PAR LE Pr SERGE HALIMI*
L’AUTO-SURVEILLANCE glycémique (ASG) chez le diabétique de type 1 (DT1) et chez le diabétique de type 2 (DT2) insulinotraité est indispensable et personne ne dénie son utilité. Irremplaçable, elle est le seul moyen en mesure de procéder aux ajustements réguliers de l’insulinothérapie, et permet d’identifier les excursions glycémiques et les hypoglycémies, de les traiter, voire d’en prévenir la majoration. En ce domaine le niveau de preuve est élevé. En revanche, pour le DT2 sous régime seul ou sous antidiabétiques oraux (ADOs), voire, aujourd’hui, sous injection d’analogues du GLP1 et donc ne recevant pas d’insuline, l’usage de l’ASG fait débat quant à son utilité et son impact sur la qualité de vie du patient et sur les dépenses de santé. En effet, peu d’études ont permis de retenir un réel bénéfice sur le contrôle glycémique. Une récente méta-analyse fait état d’une baisse moyenne d’HbA1c de seulement 0,2 %. Il convient de préciser, à la décharge de ce faible bénéfice, que les interventions visant à évaluer l’impact propre de l’ASG sont difficiles à mener, cet effet étant peu dissociable d’autres facteurs puisque le groupe témoin bénéficie aussi d’un important renforcement de prise en charge. Une étude totalement randomisée et en insu est totalement irréalisable. La question se pose donc de savoir si d’autres critères de jugement ne seraient pas plus pertinents : sensibilisation du patient à sa maladie « à long terme », qualité de vie, durabilité des effets de l’éducation thérapeutique, lutte contre les hypoglycémies, identification des effets de l’alimentation et de l’exercice physique sur les glycémies.
Un effet à investiguer.
L’effet d’accompagnement du patient, à « long terme », que l’ASG peut ainsi constituer, n’est presque jamais investigué. Ceci serait d’autant plus utile que nombre d’études montrent plutôt un effet délétère de l’ASG sur les échelles de stress, d’anxiété et de colère, dans la mesure où face à un résultat défavorable, le patient ne dispose d’aucun moyen d’agir pour réduire l’hyperglycémie. En effet, le patient ne peut faire baisser sa glycémie par un ajustement des médicaments oraux, ou un exercice physique « aigu », ou ne pas manger du tout ! En somme il est sensibilisé de façon répétée quant à la qualité de son contrôle glycémique, sans réel moyen d’agir dans l’immédiat. De plus, nombre d’études montrent que les soignants ne prennent pas assez en compte les résultats des glycémies capillaires. Ils parcourent trop souvent de façon hâtive les carnets, qui ont pourtant été consciencieusement remplis durant des semaines par les patients, minimisent la portée des mauvaises glycémies lorsque l’HbA1c est jugée « aux objectifs ». Ceci laisse le patient seul face à des valeurs qu’il vit comme inexplicables, inquiétantes et injustes.
Le manque de conseils précis donnés pour tirer le meilleur parti de l’ASG est très largement en cause. Comme rechercher des hypoglycémies sous sulfamides hypoglycémiants à aux horaires où celles-ci peuvent le plus se produire ? Ne pas se limiter aux glycémies à jeun mais explorer les post-prandiales, etc. ? En somme, rendre l’ASG plus utile, mais surtout au soignant. En effet, ceci vaut pour nos objectifs, mais qu’en est-il de ceux des patients ? C’est pourtant de là que toute démarche doit aujourd’hui être conduite dans les maladies chroniques, donc chez le DT2. Ceci permettrait de faire de l’ASG un outil moins pénible et plus utile au patient, puisque mieux compris, mieux utilisé, issu d’une décision partagée. Autre exemple, le geste d’auto-piqûre est volontiers rapporté comme douloureux par nombre de patients. Mais on sait aussi qu’une très petite minorité d’entre eux change de lancette à chaque mesure. Pourtant, l’éducation du patient à ce geste devrait le rappeler puisque ceci joue de façon très forte sur la réduction de la douleur.
Difficultés.
On sait que 90 % des DT2 sont suivis par un médecin généraliste. Ceci indique que ces omnipraticiens, et non uniquement les diabétologues, ont des difficultés avec l’ASG et que, s’ils la prescrivent aujourd’hui de plus en plus souvent, c’est aussi sans réelle conviction quant à ce qu’ils en attendent véritablement. C’est donc avec eux et avec les patients eux-mêmes qu’il convient, demain, d’approfondir la question et de bâtir des outils de prescription et d’analyse adaptés. En effet, la venue sur le marché des nouveaux traitements, qui n’exposent plus aux hypoglycémies, et la volonté de réduction des dépenses de santé risquent de conduire au déremboursement de ce dispositif pour les DT2 sans insuline. Ceci serait un grand dommage dans une maladie asymptomatique, silencieuse, qui serait d’autant plus ignorée et plus à risque de complications par retard de prise en charge. À nous, ensemble, de proposer des stratégies d’utilisation de l’ASG, adaptées à ces situations et en fonction de la problématique propre de chaque patient. Un défi pour l’omnipraticien comme le diabétologue et, plus largement, l’ensemble des soignants intervenant dans le parcours de soin : en ville, dans les réseaux de soins ou à l’hôpital.
* CHU de Grenoble.
DCI : l’auteur déclare avoir ou avoir eu des relations professionnelles rémunérées, directes ou indirectes, avec la totalité des industriels impliquées dans le traitement du diabète, de ses complications ou des pathologies associées et plusieurs des fabricants de matériel d’auto-surveillance glycémique.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024