LE QUOTIDIEN : Le nombre de Français concernés par l'obésité augmente. Quelle est la prévalence de cette pathologie ?
Pr MARTINE LAVILLE : L'obésité progresse à un rythme relativement significatif et qui nous inquiète. Les enquêtes Obépi (2) montrent une évolution progressive, avec 15 % de la population française en obésité en 2012 et 17 % en 2020. Ce qui est surtout important, c'est la part de l'obésité massive (indice de masse corporelle [IMC] ≥ 40 kg/m2), qui touche 2 % des 8,5 millions de Français obèses. En parallèle, la cohorte Constances a aussi montré une augmentation de la prise de poids dans la population.
Chez les enfants, l'obésité augmente aussi, mais une tendance à la stabilisation a été retrouvée dans des études faites il y a quelques années. Mais nous manquons d'études ciblant les enfants. Les données d'Obépi et de Constances ne sont pas assez fines dans cette population.
Comment expliquer ce phénomène ?
L'environnement et les changements importants de nos modes de vie jouent un rôle majeur dans la montée de l'obésité, liée à la fois à l'urbanisation, au manque d'activité physique et à une alimentation trop raffinée ou riche en graisses, et surtout disponible à toute heure du jour et de la nuit. La prévention de l'obésité est donc un enjeu majeur de société, qui dépasse le cadre médical.
La répartition de l'incidence de l’obésité en fonction du niveau socio-économique est par ailleurs assez notable, celle-ci étant plus importante chez les personnes ayant des situations difficiles. On constate également que les régions du nord et de l'est sont plus touchées que celle de l'ouest, qui reste assez épargnée.
Il est très important de prendre en compte les déterminants environnementaux et socio-économiques, mais aussi les problèmes psychologiques, voire parfois les complications psychiatriques du patient que l'on prend en charge.
Qu'en est-il des obésités d'origine génétique ?
Beaucoup de progrès ont été faits dans les connaissances de ces obésités, qui concernent toutefois peu de cas. Il existe notamment des cas rares d'obésité monogénique, avec par exemple une mutation homozygote sur le récepteur MC4 ou le récepteur de la leptine. Mais au-delà de ces obésités rarissimes, on retrouve plus souvent des profils génétiques favorables à l'obésité, avec une mosaïque de gènes en jeu.
En 2012, à l'issue d'un appel à projets, 37 centres spécialisés de l'obésité (CSO) ont été identifiés sur le territoire par les agences régionales de santé. Quel bilan peut-on faire 10 ans après ?
La prise en charge au niveau des CSO est en général très satisfaisante, avec un rapport favorable de l’Igas (Inspection générale interministérielle du secteur social, NDLR). Les CSO ont permis d'améliorer la prise en charge de niveau 3 qui concerne les patients les plus sévères, avec des IMC élevés et des complications. Mais nous souhaitons pouvoir offrir une prise en charge de qualité au niveau 2 également, pour des patients en sortie de CSO ou bien avec des obésités débutantes.
Malheureusement, nous manquons de spécialistes en nombre suffisant. Les patients ont des difficultés à trouver des professionnels compétents, qui les comprennent et ne les stigmatisent pas. C'est pourquoi nous plaidons pour l'augmentation du nombre de médecins spécialistes dans notre discipline, qui comporte à la fois l'endocrinologie, la diabétologie et la nutrition.
La Haute Autorité de santé va publier de nouvelles recommandations de prise en charge de l'obésité, qui soulignent notamment la nécessité d'un suivi rapproché. Mais ces recommandations ne pourront être appliquées faute de spécialistes.
Et si les médecins généralistes sont essentiels pour la prévention, le dépistage et l'initiation des traitements, ils ne peuvent prendre en charge toutes les obésités avérées, qui ne requièrent pas nécessairement de prise en charge dans les centres spécialisés, mais requièrent quand même l’intervention de spécialistes.
Nous sommes en contact avec les conseillers du ministère pour obtenir cette augmentation du nombre de spécialistes, et ce d'autant que le nombre d'étudiants en médecine a été augmenté.
De nouveaux médicaments ont été autorisés récemment. Quels sont-ils ?
Deux nouveaux médicaments du laboratoire Novo Nordisk, deux agonistes du GLP1, viennent d'arriver sur le marché. Le liraglutide 3 mg est en vente en pharmacie sous le nom de Saxenda. Et le sémaglutide 2,4 mg qui fait l'objet d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) pour les obésités avec un IMC ≥ 40 kg/m². Ces deux médicaments ont fait bien sûr l'objet de toutes les phases cliniques nécessaires pour montrer leur efficacité et leur bonne tolérance et sont autorisés, mais les discussions tournent autour de leur remboursement.
Le setmélanotide (Imcivree) a par ailleurs obtenu mi-janvier un accès précoce par la Haute Autorité de santé pour le traitement des obésités génétiques, beaucoup plus rares mais très sévères, avec altération de la voie leptine/mélanocortines. C'est une vraie avancée pour les patients, notamment pour l'obésité de l'enfant, car ces diagnostics sont faits assez précocement.
Avec l'arrivée de ces nouveaux médicaments, nous assistons à une vraie révolution dans le traitement de l'obésité. Et d'autres médicaments sont attendus prochainement, comme le sémaglutide oral ou des combinaisons d’agonistes d’hormones digestives comme le tirzépatide, qui associe un agoniste du récepteur du peptide insulinotrope dépendant du glucose (GIP) et un récepteur du peptide-1 apparenté au glucagon (GLP1).
À noter que l'orlistat, un inhibiteur de la lipase digestive, est disponible depuis plusieurs années, mais n'est pas remboursé et est peu utilisé : du fait de son mode d'action, il peut entraîner des troubles digestifs.
Quelle est la place de ces nouveaux médicaments dans la prise en charge de l'obésité ?
C'est notamment le rôle du réseau Force que je coordonne et qui est un réseau de recherche clinique spécialisé dans l'obésité et les maladies métaboliques associées, constitué à la fois de chercheurs fondamentalistes et de cliniciens issus des CSO. Des discussions intéressantes se tiennent, notamment au sein du réseau, entre les chirurgiens et les médecins pour essayer de « designer » des essais permettant de définir la place de ces médicaments par rapport à la chirurgie bariatrique et aux approches non médicamenteuses.
Une nouvelle ère thérapeutique s'ouvre, et il sera très important de déterminer quelle stratégie pour qui, quand et à quelle dose pour un rapport efficacité/tolérance favorable. Les médicaments vont-ils devenir si puissants qu'ils vont remplacer la chirurgie ? Seront-ils en première ligne ou après échec de la chirurgie ?
Quant à la chirurgie bariatrique, la Société française de chirurgie de l'obésité (Soffco-MM) [3] tient un registre qui a contribué à assainir les pratiques et à proposer une prise en charge de qualité aux patients. Sur le plan technique, il y a eu aussi de nombreuses innovations, que le réseau Force a contribué à développer.
L'activité physique, l'approche nutritionnelle et le soutien psychologique sont aussi indispensables et font partie du parcours de soins des patients. Nous nous battons avec les associations de patients pour que ces actes, actuellement non remboursés comme les médicaments, soient mieux pris en charge.
(1) Porté par l’Inserm, F-Crin (French Clinical Research Infrastructure Network) renforce la compétitivité de la recherche clinique française à l’international, labellise les réseaux de recherche et de facilite la mise en place d’essais cliniques académiques ou industriels.
(2) Les enquêtes Obépi ont d'abord été réalisées par le laboratoire Roche avant d'être reprises par la Ligue contre l'obésité
(3) Société française et francophone de chirurgie de l'obésité et des maladies métaboliques
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024