La production excessive de gaz pourrait être liée également à des modifications de la flore intestinale. Au cours du SII, la flore colique se caractérise par une surreprésentation de certaines espèces non dominantes et une réduction des bifidobactéries au sein de la flore dominante. La flore colique est en outre beaucoup plus instable que dans une population témoin . Ces modifications de la flore colique paraissent susceptibles d’influencer les processus de fermentation. Par ailleurs, un sous-groupe de malades décrivant un SII souffre d’une pullulation bactérienne pouvant favoriser un ballonnement par l’intermédiaire d’une production accrue de gaz au niveau de l’intestin grêle.
La dernière anomalie, la plus récemment identifiée, est un dysfonctionnement de la sangle abdominale avec mauvaise coordination abdomino-phrénique. Dans les conditions normales, l’augmentation du volume gazeux colique déclenche une contraction des muscles abdominaux et une relaxation du diaphragme pour assurer la répartition harmonieuse des gaz et prévenir une sensation de distension. Chez certains patients ballonnés, on observe une relaxation inappropriée des muscles de la sangle abdominale avec parallèlement une relaxation insuffisante du diaphragme qui est à l’origine d’une sensation d’hyperpression abdominale. L’origine de cette mauvaise coordination abdomino-phrénique demeure obscure.
Que proposer aux malades.
Ces progrès récents dans la compréhension du ballonnement abdominal ne se sont pas soldés jusqu’alors par des avancées thérapeutiques réellement significatives. Ainsi, aucune solution, en dehors du port d’une ceinture n’existe actuellement pour corriger un dysfonctionnement des muscles antérieurs de la sangle abdominale. En outre, face à un malade donné, nous ne disposons pas de tests simples de routine permettant d’appréhender la physiopathologie du symptôme. L’approche thérapeutique demeure donc empirique.
Le niveau de preuve de l’efficacité des absorbants des gaz, en dehors de la siméticone, demeure insuffisant. La régularisation du transit doit être obtenue mais la consommation de fibres, notamment de son, doit être limitée en raison du rôle délétère de ces fibres sur la production et le transit des gaz. À côté de l’éviction d’aliments très fermentescibles ou à forte teneur en fructose, les autres options thérapeutiques sont les prokinétiques ou les médicaments agissant sur la sensibilité viscérale (antidépresseurs tricycliques à faible dose).
Les bases physiopathologiques rappelées plus haut rendent logique d’essayer d’agir sur une éventuelle dysbiose par des antibiotiques ou des probiotiques. La rifaximine, antibiotique peu absorbable, non encore disponible en France, a obtenu des résultats intéressants. L’une des autres pistes prometteuses est celle des probiotiques qui se définissent comme des organismes bactériens vivants exerçant des effets bénéfiques sur l’individu qui les ingèrent. Plusieurs essais récents méthodologiquement solides ont mis en évidence, au cours du SII, des résultats symptomatiques indiscutables sur le ballonnement abdominal. Restent à déterminer la meilleure souche à proposer et la dose quotidienne.
Les approches non médicamenteuses ne doivent pas être oubliées. L’hypnose paraît bénéfique en améliorant le vécu du symptôme. Un exercice physique modéré (pédalage sur un vélo d’intérieur) est également conseillé, car il est susceptible de diviser par 2 le volume des gaz retenus.
La physiopathologie du ballonnement abdominal est mieux comprise. Il s’agit à l’évidence d’une situation multifactorielle avec des anomalies probablement variables d’un consultant à un autre et une association de dysfonctionnements chez un même malade. Le symptôme trouve son origine principalement dans des dysfonctionnements de l’intestin grêle. Les progrès thérapeutiques sont encore limités mais le démembrement de la physiopathologie doit conduire à la réalisation d’essais thérapeutiques dans des sous-groupes de patients mieux caractérisés. Les probiotiques paraissent une des options thérapeutiques les plus séduisantes.
* CHU de Rouen
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