« QUELS SONT les objectifs que nous devons nous fixer pour avoir une prise en charge optimale du patient diabétique de type 2 ? Il n’existe pas de recette ; l’individualisation de la prise en charge est le « maître mot », a affirmé le Pr Pierre Gourdy* (CHU de Toulouse). Il faut tirer les enseignements des études d’intervention thérapeutique et en particulier les grandes études de morbimortalité pour définir des profils de patients et des situations cliniques afin d’adapter l’objectif glycémique. »
Agir précocement.
L’étude UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study) fait référence (1). Cette étude anglo-saxonne a démontré pour la première fois qu’un contrôle glycémique intensif initié précocement, moins de 2 ans après le diagnostic du diabète, durant au moins 10 ans permettait de limiter significativement la survenue et/ou l’évolution des complications microvasculaires du diabète, en particulier rétiniennes et rénales (réduction de 25 % par rapport au groupe contrôle). « Il faut du temps pour observer les bénéfices du contrôle glycémique », a indiqué le spécialiste. Les valeurs moyennes d’HbA1c étaient de l’ordre de 7,2 % à l’inclusion, ces patients avaient un surpoids (IMC ‹ ou = à 27,5), leur suivi a duré 10 ans.
Deux groupes de patients avaient été définis, le premier dont l’objectif de glycémie à jeun avait été fixé à 1,8 g/dl, le second groupe à 1,1 g/dl. L’intervention thérapeutique reposait sur l’instauration initiale de mesures hygiénodiététiques, puis l’utilisation des classes thérapeutiques alors disponibles, à savoir la metformine, les sulfamides hypoglycémiants et/ou l’insuline. Une réduction moyenne de 0,9 % de l’HbA1c a été observée dans le groupe soumis au contrôle glycémique intensif.
« Au terme du suivi médian de 10 ans, le risque d’infarctus du myocarde était réduit de 16 %, mais de façon non significative, dans le groupe bénéficiant du contrôle glycémique plus strict, a précisé le Pr Gourdy ; aucune différence n’était observée entre les deux groupes d’intervention en terme de mortalité. »
Tous les sujets ont accepté d’être suivis encore pendant 10 ans. Dans cette phase de suivi observationnel (2), la prise en charge a été classique pour l’ensemble des patients, en accord avec les recommandations en vigueur, « ce qui s’est traduit par une harmonisation rapide des valeurs d’HbA1c, », a souligné le spécialiste. « Le bénéfice sur les complications microvasculaires s’est maintenu pour le groupe de patients ayant bénéficié initialement d’un contrôle glycémique intensif ; la différence de survenue d’infarctus du myocarde est devenue significative pour ce groupe de malades : réduction du risque d’IDM de 15 % ainsi que de la mortalité (-13 %). »
La mémoire glycémique.
Ces résultats démontrent que l’organisme garde des traces de l’hyperglycémie. « Cette dernière entraîne la glycation des protéines (fixation de molécules de glucose sur les protéines de l’organisme), phénomène qui devient irréversible si l’hyperglycémie est durable (au-delà de quelques semaines), explique le Pr Gourdy. Il est donc difficile de rattraper le temps perdu ! Il faut être exigeant d’emblée, les recommandations internationales sont là pour nous le rappeler : l’objectif glycémique (< ou = 6,5 %) doit être d’autant plus ambitieux chez les sujets qui ont un diabète récent, avec une bonne espérance de vie, sans pathologie cardiovasculaire associée. »
« Toutefois,a-t-il poursuivi, cette exigence doit être nuancée en fonction du profil du sujet et de la situation clinique considérée. » Cet enseignement est lié aux résultats de trois études : VADT (3) (Veterans Affairs Diabetes Trial), ADVANCE (4) (Action in Diabetes and Vascular disease : preterax and diamicron M. controlled Evaluation) et ACCORD (5) (Action to Control CardiOvascular Risk in Diabetes) qui ont été menées chez des patients qui présentaient un diabète de type 2 évoluant depuis 8 à 10 ans. VADT (3) et ACCORD (5) sont des études américaines dirigées chez des patients de plus de 60 ans, avec 35 à 40 % de prévention secondaire cardiovasculaire et avec une HbA1c assez altérée de l’ordre de 8,2 % dans ACCORD (5) et 9,4 % dans VADT (3), avec des IMC en moyenne de 32.
L’étude ADVANCE (4) a été réalisée en Europe et en Asie, incluant des patients plus âgés avec une ancienneté du diabète plus courte que dans les études américaines VADT (3) et ACCORD (5), des sujets moins en surpoids et une HbA1c moins dégradée (7,5 %).
Les objectifs glycémiques étaient différents dans ces études : pour ADVANCE (4), l’objectif d’HbA1c était de 6,5 %, pour ACCORD (5) l’objectif était de normaliser la glycémie à 6 % et pour VADT (3), l’objectif moyen était de 7 %.
Des objectifs glycémiques réalistes.
Les stratégies d’intervention thérapeutiques étaient très agressives dans les études ACCORD (5) et VADT (3) et ne reflétaient pas la prise en charge du diabète de type 2 classique : les patients de l’étude ACCORD (5) devaient avoir une HbA1c ‹ 6 %, une glycémie à jeun inférieure à 0,9 et postprandiale à 1,40. Le contrôle plus strict des autres facteurs de risque tels que l’HTA (objectif inférieur ou égal à 120 mmHg) et dyslipidémie n’ont pas apporté de bénéfice supplémentaire mais davantage d’effets indésirables chez ces patients déjà traités. Les patients du groupe intensif ont pu stabiliser leur HbA1c ‹ 6,5 % pendant 6 ans, les patients du groupe contrôle ont eu une HbA1c ramenée à 7,5 %.
À l’entrée dans l’étude, les patients recevaient en moyenne 3 antidiabétiques oraux et 40 % étaient déjà sous insuline. À la fin de l’étude, l’intensification thérapeutique était évidente avec dans le groupe intensifié : 95 % des sujets sous metformine, 86 % sous insulinosécréteurs, 92 % sous glitazones, 23 % d’acarbose, 20 % sous incrétines, et 77 % de sujets insulinés dont 55 % en multi-injections.
ACCORD (5) a montré que la réduction des événements cardiovasculaires de l’ordre de 10 % dans le groupe intensif n’était pas significative. Après trois ans et demi, une surmortalité de 22 % (principalement liée à des morts subites) dans le groupe intensif conduisant à l’arrêt de l’essai.
« Chez ces sujets ayant un diabète évolué, avec des comorbidités, les objectifs glycémiques doivent être réalistes. Même si cette stratégie intensive est efficace chez les sujets traités en prévention primaire. Ce constat est corroboré par une sous-analyse de l’étude VADT (3) qui a pris en compte les scores de calcifications coronaires. L’incidence des événements cardiovasculaires était bien plus basse chez les sujets qui avaient une glycémie contrôlée grâce au traitement intensif et un score de calcification coronaire bas contrairement aux résultats observés chez ceux qui avaient une maladie coronaire avérée. »
L’étude ADVANCE (4) a connu une intensification thérapeutique beaucoup moins agressive. En témoigne la survenue des hypoglycémies nettement moins fréquentes dans ADVANCE (3 %) que dans ACCORD (5) (16 %) ou VADT (3) (21 %). Le cumul des traitements et le nombre de sujets sous insulinothérapie étaient moindres. « Alors que l’objectif glycémique (6,5 %) a été atteint de façon progressive, a indiqué le Pr Gourdy, il n’y a pas eu de surmortalité mais on n’a pas observé d’impact significatif sur les événements cardiovasculaires, toutefois, une réduction significative de l’ordre de 15 % était constatée lorsqu’on y associait les événements microangiopathiques, en particulier rénaux. ADVANCE est une étude plus proche de nos pratiques. »
Ces études ont conduit à une plus grande prudence vis-à-vis des sujets fragiles : ceux qui cumulent les complications vasculaires (coronaropathie évoluée, polyvasculaire…), une neuropathie végétative, un âge avancé et ceux qui présentent des épisodes hypoglycémiques répétés ou sévères. « L’objectif glycémique chez ces sujets doit se situer aux alentours de 7 %. Plus le patient présente des comorbidités, moins le contrôle glycémique doit s’avérer strict : 7 à 7,5 % pour un sujet coronarien, entre 7-8 % chez les sujets âgés en particulier en présence de comorbidités multiples. Il convient d’éviter les épisodes hypoglycémiques, mais également de prévenir l’installation d’une hyperglycémie plus marquée exposant au risque de déshydratations, voire d’hyperosmolarité ! »
« Par ailleurs, n’oublions pas l’évolutivité potentielle des complications microangiopathiques qui peuvent altérer l’autonomie et le pronostic. Ainsi, chez un sujet âgé de 75 ans, une maladie coronaire stable mais avec une rétinopathie menaçante et une néphropathie évolutive, l’objectif glycémique de 7 % sera préférable à un objectif plus élevé. La stratégie est donc à adapter en fonction du contexte »,a-t-il conclu.
Réunion organisée avec le soutien institutionnel du groupe Servier.
1. UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) Group, Lancet1998 ;352 : 837.
2.Holman RR et al. N Engl J Med2008 ;359 : 1577.
3.Duckworth W et al. N Engl J Med2009 ;360 : 129.
4.The ADVANCE Collaborative Group. N Engl J Med2008 ;358 : 2560.
5.The Action to Control CardiOvascular Risk in Diabetes Group. N Engl J Med 2008 ; 258 : 2545.
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