LE QUOTIDIEN : Que sont les perturbateurs endocriniens (PE) ?
Pr PHILIPPE BOUCHARD : Les hommes sont soumis à d'innombrables PE au cours de leur vie : pesticides, produits cosmétiques, contenants alimentaires, médicaments… C'est cette addition de substances que l'on appelle l'exposome.
Les PE sont des substances ou des mélanges de substances qui perturbent le milieu intérieur en prenant la place des hormones qui circulent dans le sang. Ils agissent à différents niveaux : ils peuvent interférer avec les récepteurs hormonaux, avec les enzymes qui régulent les hormones, ou bien avoir des effets épigénétiques, en intervenant directement sur la chromatine de l'ADN.
Quel est leur impact sur la santé ?
On admet aujourd'hui, d'après les estimations de Leonardo Trasande de la New York University, que les PE coûtent à la société à peu près 165 milliards d'euros à l'Union européenne chaque année.
Ces coûts sont liés aux maladies qu'ils entraînent : cancers, maladies allergiques et auto-immunes, anomalies de la fertilité et de la reproduction, perturbations neurologiques, troubles du comportement, obésité et maladies métaboliques, pathologies pulmonaires, pathologies cardiovasculaires et troubles du développement.
Les épidémiologistes ont là un rôle essentiel pour nous informer en rattachant un PE à un effet, comme cela a été le cas pour la chlordécone et le cancer de la prostate en Martinique.
Quelles sont les caractéristiques des PE ?
L'effet des PE est observé à très faible dose et les effets des différentes substances s'accumulent, on parle d'effet cocktail. Ceci rend complexe l'évaluation des PE et de leurs interactions.
La plupart des industriels continuent ainsi d'avoir recours à des tests pharmacologiques de toxicologie classique, fondés sur la formule de Paracelse (XVIe siècle) : « c'est la dose qui fait le poison ». Or, cela ne s'applique pas aux PE pour lesquels on n'observe pas de courbes dose-réponse. Tous les nouveaux produits qui arrivent sur le marché devraient être testés in vitro avec des tests adaptés à la perturbation hormonale.
Qu'en est-il de l'effet in utero et transgénérationnel des PE ?
L'effet des PE peut être observé des années après leur utilisation. En particulier, des enfants exposés in utero peuvent développer des perturbations métaboliques comme un diabète 20 ou 30 ans plus tard.
L'exemple du diéthylstilbestrol (DES) est par ailleurs le plus caractéristique de l'effet transgénérationnel des PE. Le DES a été prescrit chez les femmes enceintes pour éviter les avortements prématurés entre 1940 et 1980 environ, avant que l'on découvre que le DES entraîne des cancers du vagin chez les filles des femmes qui en ont pris au cours de la grossesse et des anomalies des organes génitaux chez leurs petits-enfants.
Cet effet épigénétique est lié à des modifications biochimiques simples de l'ADN, comme la méthylation de l'ADN ou des changements dans la structure de la chromatine, qui se transmettent de génération en génération.
Les femmes enceintes doivent donc être protégées à tout prix des PE au cours de leur vie quotidienne pour éviter que leur descendance ne développe tout au long de leur vie les conséquences de ces perturbations hormonales.
Où en est la recherche aujourd'hui ?
Les observations de Rachel Carson ont largement contribué à développer le domaine de recherche sur les PE. Dans son livre « Printemps silencieux », paru en 1962, cette biologiste marine décrit un monde où les oiseaux ne chantent plus car ils ont tous disparu à cause du pesticide DDT. Plus tard, au début des années 1990, Theodora Colborn a permis d'organiser le champ de recherche autour de ces toxiques en créant le terme de perturbateurs endocriniens.
Depuis les choses avancent lentement mais elles avancent. Il reste encore énormément de produits néfastes à reconnaître et à bannir, sans les remplacer par d'autres substances nocives comme cela a été fait avec les bisphénols dans l'alimentation.
Nous manquons encore d'outils spécifiques et de tests adaptés, mais de nombreuses équipes y travaillent. La recherche est dominée par les travaux des sociétés savantes, en particulier par ceux de la Société américaine d'endocrinologie qui mène le combat. La Société européenne d'endocrinologie y contribue aussi activement.
Barbara Demeneix fait par ailleurs un travail formidable entre les États-Unis et la France. Au Muséum national d'Histoire naturelle, elle effectue des recherches sur les batraciens pour étudier les effets comportementaux et hormonaux des PE.
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