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L’HISTOIRE DU GROS est d’abord celle d’ « une vindicte et de ses transformations, avec ses versants culturels, ses rejets socialement ciblés », écrit en préambule l’historien et spécialiste des représentations et pratiques du corps, dont les travaux sur l’hygiène, (« le Propre et le Sale »), la beauté ou le mythe sportif font référence. De fait, si le gros impressionne et séduit dans l’intuition ancienne, si le ripailleur peut jouir d’un certain prestige au Moyen-Âge, le très gros (et encore plus la femme obèse) inspirent presque toujours une certaine méfiance. Déjà, à la fin du Moyen-Âge, les clercs prêchent le contrôle et la retenue, en matière alimentaire comme ailleurs, les médecins commencent à évoquer les dangers du gras, les cours médiévales cultivent l’affinement. Si le très gros médiéval est un pécheur, l’obèse de la Renaissance est tenu pour un maladroit voire un incapable.
Le très gros est condamné.
De fait, l’indolence commence à beaucoup déplaire à partir du XVI e siècle, même si les seuils critiques restent encore imprécis. Bien qu’on ait peine à l’imaginer de nos jours, pendant des siècles, la graisse humaine, la chair restent des notions floues et la nature des volumes corporels (eau, gaz, graisse ?) est plus fantasmée que connue. On tente pourtant de qualifier et de définir les différentes formes de l’embonpoint en évoquant l’adiposité, l’hydropisie, la pléthore, bref des excès d’humeurs, et en proposant, logiquement, des techniques d’assèchement, d’évacuation plus ou moins barbares.
Les Lumières dénoncent, elles, de manière de plus en plus radicale, le manque de vitalité du gros comme sa perte de sensibilité et cette période voit se multiplier les pratiques curatrices (froid, électricité) visant à favoriser un regain de tonicité. La grosseur ne s’identifiera au poids, qui sera plus couramment mesuré et exprimé pour la première fois, qu’au XIX e siècle.
Histoire des kilos, histoire de l’intime.
L’histoire de l’image du corps est aussi celle des mots pour la qualifier et des moyens de la définir. Georges Vigarello inventorie les moyens d’évaluation utilisés au fil des siècles, dans les pays occidentaux, entre mensurations, mesures du poids et calculs de multiples indices chiffrés pour montrer la transformation progressive des images externes qui font cette histoire de l’obésité. Et pour souligner l’importance contemporaine de l’enjeu psychologique de l’obésité, celle de la « stigmatisation subie que porte son histoire ».
Passé du signe d’opulence à celui du relâchement physique et moral pour être désormais l’image inacceptable du manque de volonté et du laisser-aller, l’embonpoint n’a cessé d’être de plus en plus mal vu. Puisque l’obèse ne maîtrise ni son corps ni son apparence, il ne saurait être adapté au XXI e siècle, exigeant mobilité et adaptabilité d’où sa stigmatisation.
Contrainte du corps féminin.
Si la dictature de l’apparence est ancienne, celle de la recherche de la contrainte du corps féminin l’est tout autant. Si les expressions de la stigmatisation du gros changent, sa dénonciation a toujours pénalisé la femme, pour qui une minceur, même relative, a finalement toujours été obligée, quand l’embonpoint masculin était plus ou moins toléré. Hier minceur ayant la forme d’un « corps resserré à la taille, fait de chairs éventuellement onctueuses ou arrondies » par le mirage du corset (le XVII e siècle est le triomphe de l’instrumentalisation et de l’outil destiné à modeler le corps féminin), aujourd’hui corps tout aussi resserré mais « fait de muscles et de tension galbée » par la force de l’exercice et/ou de la privation et/ou de la médecine esthétique, le corps féminin continue de vivre la contrainte.
Cette histoire de l’obésité est donc bien celle de l’intime et souligne que l’identité contemporaine vient plus que jamais du corps, lequel menace sans arrêt de nous trahir.
Georges Vigarello, « les Métamorphoses du gras - Histoire de l’obésité », Seuil, 365 pages, 21 euros.
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