Le congrès 2015 de la SFD de Bordeaux a proposé pour sa session inaugurale deux très belles conférences faisant le point sur les liens inflammation, obésité, diabète et dépression et sur Alzheimer et diabète (lire page 12). Je rapporterai ici le premier sujet traité par Sophie Layé, basé sur les nombreux travaux de ce groupe de recherche de Bordeaux dont certains, en cours, en collaboration avec les Prs. Gin et Rigalleau. Le raisonnement part du postulat qu’il existe un cercle vicieux auto-aggravant entre obésité/diabète et dépression/troubles de la cognition (figure 1).
Un cercle vicieux auto-aggravant
Cette équipe a pour objectif général de contribuer à élucider les mécanismes physiopathologiques impliqués dans le développement des troubles de l’humeur et de la cognition liés à la consommation de diètes de type « western », en étudiant en particulier le rôle de l’inflammation dans les désordres neuropsychiatriques des sujets obèses et hyperglycémiques, les mécanismes d’action des acides gras impliqués dans la régulation de la neuro-inflammation et les comportements émotionnels et les mécanismes neurobiologiques impliqués dans les troubles de la cognition liés à l’obésité chez le rongeur.
Pour cette équipe, le régime dit « western » ou « junk food », est caractérisé entre autre, par un apport élevé d’acides gras saturés et un déficit en acides gras polyinsaturés oméga 3 (AGPI oméga 3). En plus d’exposer à l’obésité, au diabète de type 2 et à leurs conséquences, une diète hyperlipidique contribue à des troubles d’ordre « psychologique » : dépression et/ou troubles de la cognition. À leur tour, ces troubles centraux affectent la qualité de vie et aggravent les troubles métaboliques et la morbimortalité. Les mécanismes physiopathologiques impliqués sont encore mal connus mais commencent à livrer leurs secrets.
Tissu adipeux abdominal et microbiote intestinal
La dépression des obèses et des diabétiques de type 2 serait avant tout la conséquence directe sur le cerveau de troubles métaboliques et ce via un médiateur : l’inflammation. Cette inflammation de bas grade, maintenant bien démontrée dans les pathologies métaboliques, a deux origines : le tissu adipeux abdominal et le microbiote intestinal.
Elle diffuse vers le cerveau, où elle conduit à des modifications majeures au niveau des circuits centraux, sur l’activité neuroendocrine, l’activité et le métabolisme des neurotransmetteurs et la neurogenèse (plasticité neuronale). Ceci conduit un état de fatigue, de malaise, de perte d’intérêt pour l’environnement, de moindres interactions sociales, une prise alimentaire et divers autres troubles de l’humeur, des dépressions, à quoi on ajoute aujourd’hui des troubles cognitifs et mnésiques. Tous ont largement été attribués à des désordres psychiques trouvant leur origine dans l’état d’obésité ou de diabète, via des mécanismes exclusivement psychologiques et sociétaux. Pour ces chercheurs, il s’agit bien plus d’une relation bidirectionnelle et non d’une origine d’abord « psychogène », l’état inflammatoire systémique puis central et les modifications gliales dans plusieurs territoires cérébraux jouant selon eux un rôle prépondérant.
Cytokines pro-inflammatoires
Le tissu adipeux produit des cytokines (IL-1 ß, TNF α et IL-6), une accumulation de leucocytes dans celui-ci et d’autres organes, l’activation des macrophages dans le foie et la graisse, l’activation de la signalisation voies pro-inflammatoires dans de multiples organes. Dans l’obésité, ces phénomènes sont corrélés avec le tissu adipeux abdominal (tour de taille) bien plus qu’avec l’IMC. Cette inflammation régresse significativement après une forte perte de poids (diète très faible en calories (VLCD) ou chirurgie bariatrique).
L’accentuation de dépôts de tissu adipeux périviscéral conduit à la sécrétion d’adipokines qui s’accompagne du recrutement de lymphocytes et macrophages. Ils colonisent ce tissu adipeux et sécrètent à leur tour des cytokines pro-inflammatoires (IL-1 ß, TNF α et IL-6).
Endotoxémie métabolique
De plus, la flore intestinale modifiée des obèses – baisse des populations de Bacteroidetes et Bifidobacterium en même temps qu’une augmentation des Firmicutes – contribue à cette inflammation. Le régime riche en lipides participe de l’inflammation bas grade, en rendant plus perméable la barrière intestinale, comme en témoigne la présence dans le sang de lipo-polysaccharides (LPS). Cette présence de LPS dans la circulation générale favorise sa liaison sur les macrophages circulants TLR4 : il s’agit du concept d’endotoxémie métabolique induite par les AG saturés (P Cani et coll). Après une chirurgie bariatrique et perte de poids, on assiste à une modification favorable du microbiote intestinal et à la baisse de marqueurs d’endotoxémie (LPS binding protein).
Impact de l’inflammation systémique sur le SNC…
Il est aujourd’hui démontré, sur des modèles animaux, que l’inflammation systémique décrite ci-dessus a un impact sur le système nerveux central (SNC), contribue à une inflammation au niveau central, surtout au niveau de l’hippocampe et l’hypothalamus et à l’insulinorésistance.
Dans le modèle animal de souris db/db il existe des déficits de l’immunité, une inflammation systémique et parallèlement une inflammation centrale traduite par la surexpression de cytokines dans l’hippocampe. Dans plusieurs modèles animaux d’obésité, il existe un lien direct entre l’expression de cytokines centrales et une activation microgliale hypothalamique. Chez l’homme, il a même été décrit une « gliose » (prolifération des cellules gliales) au niveau de l’hypothalamus médiobasal de sujets obèses.
… mais aussi production de cytokines par les cellules gliales ?
En somme, les processus inflammatoires périphériques, systémiques, sus-décrits, s’accompagnent d’une inflammation centrale via une voie TLR4/MyD88 impliquée dans la résistance à la leptine démontrée dans les régimes riches en graisses. Ces troubles peuvent aussi contribuer à modifier la balance énergétique, participant à la genèse des obésités. Ces cytokines ont un impact sur le SNC via des mécanismes humoraux, cellulaires et neuraux, qui contribuent à une production de substances pro-inflammatoires par les cellules gliales activées (surtout la microglie) puis à perturber des neurotransmetteurs et à altérer la plasticité neuronale.
Activation enzymatique
Ces phénomènes sont réversibles lorsque l’état inflammatoire ne dure que quelques jours, mais s’il est chronique, cela peut conduire à un état dépressif et des troubles cognitifs durables. Ceci est corroboré par les effets démontrés des traitements par l’interféron α (IFN α), qui provoquent dans 45 % des cas un état dépressif sévère.
Une des explications aujourd’hui privilégiée est la suivante : l’inflammation provoque une activation de certaines enzymes comme l’IDO (indoleamine 2,3-dioxygenase) et la GTP-CH1 (GTP-cyclohydrolase 1) dans les monocytes, les macrophages et les cellules dendritiques, il en résulte des altérations significatives de la biosynthèse de monoamines clés (sérotonine, dopamine), connues pour jouer un rôle majeur dans la régulation de l’humeur et les fonctions cognitives.
De plus, IDO est la première enzyme limitante qui catabolise le tryptophane dans la voie kynurenine (voie qui conduit du tryptophane au NAD+), qui est identifiée comme la voie impliquée, lorsqu’elle est altérée, dans les dépressions induites par le traitement par IFN α. Plusieurs équipes ont ainsi montré que le blocage de IDO au niveau central empêche le développement des troubles anxieux et dépressifs induits chez la souris par l’administration de LPS. Une dysfonction de la microglie de l’hippocampe est ainsi à l’origine d’une activité excessive et non régulée de IDO, conduisant à des troubles dépressifs. De même, le blocage de NFKb empêche l’apparition de troubles du comportement chez les souris recevant IL-6.
Un rôle établi dans l’obésité humaine
Ce lien est aujourd’hui bien établi chez l’homme au travers de différentes données cliniques dans l’obésité et le syndrome métabolique (1). Les taux élevés d’IL-6 et de CRP expliqueraient 20 % de l’état dépressif de sujets obèses et participeraient au déclin cognitif de sujets porteurs d’un syndrome métabolique. La correction drastique de l’obésité ayant déjà montré ses effets bénéfiques, tant sur l’inflammation que sur les troubles de l’humeur et cognitifs des obèses. Chez les diabétiques de type 2, le rôle de l’inflammation est aussi bien admis aujourd’hui mais celui de l’hyperglycémie semble être aussi déterminant. En revanche, des études visant à corriger l’hyperglycémie dans des modèles animaux (souris db/db) n’ont pas permis d’améliorer les troubles cognitifs spatiaux de ses animaux – troubles rattachés à un processus pour partie inflammatoire – alors qu’ils sont corrigés par un régime de forte restriction calorique. Donc : effets favorables de la correction de l’adiposité mais pas encore démontrés de celle de l’hyperglycémie.
(1) revue Shelton RC , Miller AH. Eating ourselves to death (and despair): the contribution of adiposity and inflammation to depression. Prog Neurobiol (2010) 91:275-99
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024