PAR LE Pr SERGE HALIMI*
JUSQU’À PRÉSENT, toutes les recommandations avaient incité à viser des glycémies suffisamment proches de la normale. La valeur de 7 % d’HbA1c avait ainsi été proposée comme la cible souhaitable pour nombre de patients, parfois ≤ 6,5 % dans les débuts de la maladie. La parution des grandes études, ACCORD et VADT surtout, a eu, pour immédiate conséquence de remettre en cause ces objectifs glycémiques (1, 2). Ces nouvelles données constitueraient les preuves irréfutables qui rendent caduques les recommandations des experts. Il en a été rapidement conclu que le contrôle « strict » de la glycémie est sans bénéfice sur les complications cardio-vasculaires, responsable d’une surmortalité et les hypoglycémies probablement à l’origine de ces décès. Le pas fut vite franchi, « faire baisser la glycémie semble plus délétère que protecteur ». Enfin, si la glycémie ne joue pas sur les complications cardio-vasculaires, le diabétique de type 2 est à considérer comme un patient à risque cardio-vasculaire comme les autres. Il ne faut se préoccuper que des lipides et de la pression artérielle, le contrôle glycémique est, au minimum, secondaire. En somme « exit la glycémie » ! De plus, il y a quelques jours à peine, a été publiée dans le Lancet une étude britannique observationnelle rétrospective portant sur une large cohorte de diabétiques type 2 (3) qui conclut que les valeurs élevées comme les valeurs les plus basses d’HbA1c s’accompagnent d’une surmortalité de toutes causes et d’un nombre accru d’événements cardiovasculaires. Pour l’HbA1c, comme pour la pression artérielle, il existerait donc une courbe en J. Les auteurs suggèrent ainsi d’inclure dans les futures recommandations des valeurs minima d’HbA1c, ainsi 7,5 ou 8 % pourrait être une valeur « souhaitable ». Le cur étant la première cause de mortalité des diabétiques, doit-on renoncer aux recommandations qui ont prévalu jusque-là, abandonner le « Sous le 7 » ?
La cause est-elle entendue ?
Si l’omnipraticien ne peut suivre des recommandations trop complexes, il n’ignore pas non plus que les diabétiques de type 2 constituent un groupe très hétérogène, ne serait-ce que par leur âge, l’ancienneté de leur maladie et leur fragilité. Tirer de ces grandes études des leçons pour tous les diabétiques, sans variantes, n’est pas raisonnable et, selon nous, l’affaire n’est pas entendue.
Commençons par en revenir, une fois encore, aux leçons de l’UKPDS qui ont servi de socle aux recommandations actuelles (4), puis analysons le suivi de cette cohorte, jusqu’en 2007, soit après 20 années (5). En 1998, il fut démontré que les complications du diabète de type 2, étaient significativement réduites (rétine, rein, neuropathie), grâce à dix ans de contrôle glycémique intensifié par rapport au contrôle conventionnel (4). Pour l’infarctus du myocarde, l’effet était favorable, mais à la limite de la significativité. Ces patients furent, ensuite, exclusivement observés – UKPDS post-trial (5). Bien que durant ces dix années de suivi supplémentaire, les HbA1c aient été similaires, l’effet bénéfique du meilleur contrôle glycémique des dix premières années sur les complications du diabète, y compris sur le plan cardio-vasculaire, s’est maintenu les dix années suivantes chez les patients appartenant au groupe « intensifié dès le départ ». On a parlé « d’héritage glycémique ». Première leçon, un bon contrôle glycémique précoce réduit les complications et cela se répercute à long terme sur le pronostic global des patients. Le laxisme initial se paie. Il convient, ensuite, de revenir sur les études ACCORD et VADT, avec l’attention que requière leur grande complexité. La question posée par ces études : le contrôle glycémique « très strict » réduit-il les événements cardio-vasculaires ? Mais, comment l’a-t-on atteint et chez quels patients ? Tous ? Justement pas. En moyenne une ancienneté de diabète de plus de 10 années, des sujets au risque cardio-vasculaire très élevé ou en prévention secondaire, de plus 60 ans en moyenne et, pour VADT, uniquement de sexe masculin, en déséquilibre glycémique, plus de 8 % ou plus de 9 % d’HbA1c depuis des années. Dans les deux études, l’objectif fixé pour le groupe intensifié fut d’atteindre rapidement (en environ 6 mois) une HbA1c < à 6 % ! Les patients reçurent, pour ce faire, une quantité considérable d’antidiabétiques oraux et beaucoup d’insuline (doses et nombre d’injections). Il s’ensuivit à la fois une prise de poids importante et un nombre considérable d’hypoglycémies, gravissimes avec comas en particulier. Pourtant, selon les auteurs eux-mêmes, on ne peut retenir avec certitude un lien entre hypoglycémies graves et mortalité ; plus surprenant encore, ce lien ne semble plausible que dans le groupe « non intensifié » ! Rattacher le surrisque cardio-vasculaire aux hypoglycémies se révèle d’autant plus délicat. C’est l’hypoglycémie qui a tué. Pas sûr ! De plus présenter ACCORD comme un protocole interrompu pour surmortalité inacceptable, mérite qu’on rappelle que dans les deux groupes de cette étude, la mortalité et l’incidence des événements cardio-vasculaires furent les plus faibles enregistrées parmi toutes celles ayant porté sur des diabétiques de type 2 jusque-là. Dans VADT, donnée clé, le contrôle strict de la glycémie s’est révélé bénéfique sur le plan cardio-vasculaire si le diabète évoluait depuis moins de 10 ans et plutôt délétère au-delà.
Qu’en retenir ?
En premier lieu, que pour un diabétique de type 2 diagnostiqué et pris en charge tôt, en bonne forme au départ, il existe un réel bénéfice (micro- comme macroangiopathie) et sans danger à viser une HbA1c ≤ 7 %. Aujourd’hui de nouvelles thérapeutiques peuvent aider à y parvenir sans hypoglycémie. Ensuite rappeler que statines et antihypertenseurs sont les moyens, de loin, les plus efficaces pour réduire les événements cardio-vasculaires du diabétique de type 2 (6). Toutefois, à long terme, comme le montre l’UKPDS, le contrôle glycémique y participe. De plus, celui-ci, seul, protège des complications de microangiopathie (il, rein, neuropathie). En somme, si éviter qu’un diabétique de type 2 ne meure d’une cause cardio-vasculaire reste, bien entendu, prioritaire, faut-il ensuite qu’il survive sans développer les autres complications graves et invalidantes liées à un diabète mal équilibré. Le retour au laxisme glycémique n’est acceptable pour aucun diabétique. En revanche, on doit retenir la leçon d’ACCORD et VADT, viser très rapidement la normoglycémie chez un diabétique âgé, fragile et longtemps médiocrement contrôlé, ne le protégera pas des complications cardio-vasculaires et peut même lui nuire. Viser une HbA1c à 6 % ou moins, chez de tels patients, a toujours été aux antipodes de la pratique et des recommandations, cette attitude marquée du sceau du bon sens médical est maintenant confirmée par ces études. Il existe, non pas « un » mais « des » objectifs, adaptés au profil du patient. Toutes les recommandations l’avaient écrit. Il serait donc coupable de retenir, de toutes ces études, qu’on en a enfin fini avec le bon contrôle glycémique chez le diabétique de type 2. N’en déplaise à ceux qui n’avaient guère l’envie, la patience ou la compétence pour y parvenir.
*Chef de service Diabétologie Nutrition Endocrinologie - Pôle DigiDUNE. CHU de Grenoble.
Aucun conflit d’intérêt n’est déclaré par l’auteur, cet un article ne citant aucune molécule.
(1) The Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes Study Group. Effects of intensive glucose lowering in type 2 diabetes. N Engl J Med. 2008;358(24):2545–2559.
(2) DuckworthW, AbrairaC, MoritzT, RedaD, EmanueleN, ReavenPD, et al. Glucose control and vascular complications in veterans with type 2 diabetes. N Engl J Med. 2009;360(2):129–139.
(3) Currie CJ, Peters JR, Tynan A, Evans M, Heine RJ, Bracco OL, Zagar T, Poole
CD. Survival as a function of HbA(1c) in people with type 2 diabetes: a
retrospective cohort study. Lancet. 2010 Feb 6;375 (9713):481-9.
(4) Intensive blood-glucose control with sulphonylureas or insulin com- pared with conventional treatment and risk of complications in patients with type 2 diabetes (UKPDS 33). UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) Group. Lancet. 1998;352(9131):837–853.
(5) Holman RR, Paul SK, Bethel MA, Matthews DR, Neil HAW. 10-year follow-up of intensive glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med. 2008;359(15):1577–1589.
(6) Gaede P, Vedel P, Larsen N, Jensen GVH, Parving HH, Pedersen O. Multifactorial intervention and cardiovascular disease in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med. 2003;348(5):383–393.
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