Antiagrégation plaquettaire

La question de la résistance à l’aspirine

Publié le 22/05/2012
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Par le Dr Helen Mosnier-Pudar*

LE TERME de résistance à l’aspirine est largement utilisé, mais sa définition reste encore débattue. S’agit-il d’une définition clinique, survenue d’un nouvel événement cardio-vasculaire (CV) chez un patient traité à dose préconisée d’aspirine, ou biochimique, soit une inhibition incomplète des fonctions plaquettaires après exposition des plaquettes à l’aspirine ? Cette dernière semble bien associée à un risque plus grand de récidive d’événements CV (2). Le diabète pourrait être un facteur prédisposant à la résistance à l’aspirine (et au clopidogrel) (3). Selon les études, de 10 à 40 % des patients diabétiques présentent une résistance biochimique à l’aspirine.

Les mécanismes responsables de cette résistance sont multiples. Le diabète s’accompagne, en effet, d’un état basal procoagulant, d’un turnover accéléré des plaquettes et d’une augmentation de la réactivité plaquettaire. L’hyperglycémie elle-même semble aussi jouer un rôle dans la résistance à l’aspirine. Deux mécanismes sont invoqués : une augmentation du métabolisme de l’aspirine et une augmentation de la glycation des résidus protéiques plaquettaires et des facteurs de la coagulation qui rentre en compétition avec l’acétylation de ces mêmes résidus par l’aspirine (4). De plus une modification des voies de signalisation cellulaire a été décrite chez le diabétique, aboutissant à l’activation plaquettaire par des voies indépendantes de COX1 ou à la production de thromboxane. Enfin, ont été rapportés chez le patient diabétique des polymorphismes responsables de modifications du métabolisme plaquettaire ou de modifications de la réponse au traitement.

Les options thérapeutiques.

Compte tenu de l’impact clinique potentiel de la résistance à l’aspirine chez le diabétique, plusieurs études explorent les alternatives pour vaincre cette résistance. De nombreux arguments suggèrent qu’un mauvais contrôle métabolique aggrave le risque de résistance à l’aspirine, indiquant que corriger l’hyperglycémie chronique et les autres facteurs de risque associés est la première action à entreprendre. De même pour l’amélioration de l’observance et la diminution des interférences médicamenteuses, notamment avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Au-delà de ces mesures, d’autres solutions ont été proposées : augmenter les doses administrées, utiliser le clopidogrel, associer un autre antiagrégant. Aucune ne peut aujourd’hui être recommandée, car aucune n’a apporté de preuve clinique de son efficacité, voire certaines augmentent le risque, tel que le risque hémorragique au-delà de 100 mg d’aspirine. Passer à deux prises par jour d’aspirine semble une piste intéressante, mais nécessite encore une validation clinique (5).

En pratique, même si le concept de résistance à l’aspirine est beaucoup débattu, il n’empêche que globalement l’aspirine se montre efficace en prévention CV secondaire, y compris dans la population diabétique. Dès lors, la prescription d’aspirine doit être systématique chez les patients diabétiques en prévention secondaire, voire en prévention primaire, à condition que leur risque vasculaire soit élevé. La dose d’aspirine préconisée est de 75-100 mg par jour. Par ailleurs, tout doit être mis en œuvre pour améliorer l’équilibre métabolique et l’observance.

Même si aujourd’hui il n’existe pas de recommandation concernant le dépistage et l’adaptation du traitement en cas de résistance à l’aspirine, le moins bon pronostic CV apparent et le plus haut risque de récidive qui l’accompagne poussent à poursuivre les investigations fondamentales et cliniques. Elles seules permettront de comprendre le lien entre échec du traitement et résistance biochimique, d’identifier les patients à risque et de proposer des solutions thérapeutiques.

* Hôpital Cochin, Paris. Liens d’intérêts : aucun.

D’après le symposium Du bon usage des antiagrégants plaquettaires chez le diabétique.

(1) Antithrombotic Trialists’ collaboration- Collaborative meta-analysis of randomised trials of antiplatelet therapy for prevention of death, myocardial infarction, and stroke in high risk patients. Br Med J 2002:324:71-86.

(2) Krasopoulos G, Brsiter SJ, Beattie WS, Buchanan MR. Aspirin “resistance” and risk of cardiovascular morbidity: systematic review and meta-analysis. Br Med J 2008:195-8.

(3) Angiolillo DJ, Bernardo E, Sabate M, Quevedo PJ, Costa MA, Palazuelos J, Hernández-Antolin R, Moreno R, Escaned J, Alfonso F, Bañuelos C, Guzman LA, Bass TA, Macaya C, Fernandez-Ortiz A. Impact of platelet reactivity on cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes mellitus and coronary artery disease. J Am Coll Cardiol 2008,50:1541-7.

(4) Ajjan R, Storey RF, Grant PJ. Aspirin resistance and diabetes mellitus. Diabetologia 2008, 51:385-90.

(5) Henry P, Vermillet A, Boval B, Guyetand, Petroni T, Dillinger JG, Sideris G, Bal dit Sollier C, Drouet L. 24-hour time-dependent aspirion efficacy in patients with satble coronary artery disease. Thromb Haemost 2011,105:336-44.


Source : Bilan spécialistes