Dr ADRIANOS GOLEMIS : Quel est votre rôle auprès de Thomas Pesquet et des autres astronautes ?
LE QUOTIDIEN : Je travaille au Centre européen des astronautes (EAC) via le Medes, l’Institut de médecine et de physiologie spatiales. Mon rôle est de suivre, avec mes collègues, la santé des astronautes européens avant, pendant et après leur mission dans l’espace.
Lors de la phase de préparation, je dirige quelques examens médicaux pour être sûr que l’astronaute est en bonne santé et prêt à voler dans l’espace pour le début de la mission. Le protocole de recherche qui sera exécuté par l'astronaute est contrôlé afin d’identifier des risques pour sa santé. Avant le lancement, le médecin de l'Agence spatiale européenne (ESA) suit l’astronaute pendant une quarantaine de deux à trois semaines au cours de laquelle des tests médicaux sont répétés dans un environnement confiné. Ceci afin d'éviter des infections externes, une phase devenue essentielle avec le Covid.
Pendant le vol, c'est de la télémédecine. Une visio hebdomadaire avec l’astronaute permet de contrôler sa santé, notamment les effets attendus ou inattendus de l’impesanteur. En coopération avec des spécialistes, le médecin de vol doit réagir à tout ce qui peut avoir un effet sur la santé et le bien-être à bord : y compris le niveau de bruit dans la station spatiale qui peut empêcher le sommeil, les heures de travail hebdomadaire qui doivent être plafonnées, etc. Un volet essentiel concerne la sortie spatiale. Le médecin de l'ESA les suit de Houston ou de Moscou afin d’avoir toutes les données en temps réel du scaphandre (les scaphandres sont soit américains, soit russes). En fin de mission, le médecin participe à l’atterrissage et à la rentrée de l’astronaute en Europe ainsi qu’aux phases de réhabilitation corporelle et psychologique.
Si c’est vraiment nécessaire, en cas d'opération chirurgicale urgente par exemple, on peut toujours évacuer les astronautes vers la Terre. Mais, grâce aux efforts de prévention, un tel cas ne s’est jamais produit en 20 ans sur la Station spatiale internationale (ISS).
Les conséquences de l'impesanteur sur le corps humain sont désormais mieux connues du grand public. Ce qui l'est moins, c'est l'avancée des traitements grâce à la médecine spatiale.
Aujourd’hui, la médecine dispose d’une expérience de 60 ans de vols habités dans l’espace. Cela a beaucoup aidé à mieux comprendre la physiologie humaine et son adaptation dans un environnement d’impesanteur. Une mission de six mois en orbite a en effet de lourdes conséquences pour l'organisme, calibré pour la vie terrestre.
Confronté sur Terre à la gravité de très longue date, le corps humain a développé de nombreux dispositifs, notamment pour aider à faire circuler les fluides corporels du bas vers le haut du corps. Lorsque la gravité disparaît, les liquides s'accumulent vers le haut du corps. Vous remarquerez le visage bouffi des astronautes en début de mission. De même, une gravité presque nulle fait des ravages sur les os, les muscles et le système cardiovasculaire. C'est comme un vieillissement accéléré. Sans parler des effets cancérigènes du rayonnement solaire, un problème majeur : sur Terre, nous sommes protégés par la magnétosphère (champ magnétique) et l’atmosphère, mais au-delà, ces boucliers disparaissent.
Ces éléments ont largement été diffusés auprès du grand public. En revanche, les traitements et dispositifs médicaux développés grâce à la médecine spatiale sont moins connus. Par exemple, l’ESA a codéveloppé Tempus Pro, un moniteur portable qui traque les signes vitaux. Cet outil, qui dispose notamment d'une sonde à ultrasons, est piloté à distance via satellite par les médecins lors des atterrissages. Aujourd'hui, les médecins urgentistes peuvent l'utiliser, à distance depuis les ambulances.
L’ostéoporose est un autre bon exemple. En impesanteur, la perte osseuse survient parce que les os n'ont plus à soutenir le corps contre l'action de la pesanteur. Nous n’avons pas encore trouvé de traitement spécifique. Mais la combinaison d’exercice, de nutrition et d'ingestion de biphosphonates en prévention a été développée initialement pour les astronautes. De même, le scanner 3DpQCT, qui sert au suivi précis de la densité osseuse, est aujourd'hui utilisé dans des hôpitaux.
Les études effectuées dans l’espace aident aussi à mieux comprendre comment fonctionne le système cardiovasculaire, avec à terme l'espoir de nouveaux traitements pour l’artériosclérose.
Le syndrome neuro-oculaire lié au vol dans l'espace (dit SANS pour Spaceflight-Associated Neuro-ocular Syndrome) occupe aussi les chercheurs. Cette baisse de la vue serait due à des modifications de la pression et de la circulation sanguines aux niveaux cérébral et ophtalmique. Nous espérons prévenir la progression pour les spationautes mais aussi mieux comprendre le développement de certaines pathologies.
En dehors de ces pathologies, que nous a appris la médecine spatiale sur le corps humain ?
En 2018, de façon complètement inattendue, on a observé pour la première fois dans l'espace la première étape d’une thromboembolie veineuse (TEV). C’était impressionnant d’observer cette pathologie « de vieux » sur quelques astronautes jeunes et en bonne santé.
La cause n’est pas 100 % claire, un flux sanguin rétrograde dans les gros vaisseaux sanguins favoriserait la thrombose. Il y a eu un débat sur le traitement à suivre et s'il fallait évacuer. Si on prescrit des anticoagulants et que l'astronaute est blessé pendant l'atterrisage, il risque de ne pas être opérationnel pendant cette phase dynamique.
Plus généralement, nous comprenons mieux comment fonctionne le système musculaire en faisant du sport en impesanteur, comment le métabolisme humain s’adapte aux besoins dans l’environnement spatial, comment faire de la physiothérapie pendant la période de réhabilitation une fois que l’astronaute est rentré. La psychologie est aussi très importante. Grâce aux vols habités dans l’espace, on a progressé dans la connaissance de la psychologie humaine en condition d’isolement et de confinement (anxiété, dépression). On a aussi découvert l’effet « Overview », le choc cognitif et existentiel qui touche les astronautes lorsqu'ils voient la Terre de loin. Il pourrait être précieux pour entretenir le moral des troupes lors des missions longues.
Lors des missions vers Mars, quels seront les nouveaux défis ?
Tout d'abord, il faut relever les éventuels problèmes de santé inédits. Ensuite, il y a le challenge de l'accumulation : les problèmes sont les mêmes, mais à durée d'exposition beaucoup plus longue (effets de radiation, perte de masse musculaire et densité osseuse, effets psychologiques d’isolement). Et enfin, celui de l'autonomie : contrairement aux missions sur l'ISS, une équipe d’astronautes qui voyage vers Mars ne pourra pas être rapatriée d'urgence sur Terre. L'équipage disposera ainsi des moyens nécessaires pour faciliter une éventuelle opération. Opérer dans l’espace sera beaucoup plus difficile, des traitements conservateurs alternatifs seront préférés.
Pour les effets cancérogènes de la radiation solaire, on envisagerait, en guise de protection, d'équiper la navette spatiale de réservoirs d’eau autour de l'habitacle des astronautes. La Clinique spatiale de Toulouse (Medes) planche aussi sur des cocktails anti-oxydants (vitamines, huiles, etc.) à ingérer.
À quelles compétences médicales les astronautes sont-ils entraînés avant une longue mission ?
Dans chaque mission sur l'ISS, quelques astronautes sont formés comme Crew Medical Officers (CMO). Cette formation comprend des compétences de médecin urgentiste pour les premiers secours, comme suturer une blessure. Dans l’espace, il est beaucoup plus difficile de faire des compressions thoraciques, par exemple, car on ne peut pas utiliser son propre poids. Les astronautes sont formés à effectuer certains examens médicaux, tension intraoculaire par exemple. Ils sont aussi formés à faire de la recherche physiologique et biologique.
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