Entre allégations non démontrées et réel bénéfice, le jeûne intermittent - alternance de phases de jeûne et de phases d'alimentation - suscite l'engouement auprès du grand public. À l'occasion du 38e congrès de la Société française d'endocrinologie*, le Pr David Jacobi, médecin et professeur de nutrition à l'institut du thorax, au CHU de Nantes, a fait le point sur une forme de jeûne intermittent consistant à restreindre la durée d'alimentation sur 24 heures et à prolonger le jeûne nocturne.
« La notion de chronobiologie alimentaire est importante dès lors qu'on évoque le jeûne intermittent », estime le Pr Jacobi. La chronobiologie étudie les rythmes biologiques, caractérisée notamment par l'alternance veille/sommeil et la variation des sécrétions hormonales. « Et depuis quelques années, nous avons aussi intégré le fait que notre cerveau est responsable de la rythmicité de notre appétit, qui est élevé en journée et bas la nuit, et que l'alimentation en elle-même est un inducteur de rythmes au niveau des organes périphériques », explique le médecin.
Les rythmes de vie modernes perturbent notre fonctionnement physiologique, en particulier chez les personnes qui travaillent en horaires décalés. « Nous savons par exemple que le fait de dormir et de manger de manière décalée a des conséquences assez larges sur la santé métabolique et cardiovasculaire », rapporte le Pr Jacobi.
Depuis une dizaine d'années, les chercheurs ont donc mis à profit ces nouvelles connaissances de la physiologie rythmique pour étudier l'effet d'interventions sur les horaires de prise alimentaire.
Un effet métabolique bénéfique
Dans un travail expérimental de 2012 (1), des chercheurs ont comparé deux groupes de rongeurs soumis à une même alimentation hypercalorique : dans le premier, la prise alimentaire était restreinte à la période nocturne (période d'éveil et d'alimentation habituelle des rongeurs), dans le second, la prise était libre. Malgré une prise calorique équivalente, les rongeurs du premier groupe n'ont pas développé de troubles métaboliques comme l'obésité, le diabète ou un foie gras, et sont restés en bonne santé, contrairement à ceux du second groupe.
De plus, le fait de restreindre la prise alimentaire à une période nocturne de 8 à 12 heures permet de corriger ces anomalies métaboliques chez des rongeurs qui les ont développées, rapporte le Pr Jacobi, qui considère que ce type de travaux a largement contribué « à l'intérêt grandissant et populaire de l'utilisation de ces protocoles de jeûne intermittent chez l'homme ».
De nombreuses études chez l'homme cherchent ainsi à évaluer la pertinence de fenêtres de consommation alimentaire réduite. « Il a été établi qu'en conditions de laboratoire et pour une même prise calorique, les paramètres métaboliques sont améliorés lorsque la durée de la prise alimentaire est restreinte », note le Pr Jacobi.
Dans un essai croisé randomisé chez les hommes en surpoids et en situation de prédiabète, le fait de restreindre la fenêtre alimentaire quotidienne de 12 heures et plus à 6 heures améliore la sensibilité à l'insuline et les marqueurs de l'inflammation, tout en diminuant la pression artérielle (2).
Meilleure régulation hormonale
Quant à l'effet sur la perte de poids, souvent recherché par les adeptes du jeûne intermittent, il reste incertain. Une absence de bénéfice significatif sur ce paramètre a été mise en évidence par deux grands essais randomisés récents chez des patients en surpoids ou obèses. Le premier, publié en 2020 (3), avait évalué l'intérêt de restreindre la prise alimentaire durant 8 heures entre midi et 20 heures pendant 12 semaines, et le second, paru cette année (4), durant 8 heures, mais entre 8 heures et 16 heures, pendant un an.
« Néanmoins, d'autres études très récentes (5,6) ont montré que lorsque l'on avait tendance à manger davantage vers 8 heures du matin, les hormones de l'appétit et de la satiété sont mieux régulées, ajoute le Pr Jacobi. L'élévation des hormones comme le GLP1, le GIP, le peptide YY et la leptine favorise le rassasiement, tandis que l'appétit est diminué via la baisse de la ghréline. »
Pour le spécialiste en nutrition, les données concernant les potentiels bénéfices du jeûne intermittent doivent être affinées. « On peut imaginer, et c'est probablement ce qu'il faudra chercher à établir scientifiquement dans les années à venir, que les interventions de jeûne intermittent ont un réel intérêt dans des populations spécifiques », considère-t-il, tempérant ainsi « un engouement parfois excessif ».
En pratique, la durée moyenne de la fenêtre de prise alimentaire des adultes français est de 12 heures et 38 minutes selon l'étude Inca3 de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
* du 12 au 15 octobre à Nantes
(1) M. Hatori et al, Cell Metab, 2012. doi: 10.1016/j.cmet.2012.04.019.
(2) E. Sutton et al, Cell Metab, 2018. doi: 10.1016/j.cmet.2018.04.010
(3) D. Lowe et al, JAMA Intern Med, 2020. doi: 10.1001/jamainternmed.2020.4153
(4) D. Liu et al, N Engl J Med, 2022. doi: 10.1056/NEJMoa2114833
(5) L. Ruddick-Collins et al, Cell Metab, 2022. doi: 10.1016/j.cmet.2022.08.001
(6) N. Vujović et al, Cell Metab, 2022. doi: 10.1016/j.cmet.2022.09.007
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