Les questions des internautes du Quotidien du Médecin :
Quelle est la relation entre la longueur et le microbiote de l'intestin et l'obésité ?
Réponse du Pr MATUCHANSKY :
Je répondrai d'abord sur les relations "microbiote intestinal-obésité". De nombreuses études ont démontré d'importantes altérations, moléculaires phylogénétiques (phylum = embranchement, dans la taxinomie des bactéries) et fonctionnelles, de la flore bactérienne fécale chez l'animal (notamment chez la souris et son remarquable modèle "ob/ob" d'obésité génétique, dont le transfert du microbiote fécal à des souris non-obèses induit une augmentation significative des dépots graisseux), et chez l'homme.
Au cours de l'obésité, comme dans les maladies inflammatoires chroniques cryptogénétiques de l'intestin, la diversité bactérienne fécale diminue et le rapport Firmicutes/Bacteroidetes est modifié, mais en sens inverse : il augmente par augmentation des Firmicutes (plus spécifiquement celle de la classe des Mollicutes), et diminution des Bacteroidetes (en particulier du groupe bactérien Bacteroides/Prevotella).
De plus, les mêmes modifications de la diversité phylogénétique bactérienne des selles et du rapport Firmicutes/Bacteroidetes sont observées dans le microbiote fécal de jumeaux monozygotes et dizygotes concordants en terme d'obésité ou de minceur corporelle. Constatation très intéressante et confirmative d'une signature moléculaire : la valeur du rapport Firmicutes/Bacteroidetes diminue chez l'obèse après perte significative de poids (par régime appauvri en graisses ou en hydrates de carbone) pour approcher celle du rapport Firmicutes/Bacteroidetes d'un sujet mince ; de même, la dépletion en Bacteroidetes (notamment celle du groupe bactérien Bacteroides/Prevotella) se corrige après chirurgie bariatrique.
Enfin, a été récemment confirmée, chez l'homme obèse en restriction calorique, l'observation expérimentale selon laquelle une bactérie dégradant la mucine, Akkermansia muciniphila, s'associe à une plus grande diversité bactérienne fécale et une amélioration métabolique (glycémie, triglycéridémie, dépots graisseux) [voir : Dao MC et al. Akkermansia muciniphila and improved metabolic health during a dietary intervention in obesity : relationship with gut microbiome richness and ecology. Gut 2016;65 (mars):426-436]. Les retombées thérapeutiques pratiques, en clinique, restent à démontrer, mais font présentement l'objet de très nombreuses études.
Pour ce qui est de la longueur de l'intestin, je répondrai non pas directement sur la longueur de l'intestin lui-même, n'ayant pas connaissance de données probantes, mais sur la surface d'absorption du grêle proximal, grâce aux résultats, tout à fait passionnants, d'une récente étude, effectuée chez l'homme et publiée en 2015 dans Cell Metabolism [Monteiro-Sepulveda M et al. Jejunal T cell inflammation in human obesity correlates with decreased enterocyte insulin signaling. Cell Metabolism 2015; 22 (7 juillet):113-124] : il y est montré que, par comparaison à des sujets minces, les sujets obèses ont une augmentation significative (x1,5) de leur surface d'absorption jéjunale (hyperplasie des villosités jéjunales par augmentation de leur hauteur -sans modification de leur largeur- avec augmentation de la profondeur des cryptes, du fait d'une diminution de l'apoptose cellulaire locale), parallèlement à une augmentation numérique locale des cellules de l'immunité innée et adaptative et à une diminution de la sensibilité insulinique locale des entérocytes (probablement du fait d'une sécrétion exagérée de cytokines pro-inflammatoires par les cellules T intestinales qui sont, localement, plus nombreuses au niveau de l'épithélium et, partant, modifient la localisation du transporteur GLUT2 du glucose). L'inflammation chronique intestinale est donc un facteur d'insulinorésistance au cours de l'obésité humaine, et l'augmentation de la surface d'absorption entérocytaire pourrait s'y associer voire y contribuer par l'augmentation du nombre des cellules inflammatoires locales.
À la lecture des revues médicales, le microbiote est servi depuis quelques mois à toutes les sauces. Quelle est la réalité des promesses de la recherche dans ce domaine ?
La médiatisation excessive du microbiote intestinal a, effectivement et parallèlement, hypertrophié les promesses cliniques tirées de la recherche. Il n'en reste pas moins que cette recherche est forte et d'une grande qualité. Elle a conceptualisé mais aussi démontré expérimentalement deux traits essentiels du microbiote intestinal :
- c'est un "métagénome", ou "deuxième génome", après notre génome germinal ;
- c'est un "organe" microbien qui, via notamment le système nerveux autonome et ses neuromédiateurs, est en connexion fonctionnelle étroite avec notre système nerveux, végétatif (en particulier le nerf vague) et central, ce qui a fait parler, de façon peut-être un peu trop médiatique, de "cerveau intestinal", de "cerveau d'en bas" ou de "cerveau caché" ("hidden brain" ou "hidden organ" dans l'abondante littérature anglo-saxonne sur le sujet).
Je souhaite souligner quatre points :
- l'essentiel des conclusions cliniques actuelles, sources d'hypothèses thérapeutiques, est tiré des résultats de recherches expérimentales, notamment sur la souris et le rat, dont le microbiote intestinal est, qualitativement, proche de celui de l'homme ;
- chez l'homme, les études les plus remarquables ont porté sur la caractérisation moléculaire phylogénétique du microbiote intestinal (notamment avec la première publication mondiale, en 2010 dans Nature, du séquençage du métagénome de 124 individus européens, par le MetaHIT -"Metagenomics of the Human Intestinal Tract"-, consortium de recherche entre l'Europe et la Chine, où la France et très particulièrement les chercheurs de l'INRA ont joué un rôle scientifique essentiel) ;
- chez l'homme, les études cliniques, à visée thérapeutique et à protocole méthodologiquement rigoureux, beaucoup moins nombreuses que les études expérimentales, concernent surtout les troubles fonctionnels intestinaux, notamment le syndrome de l'intestin irritable, les conséquences de l'antibiothérapie sur le microbiote digestif (notamment l'infection à Clostridium difficile et plus particulièrement ses formes cliniquement expressives et récidivantes ou récurrentes), et les maladies inflammatoires chroniques cryptogénétiques de l'intestin (Crohn, RCH et colites inclassées) ; les résultats de ces études thérapeutiques [menées à l'aide de probiotiques, de prébiotiques, de symbiotiques ou plus récemment de "transplantation de microbiote fécal" (TMF), encore appelé "transfert de flore"] ne permettent pas de conclusions affirmées, sauf pour ce qui est de la TMF (assurée par un service spécialisé) dans les formes cliniquement récidivantes ou récurrentes d'infection intestinale à C. difficile ;
- enfin, chez l'homme, le rôle, conceptuellement séduisant et peut-être déterminant, du microbiote -notamment intestinal- dans la physiopathologie de nombreuses affections, a priori éloignées de la pathologie intestinale, est possible ou même probable (en raison de la caractérisation de "signatures moléculaires" à l''examen du microbiote fécal), mais reste à démontrer.
Que pensez-vous, cher confrère, de l'engouement du grand public pour l'intestin (je pense notamment à l'énorme succès de librairie rencontré par cette jeune Allemande) ?
L'intestin et ses fonctions ont longtemps été considérés, certes, comme essentiels mais néanmoins moins nobles, dans l'économie de l'organisme, que des organes jugés vraiment "vitaux" (et faisant l'objet du plus grand nombre de transplantations !), tels que le cœur, le rein et le foie.
La médiatisation, au cours de ces toutes dernières années, de fonctions potentiellement nouvelles de l'intestin [notamment celles liées à l'organe intra-luminal"microbiote intestinal", composé de 1014 bactéries (10 à 100 fois plus nombreuses que l'ensemble des cellules du corps humain) et pesant 1 à 1,5 kg (!)], l'importance croissante donnée à l'hygiène alimentaire ("Nous sommes ce que nous mangeons" et "Que ton aliment soit ta seule médecine" selon Hippocrate) et l'impression croissante d'être maître de son bien-être par l'alimentation, le battage médiatique autour des bienfaits allégués du régime sans gluten, ainsi que les campagnes publicitaires pour les probiotiques et la "santé digestive", et les campagnes de dépistage du cancer colo-rectal expliquent, au moins partiellement, cet engouement, indépendamment de la présentation attrayante, dans le titre et l'ouvrage que vous citez, d'un organe jusque là jugé "peu propre".
D'ailleurs cet ouvrage n'est pas le seul, en matière "d'intestin", à rencontrer le succès, puisqu'un autre livre, publié même quelques mois avant "Le charme discret de l'intestin" de Giula Enders et redigé cette fois par une française, le professeur (de nutrition ) Francisca Joly-Gomez, est actuellement aussi un "best-seller", sous le titre de "L'intestin, notre deuxième cerveau".
En dehors de la maladie coeliaque, y a-t-il d'autres indications au régime sans gluten ?
En dehors de la maladie coeliaque (MCA), les indications au régime sans gluten (RSG), scientifiquement démontrées et cliniquement confirmées, sont limitées à l'allergie vraie, à médiation IgE, au blé et aux diverses protéines de blé : cette allergie alimentaire authentique frappe 0,1 à 1% des enfants (avec signes cutanés, gastrointestinaux et/ou respiratoires), mais persistant rarement à l'âge adulte (elle pourrait expliquer certains cas, rares, de choc anaphylactique, d'origine alimentaire mais apparaissant à l'effort peu de temps après un repas) ; le diagnostic est impérativement à confirmer par le taux élévé des IgE sériques anti-protéines de blé, et des tests cutanés.
Reste le problème actuel de la dite "sensibilité non-coeliaque au gluten" (SNCG) (parfois appelée, encore plus improprement, par le terme "fourre-tout" d'intolérance au gluten) : elle est source d'une véritable mode du RSG chez des sujets non-coeliaques, accusant des troubles protéiformes à type de douleurs abdominales mal caractérisées (parfois réunies dans un syndrome de l'intestin irritable avec ballonnement abdominal, ou dans un syndrome dyspeptique avec sensation de plénitude gastrique et de digestions lentes), une asthénie, des signes à type de fibromyalgies, des aphtes buccaux, des douleurs articulaires peu systématisées, un contexte établi d'autoimmunité (non-coeliaque), un terrain anxieux ou dépressif, tous symptômes pouvant régresser sous RSG et rechuter à son arrêt. Il n'y a pas de marqueur biologique de ce syndrome de SNCG (la sérologie de la MCA -anticorps de classe IgA anti-transglutaminase et anti-endomysium - est, bien sûr, négative) : c'est dire la subjectivité de son diagnostic, et la variabilité de sa prévalence estimée [jusqu'à 13-15 % (!?) dans les pays occidentaux] (celle de la maladie coeliaque prouvée n'y est que de 1% en moyenne.
Le syndrome de SNCG est la source d'un engouement, souvent injustifié, pour le RSG : aux Etats-Unis, près de 20 % de la population consommerait des produits sans gluten, mode qui fait la joie (et le profit) des industriels de l'alimentation. En l'absence de biomarqueur(s), le terme de "SNVG auto-rapportée" a été suggéré. Il est probable qu'existe un petit nombre de sujets (parfois du groupe HLA-DQ2) ayant une vraie sensibilité non-coeliaque au gluten ou à des protéines autre que le gluten (le terme de "sensibilité non-coeliaque au blé" a été suggéré, par exemple à des protéines végétales, présentes dans le blé, dites ATI –inhibitrices (I) d'enzymes telles que amylase (A) et trypsine (I)-), et qu'un grand nombre de cas de SNCG correspond à des troubles fonctionnels intestinaux répondant à la soustraction des "FODMAPs" (oligo-,di-, monosaccharides et polyols fermentescibles) de l'alimentation.
La greffe fécale est-elle un espoir dans la maladie de Crohn ?
L'idée d'une "bactériothérapie" dans les maladies inflammatoires chroniques cryptogénétiques de l'intestin (MICIs) est venue notamment de l'hypothèse, conceptuellement forte et qui reste probable, d'une dysbiose bactérienne intestinale (caractérisée par une diminution de la diversité bactérienne fécale, aux plans phylogénétique et fonctionnel, des Firmicutes -notamment du groupe des Clostridium leptum et très particulièrement de Faecalibacterium prausnitzii- avec diminution ou inversion du rapport Firmicutes/Bacteroidetes et expansion des Protéobactéries) dans la pathogénie et/ou la perpétuation de ces affections ; cette dysbiose s'associeà une réaction immunitaire locale déréglée et à des facteurs génétiques tels qu'un polymorphisme par exemple de NOD2 (encoding nucleotide-binding oligomeriza¬tion domain-containing protein 2). Dans les MICIs, le dérèglement immunitaire affecte notamment la réponse inflammatoire normale de l'intestin aux motifs moléculaires bactériens -les "Microbe-associated molecular patterns" (MAMPs) de la littérature anglo-saxonne- ; ces MAMPs sont percus par des récepteurs locaux de l'immunité innée -les "Toll-like receptors (TLRs)" de la littérature anglo-saxonne-, qui, en présence des bactéries commensales, induisent physiologiquement une inflammation équilibrée et une bonne clairance antigénique locales.
Expérimentalement (chez les rongeurs -animaux habituels d'étude de l'inflammation intestinale au laboratoire), il est frappant d'observer que les animaux axéniques (dépourvus de flore intestinale) ne font pas de colite expérimentale, pourtant si facilement déclenchée chez les animaux holoxéniques à flore conventionnelle.
Chez l'homme, dans la maladie de Crohn (ou la RCH), les essais de bactériothérapie par probiotiques, prébiotiques ou symbiotiques n'ont pas scientifiquement prouvé d'effet thérapeutique. La "transplantation de microbiote fécal" (TMF), encore appelée "transfert de flore" ("bactériothérapie fécale"), a fait l'objet, au cours des MICIs, d'une revue systématique récente (voir : Wang ZK et al. Intestinal microbiota pathogenesis and fecal microbiota transplantation for inflammatory bowel disease. World J Gastroenterol 2014; 20(40): 14805-14820) : des cas de rémission clinique -parfois très convaincants sur le plan symptomatique- ont été rapportés, et cela, plus souvent semble-t-il, dans la RCH que dans la maladie de Crohn, mais la preuve endoscopique de la rémission manque le plus souvent ; les études controlées manquent aussi et l'innocuité de la méthode, notamment chez des sujets en immunosuppression, est formellement à démontrer. La TMF reste, dans les MICIs, un outil potentiellement très intéressant, actuellement à l'étude en services spécialisés et dans des situations bien définies (incluant des cas d'association "MICI-infections récurrentes à C. difficile"). En particulier, est à définir le rôle thérapeutique éventuel de Faecalibacterium prausnitzi (bactérie commensale de l'intestin appartenant au groupe Clostridium leptum), dont la proportion est diminuée de façon significative et très frappante dans les microbiome fécal et juxta-muqueux des patients atteints de maladie de Crohn, et qui exprime expérimentalement in vitro et in vivo chez la souris, des protéines à puissante action anti-inflammatoire [voir Quévrain E et al. Identification of an anti-inflammatory protein from Faecalibacterium prausnitzii, a commensal bacterium deficient in Crohn’s disease. Gut 2016; 65 (mars): 415-425].
Donc oui, la greffe fécale est un espoir, mais à transformer en réalité scientifique et clinique dans un proche avenir.
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