MISE À PART l’exceptionnelle grossesse intrahépatique, le groupe des hépatopathies gravidiques comprend l’atteinte hépatique liée à l’hyperemesis gravidarum, la cholestase intrahépatique gravidique (CIG), la stéatose hépatique aiguë gravidique (SHAG), et les lésions hépatiques de la pré-éclampsie.
Nausées et vomissements sévères du premier trimestre.
L’hyperemesis gravidarum (environ 1 % des grossesses) correspond à la forme la plus sévère des nausées et vomissements du premier trimestre de la grossesse (2). Ces vomissements entraînent un amaigrissement (par définition› 5 % du poids du corps) et des troubles électrolytiques qui motivent une hospitalisation. Des anomalies des tests hépatiques avec parfois une hypertransaminasémie importante (suggérant une hépatite virale) sont fréquemment associées. Des complications neurologiques secondaires à une carence en vitamine B1, et des complications hémorragiques liées à une carence en vitamine K ont été observées. Le traitement comporte la correction des désordres hydroélectrolytiques, un apport vitaminique par voie parentérale et un traitement antiémétique. L’avis d’un psychiatre est recommandé.
Prurit généralisé.
La cholestase intrahépatique gravidique, ou CIG (environ 0,5 % des grossesses en France) se manifeste le plus souvent durant le deuxième ou le troisième trimestre par un prurit généralisé, très désagréable pour la mère, mais qui s’amende rapidement après l’accouchement. Dans les formes sévères, un ictère apparaît après le prurit. L’examen clinique est normal en dehors des lésions cutanées de grattage. L’activité sérique de l’ALAT peut être supérieure à 10 fois la valeur supérieure de la normale faisant suspecter une hépatite virale aiguë facilement éliminée par les sérologies spécifiques. La concentration sérique des acides biliaires (test hors nomenclature et non remboursable) est augmentée. L’activité sérique de la GGT reste normale ou est modérément augmentée. Le TP est rarement diminué et le taux du facteur V est toujours normal. En cas de diminution, le TP se corrige quelques heures après l’administration de vitamine K par voie parentérale. À l’examen échographique, la vésicule biliaire peut être lithiasique. Le pronostic maternel durant la grossesse est toujours favorable. L’hémorragie de la délivrance par hypovitaminose K doit être prévenue par l’administration parentérale de vitamine K. Les principales complications fœtales sont la prématurité (spontanée et induite), et la mort fœtale in utero (1 à 2 % des cas). La plupart des équipes obstétricales proposent de déclencher l’accouchement avant le terme théorique (entre 36 et 38 semaines d’aménorrhée selon la sévérité) (3). La CIG est une maladie complexe et multifactorielle (4). En France, environ 15 % des femmes ayant une CIG ont une mutation sur le gène ABCB4 codant la protéine MDR3 (multidrug resistance 3). Ce gène est responsable de la PFIC3 (cholestase intrahépatique fibrogène familiale de type 3) ; il est également associé au syndrome LPAC (low phospholipid associated cholelithiasis syndrome) et à certaines formes de cholestase chronique. La cholestase récidive fréquemment lors d’une grossesse ultérieure et parfois au cours d’une contraception orale. Le traitement médical de la CIG repose désormais principalement sur l’acide ursodésoxycholique qui améliore le prurit, les tests hépatiques, et probablement le pronostic fœtal. L’acide ursodésoxycholique (1 gr/jour en deux prises) est prescrit jusqu’à l’accouchement.
SHAG (stéatohépatite aiguë gravidique), stéatose hépatique aiguë gravidique : rechercher la mutation chez la mère et l’enfant.
La stéatose hépatique aiguë gravidique, ou SHAG est une maladie très rare (environ 1/10 000 grossesses) du troisième trimestre dont le pronostic (autrefois le plus souvent mortel) a été transformé par l’accouchement en urgence. Les symptômes initiaux les plus fréquents sont des nausées ou des vomissements, des douleurs abdominales en particulier épigastriques, ou une polyuropolydipsie sans diabète sucré. Une hypertension artérielle et/ou une protéinurie sont fréquentes. La maladie peut évoluer vers une encéphalopathie hépatique et le coma. L’augmentation des aminotransférases est habituellement modérée. Une thrombopénie, parfois révélatrice, une insuffisance rénale et une hyperuricémie sont fréquentes. Dans les formes sévères, les taux de prothrombine, de facteur V et de fibrinogène sont diminués et il peut exister une hypoglycémie qui est caractéristique. L’échographie retrouve rarement un foie hyperéchogène. L’examen tomodensitométrique du foie (sans injection) peut être utile pour le diagnostic en montrant une densité hépatique égale ou inférieure à celle de la rate. Il est indiqué de refaire l’examen quelques jours après l’accouchement, puis éventuellement à distance, à titre de comparaison. Dans les cas atypiques, une biopsie hépatique (habituellement par voie transveineuse) doit être discutée pour confirmer ou infirmer le diagnostic. La principale caractéristique histologique est la stéatose microvacuolaire laissant le noyau en place au centre de l’hépatocyte. Le pronostic maternel est bon à condition qu’il n’y ait pas de retard au diagnostic, mais la SHAG peut récidiver lors d’une grossesse ultérieure (6). L’évacuation utérine est le principal traitement de la SHAG. Les patientes ayant une insuffisance hépatocellulaire sévère doivent être surveillées dans un service de soins intensifs. L’hypoglycémie doit être dépistée et traitée. La SHAG peut être associée à un déficit de la long-chain 3-hydroxyacyl CoA déhydrogénase (LCHAD), une enzyme de la béta-oxydation mitochondriale des acides gras (7,8). Un déficit de la béta-oxydation chez le fœtus peut être responsable de la stéatose aiguë chez la mère en fin de grossesse. La principale mutation (c.1528G›C) sur le gène codant la sous unité alpha de la LCHAD doit être recherchée chez l’enfant et chez la mère (et éventuellement le père) (8). Il existe un risque de mort subite chez l’enfant s’il est porteur de cette mutation (7,8).
Une maladie multisystémique.
La pré-éclampsie (3 à 7 % des grossesses) est une maladie multisystémique d’origine placentaire du troisième trimestre, atteignant en particulier le système nerveux central, le rein, et le foie (9). Les deux principaux signes sont l’hypertension artérielle et la protéinurie. Les lésions hépatiques sont constituées de foyers de nécrose hépatocytaire, d’infarctus et d’hémorragies intrahépatiques (10). Ces lésions peuvent évoluer vers la formation d’un hématome hépatique sous-capsulaire. La rupture de cet hématome est une complication gravissime, en règle due à un retard au diagnostic. Le diagnostic de ces lésions hépatiques est difficile lorsque l’hypertension artérielle est modérée voire absente, ce d’autant que la maladie peut se révéler dans le postpartum. Des douleurs épigastriques typiquement en barre ou de l’hypocondre droit peuvent être révélatrices. L’ictère est rare à l’inverse de ce qui est observé dans la SHAG. Le diagnostic de l’hématome intrahépatique repose habituellement sur l’échographie ou l’examen tomodensitométrique du foie. Le traitement de ces lésions hépatiques repose sur le traitement médical de la pré-éclampsie associé à l’évacuation utérine. Le traitement de la rupture d’un hématome associe la correction du choc hémorragique, l’évacuation utérine en urgence, et une embolisation artérielle ou une laparotomie. La présence d’un syndrome HELLP (hemolysis- elevated liver enzymes-low platelet count) impose le transfert dans une unité spécialisée afin de faire face aux différentes complications foeto-maternelles, et l’extraction fœtale doit être rapidement envisagée.
*Service d’hépatogastroentérologie, hôpital Trousseau, Tours.
**Service d’hépatogastroentérologie, hôpital Cochin, Paris.
(1) Bacq Y. HEPATO-GASTRO et oncologie digestive 2013 (sous presse).
(2) Bottomley C, Bourne T. Best Pract Res Clin Obstet Gynaecol 2009;23:549-64.
(3) Arlicot C, Le Louarn A, Bacq Y, et al. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2012;41:182-93.
(4) Gonzales E, Davit-Spraul A, Baussan C, et al. Front Biosci 2009;14:4242-56.
(5) Bacq Y, Sentilhes L, Reyes HB, et al. Gastroenterology 2012;143:1492-501.
(6) Bacq Y, Assor P, Gendrot C, et al. Gastroenterol Clin Biol 2007;31:1135-8.
(7) Rector RS, Ibdah JA. Semin Fetal Neonatal Med 2010;15:122-8.
(8) Lamireau D, Feghali H, Redonnet-Vernhet I, et al. Arch Pediatr 2012;19:277-81.
(9) Uzan J, Carbonnel M, Piconne O, et al. Vasc Health Risk Manag 2011;7:467-74.
(10) Barton JR, Sibai BM. Semin Perinatol 2009;33:179-88.
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