LE LIEN ENTRE cancer et diabète est depuis longtemps sujet à controverses en raison des limites méthodologiques de la plupart des études. De larges études prospectives ont récemment confirmé le lien entre cancer et diabète de type 2 (DT2). L’étude d’INOUE et coll. au Japon a retrouvé une augmentation significative du risque de cancer toutes localisations confondues chez les sujets DT2 dans les deux sexes. L’étude de Jee et coll. en Corée a montré de la même façon une élévation du risque de cancer et de la mortalité par cancer pour les valeurs de glycémie les plus élevées dans les deux sexes. Enfin, l’étude RAPP et coll. en Autriche a rapporté que les sujets diabétiques à l’inclusion (G0≥7,0 mmol/l) avaient un risque significativement plus élevé de cancer du foie, de la vésicule et des voies biliaires. L’étude anglaise European prospective investigation cancer-Norfolk study a confirmé l’augmentation importante du risque de cancer colorectal à 6 ans chez les diabétiques et montrait que le risque augmentait de façon graduelle pour des taux croissants d’HbA1c.
Concernant l’association entre diabète et cancer de la prostate, un méta analyse a montré une réduction significative de 16 % du risque de cancer de la prostate chez les patients diabétiques. Pour le cancer du sein, les données actuelles sont très contradictoires ; la mortalité par cancer du sein était augmentée de façon significative dans une étude récente mais le résultat n’était en revanche pas significatif dans une autre étude.
Hypothèses physiopathologiques.
Le DT2 est une maladie chronique qui nécessite un suivi médical rapproché et de ce fait, la probabilité de découvrir un cancer chez un diabétique est certainement plus élevée. Également, des facteurs environnementaux comme l’alimentation et l’activité physique sont susceptibles de favoriser à la fois la survenue de DT2 et de cancer et pourraient jouer le rôle de facteurs de confusion dans l’interprétation de l’association diabète et cancer. Ces mécanismes (biais de dépistage et facteurs de confusion) ne peuvent toutefois expliquer qu’en partie l’association décrite. Une relation causale est très vraisemblable d’autant plus que les données rapportées dans les études d’observation étaient pour la plupart ajustées sur l’indice de masse corporelle.
Au niveau physiopathologique, les mécanismes évoqués pour expliquer le lien diabète et cancer sont des mécanismes biologiques, tout particulièrement hormonaux impliquant l’insulinorésistance. Le DT2 s’accompagne en effet d’une diminution de la sensibilité à l’insuline, avec une hyperinsulinémie et une élévation des taux circulants des Insulin-like Growth Factors (IGF) qui stimulent la prolifération cellulaire dans de nombreux organes. Cette hypothèse concernant l’hyperinsulinémie est étayée par les quelques données indiquant que les traitements du diabète entraînant une hyperinsulinémie (insuline, sulfamides) pourraient augmenter le risque de cancer et qu’à l’inverse, les traitements améliorant la sensibilité à l’insuline (biguanides, glitazones) pourraient réduire ce risque.
L’association entre diabète et cancer du pancréas est plus difficile à évaluer car le diabète peut être une manifestation précoce du cancer du pancréas avant que celui-ci ne soit connu. Le DT2 pourrait être lié à l’état « précancéreux » du pancréas avec comme conséquence une baisse de la capacité d’insulinosécrétion.
La diminution du risque de cancer de la prostate chez les hommes diabétiques pourrait être liée à la réduction du taux d’androgènes chez les hommes atteints de DT2. Un mécanisme génétique pourrait également intervenir avec un allèle qui prédispose au DT2 et protège du cancer de la prostate.
Implications cliniques.
En cas de diabète connu, on observe habituellement un déséquilibre glycémique si un cancer apparaît. Les mécanismes pouvant expliquer cette détérioration du contrôle glycémique sont divers : réduction de l’activité physique, perte de la masse maigre avec fonte musculaire et « adiposité sarcopénique » et augmentation du rapport tour de taille/tour de hanche en cas de cancer. Il faut donc systématiquement penser à rechercher un cancer devant le déséquilibre inexpliqué d’un diabète connu. De la même façon, un diabète d’apparition récente dans un contexte d’altération de l’état général doit faire évoquer un cancer, en particulier de la sphère digestive. La présence d’un diabète peut également avoir des conséquences négatives sur l’évolution d’un cancer. Des travaux ont montré une surmortalité chez les patients diabétiques pour diverses localisations de cancer. Plusieurs hypothèses ont été avancées : l’environnement métabolique du DT2 pourrait faciliter la prolifération des cellules tumorales ; l’hyperglycémie pourrait augmenter la perméabilité des cellules endothéliales et la survenue de métastases ; les traitements anticancéreux prescrits aux patients diabétiques seraient moins agressifs que ceux donnés aux non diabétiques ; les réponses au traitement du cancer seraient moins bonnes pour les patients diabétiques. Enfin, la présence d’un cancer peut réduire l’attention portée par le patient et les soignants au traitement du diabète, et de l’hypertension artérielle et dyslipidémie souvent associés. Au-delà de ce problème de cancer chez les patients atteints de DT2, il ne faut surtout pas oublier que la priorité chez les patients diabétiques reste de réduire les complications micro- et macrovasculaires, et la morbi-mortalité d’origine cardiovasculaire.
Il apparaît donc indispensable de traiter le diabète sans relâchement en cas de cancer chez un diabétique, en favorisant si possible une approche pluridisciplinaire avec la collaboration des cancérologues et d’une équipe de diabétologie. Enfin, plus généralement, comme le rappelle le Dr Dominique Simon du service de diabétologie de la Pitié-Salpetrière, il apparaît urgent de développer des programmes de prévention axés sur l’amélioration de l’hygiène de vie qui réduiront dans le même temps l’obésité, le cancer et les maladies cardiovasculaires.
D’après un entretien avec le Dr Dominique Simon, service de diabétologie de la Pitié-Salpétrière à Paris.
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