Pourquoi était-il nécessaire de mener une conférence de consensus sur la prise en charge du goitre ? « Si on élimine la problématique du nodule thyroïdien et celle du cancer de la thyroïde, la question très spécifique du goitre en dehors des thyroïdites n’avait pas été abordée dans la littérature, explique le Pr Lionel Groussin-Rouiller, coordonnateur du travail présenté au congrès de la Société française d’endocrinologie (SFE) mi-octobre au Havre. Il existe une discordance apparente entre la fréquence du goitre et le manque de preuves robustes disponibles pour la prise en charge. Le caractère bénin du goitre simple explique le peu d’études réalisées malgré la fréquence, les enjeux sont considérés comme moindres que pour des pathologies malignes et donc plus documentés. »
Le groupe de travail, qui s’est constitué début 2021 avec les représentants des différentes spécialités prenant en charge cette pathologie – endocrinologues, radio-
logues, pédiatres, biologistes, chirurgiens et médecins nucléaires -, a d’abord déterminé les grandes questions qui se posent lors de la prise en charge du goitre. « Beaucoup d’échanges ont pu être réalisés à distance dans le contexte du Covid, explique l’endocrinologue de l’hôpital Cochin (AP-HP). Au congrès, c’est une série de propositions de recommandations qui a été présentée. Pendant un mois, les membres de la SFE peuvent nous contacter pour les améliorer. Le texte final sera publié dans les “Annales d’endocrinologie”, la revue officielle de la société ».
Quel bilan biologique réaliser en première intention ?
Devant tout goitre, et en raison de leur fréquence, il est nécessaire de rechercher une éventuelle thyroïdite de cause auto-immune. Il faut éliminer une thyroïdite de Hashimoto ou une maladie de Basedow. C’est la raison pour laquelle il est recommandé de demander une évaluation des anticorps antithyroperoxydase (TPO), et si besoin des anticorps antithyroglobuline. Pour pouvoir parler de goitre simple, il faut demander systématiquement un dosage de la TSH. Si elle est élevée, un dosage de T4 libre est recommandé. Si la TSH est basse, un dosage de T4 libre sera réalisé, voire un dosage de T3 libre si la T4 libre est normale. La maladie de Basedow sera recherchée par le dosage des anticorps antirécepteurs de la TSH.
Par ailleurs, dans le bilan biologique, il est précisé qu’il n’y a pas lieu de mesurer systématiquement la calcitonine plasmatique (à réserver en cas de contexte évocateur d’un carcinome médullaire thyroïdien), ni la thyroglobuline ni l’iodémie/iodurie.
Quand penser à une origine génétique ?
Dès à présent, de grandes lignes se dessinent : le rôle nouveau de la génétique, le suivi coordonné entre le spécialiste et le généraliste, la prise en charge différenciée selon les différents âges de la vie (naissance, adolescence, sujets âgés). « L’une des originalités des recommandations est d’orienter vers la recherche d’une origine génétique dans certaines situations, d’autant plus que le patient est jeune, explique le spécialiste. On peut penser que la recherche d’une origine génétique se fera à l’avenir plus fréquemment. Avant l’âge de 20 ans, il faut savoir rechercher à l’interrogatoire des antécédents familiaux de goitre, de pathologie maligne personnelle ou familiale ou d’autres manifestations cliniques que nous avons listées. » Par exemple, des taches café au lait, un prolapsus valvulaire mitral, un néphrome, etc.
La présence de ces indices cliniques justifie d’évoquer l’implication de certains gènes (une douzaine identifiée), notamment le gène Dicer qui est associé à des formes de goitre nodulaire chez de jeunes patients. « Il existe des familles avec goitre nodulaire, éventuellement associé à d’autres tumeurs, poursuit le Pr Groussin-Rouiller. Les causes génétiques peuvent être responsables d’un goitre simple isolé, d’un goitre associé à un cancer de la thyroïde ou associé à une pathologie plus complexe. » En cas de suspicion d’une origine génétique, le médecin doit adresser le patient à un centre d’étude spécialisé pour lancer une enquête génétique et, si un gène est retrouvé, secondairement une enquête familiale pourra être proposée aux apparentés de premier degré.
Une stratégie de prise en charge adaptée à l’âge
La prise en charge du goitre peut différer selon les âges de la vie. « Cela est vrai aussi bien pour le diagnostic que pour la thérapeutique, explique l’endocrinologue. Les traitements ne sont pas les mêmes pour un nouveau-né, un adolescent ou une personne âgée. » Ainsi, chez un sujet jeune présentant un goitre simple non nodulaire, on peut envisager des apports iodés, voire une hormonothérapie. « L’objectif est de faire régresser le goitre et de prévenir l’apparition de nodules en son sein, note le Pr Groussin-Rouiller. Cette recommandation repose sur un avis d’experts dans la mesure où il n’existe pas d’études avec un nombre important de patients et un recul prolongé, ce qui explique la difficulté de pouvoir proposer des recommandations fortes avec un haut niveau de preuves. »
Chez le sujet âgé, la stratégie est différente, on va réfléchir en priorité aux approches dites non invasives (iode radioactif, thermoablation) et réserver la chirurgie aux situations plus complexes avec notamment des signes compressifs. « Plus le patient avance en âge, plus le goitre va grossir et l’on risque de voir apparaître des nodules pouvant poser des problèmes de compression des organes de voisinage, détaille le Pr Groussin-Rouiller. Faut-il dans cette situation envisager une thyroïdectomie ou peut-on réaliser une irathérapie ? Une vraie discussion va s’engager entre les spécialistes et le patient sur le positionnement des différentes stratégies. » On peut penser que, de plus en plus fréquemment, dans différents centres experts en France va se poser la question du traitement alternatif percutané par thermoablation. Quand y faire appel ?
« C’est une question que les patients posent de plus en plus souvent, rapporte l’endocrinologue. La thermoablation percutanée est plus développée dans certains pays européens ou asiatiques. On peut considérer que la France présente un certain retard : il y a un vrai champ à explorer et à développer. »
De plus, le texte aborde le point particulier de la conduite à tenir devant un goitre compliqué : comment l’explorer en cas de signes compressifs ? Quand demander l’avis d’un chirurgien ORL ? Comment explorer une dyspnée, une dysphonie, une dysphagie ou une compression vasculaire ? Autant de questions auxquelles la conférence de consensus essaie d’apporter des réponses pratiques, utiles pour les cliniciens.
Quant au suivi, il est nécessaire « d’échanger avec le patient », car la surveillance doit être adaptée à chaque situation, elle est le plus souvent prolongée, avec un rythme et des modalités conditionnés par les premiers bilans. Les recommandations ont visé à positionner la part respective de l’endocrinologue et du médecin traitant : qu’attend-on du spécialiste dans le suivi du goitre ? « Après le diagnostic initial et la première année de suivi, l’endocrinologue peut organiser le suivi avec le médecin traitant pour une surveillance clinique, biologique et éventuellement échographique, indique le Pr Groussin-Rouiller. Il n’hésitera pas à reprendre l’avis de l’endocrinologue en cas d’évolutivité du goitre. » Des recommandations spécifiques pour le suivi seront formulées.
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