Par le Pr Patrice Rodien*
LA FONCTION thyroïdienne est directement dépendante des apports iodés et les besoins quotidiens, à peine couverts en temps normal en Europe occidentale, augmentent pendant la grossesse (175 à 200 µg/j). Cette carence iodée relative majore la stimulation thyroïdienne due à l’hCG. Une supplémentation en iode est donc recommandée. On note ainsi, en début de grossesse (12 semaines d’aménorrhée), une diminution de la TSH et une augmentation de la Thyroxine libre transitoire (T4l). Pour environ 2 % des grossesses, la T4l dépasse la limite supérieure de la norme ; c’est la thyrotoxicose gestationnelle transitoire. Les formes les plus marquées sont souvent associées aux vomissements sévères et il ne faut pas hésiter à doser les hormones thyroïdiennes devant un tableau d’hyperémèse gravidique.
Hyperthyroïdie
La difficulté est, en fait, de ne pas méconnaître une authentique hyperthyroïdie secondaire à une maladie de Basedow. Lorsqu’un traitement de l’hyperthyroïdie est jugé nécessaire, l’endocrinologue, en concertation avec l’obstétricien et le pédiatre endocrinologue, doit naviguer entre le risque d’une hyperthyroïdie maternelle non contrôlée (risque cardiaque, HTA, accouchement prématuré), le risque d’un traitement excessif (risque de goitre et d’hypothyroïdie ftaux), le risque d’hyperthyroïdie ftale et néonatale (due au passage transplacentaire des anticorps thyérostimulants). La prise en charge doit donc être spécialisée et multidisciplinaire, impliquant notamment un échographiste de référence. L’antithyroïdien préférentiellement utilisé, en début de grossesse, est le propylthiouracyl. La règle, pour ne pas risquer un surdosage, est de maintenir la T4l à la partie haute de la norme, et pour ne pas être faussement rassuré par une hormonémie satisfaisante, de ne pas utiliser les schémas combinés (antithyroïdien + thyroxine) qui exposent le ftus à un risque de surdosage en antithyroïdien. Compte tenu des modifications très rapides des valeurs d’hormones thyroïdiennes pendant la grossesse, les contrôles biologiques sont plus fréquents (2 à 3 semaines). Une contraception efficace doit être la règle chez la femme basedowienne en cours de traitement, pour éviter ces difficultés. Une grossesse ne devrait être autorisée qu’après retour à l’euthyroïdie, stable après arrêt du traitement ou avec une faible dose d’antithyroïdiens. Enfin, un antécédent de maladie de Basedow doit conduire à une surveillance au même titre qu’une maladie de Basedow, en raison de la persistance possible d’anticorps thyréostimulants. Là encore, une prise en charge, ou au moins un avis spécialisé, est souhaitable avant, ou dès le début de la grossesse.
Hypothyroïdie et auto-immunité thyroïdienne
Le ftus est totalement dépendant des hormones thyroïdiennes maternelles jusqu’à la fin du premier trimestre de la grossesse puisque sa propre thyroïde n’est pas fonctionnelle. Le passage transplacentaire de la T4 est faible, mais nécessaire. L’apport en T4, convertie en T3 par le ftus, est crucial pour le développement du système nerveux central. A partir de la 20e semaine d’aménorrhée, la thyroïde ftale est fonctionnelle, mais la T4 d’origine maternelle reste une source importante. En présence d’une thyroïdite chronique, même limitée à la présence d’anticorps, avec une fonction thyroïdienne normale, l’adaptation de la thyroïde aux besoins accrus de la grossesse va être défaillante. La T4l va s’abaisser (la TSH va s’élever) ; Les apports au ftus peuvent être insuffisants. Il a été montré, dans des études de groupes, que des enfants nés de mères ayant eu une hypothyroïdie non ou insuffisamment traitée pendant la grossesse, ont un QI inférieur aux enfants nés de mères euthyroïdiennes. Les mêmes observations ont été faites pour des dysfonctions thyroïdiennes minimes (élévation modeste de la TSH). L’impact pour un individu, et non plus un groupe, de ces dysfonctions thyroïdiennes modérées est incertain. Par ailleurs, l’hypothyroïdie maternelle est associée à une fréquence accrue d’avortements spontanés, d’anémie, d’HTA, de prééclampsie. Il est donc primordial de surveiller la fonction thyroïdienne des femmes ayant une thyroïdite, pour instaurer précocement un traitement par thyroxine si besoin. De la même façon, les femmes déjà substituées par thyroxine (on rappelle que la T3 ne traverse pas le placenta) pour une hypothyroïdie, quelle qu’en soit la cause, doivent faire l’objet d’une surveillance de la TSH, dès la 5e semaine d’aménorrhée pour adaptation de la posologie. En effet, les besoins en thyroxine augmentent de 30 à 50 % pendant la grossesse.
Faut-il dépister les dysfonctions thyroïdiennes par un dosage de TSH chez toutes les femmes enceintes ? Un dépistage de masse n’est pas proposé dans les recommandations de la HAS, mais un dépistage ciblé, dès lors qu’existe un goitre, un antécédent personnel ou familial de pathologie thyroïdienne, une auto-immunité connue, des symptômes compatibles avec une hypothyroïdie, un ciblage très large en réalité.
On s’accorde à dire que la limite supérieure acceptable de la TSH est à 2 mUI/l en début de grossesse. Au-delà, le traitement substitutif doit être discuté. Il est bien entendu systématique si la TSH est au-dessus des normes du laboratoire.
Les valeurs de référence qui permettent de décrire les variations normales de la fonction thyroïdienne au cours de la grossesse sont établies pour des populations « normales » hors grossesse. Selon la méthode de dosage utilisée, on observe une diminution progressive de la T4 libre au cours de la deuxième moitié de la grossesse (parfois dès la fin du 1er trimestre) avec des valeurs basses mais « normales » voire des valeurs en dessous de la limite inférieure de la « normale ». La valeur normale de la TSH suffit à attester d’une fonction thyroïdienne normale. On peut, cependant, être gêné lors de l’adaptation d’un traitement par hormones thyroïdiennes ou dans la surveillance d’un traitement d’hyperthyroïdie.
On le voit, la prise en charge des dysfonctions thyroïdiennes pendant la grossesse peut être délicate. Le recours à l’endocrinologue doit pouvoir être facile et rapide, ne fusse que pour un conseil téléphonique.
* Service d’endocrinologie, Centre de référence des maladies rares de la réceptivité hormonale, CHU d’Angers
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