Alors que se tient ce vendredi 4 mars la Journée mondiale contre l'obésité, la Pr Martine Laville, coordinatrice du réseau de recherche clinique Force, fait le point sur l'arrivée de nouveaux médicaments, mais pointe aussi le manque de spécialistes en France.
LE QUOTIDIEN : Le nombre de Français concerné par l'obésité augmente. Quelle est la prévalence de cette pathologie ?
Pr MARTINE LAVILLE : L'obésité progresse à un rythme relativement significatif et qui nous inquiète. Les enquêtes Obépi (1) montrent une évolution progressive, avec 15 % de la population française en obésité en 2012 et 17 % en 2020. Ce qui est surtout important, c'est la part de l'obésité massive (IMC ≥ 40 kg/m2), qui touche 2 % des 8,5 millions de Français obèses. En parallèle, la cohorte Constances a aussi montré une augmentation de la prise de poids dans la population.
Chez les enfants, l'obésité augmente également, mais une tendance à la stabilisation a été retrouvée dans des études faites il y a quelques années. Mais nous manquons d'études ciblant les enfants. Les données d'Obépi et de Constances ne sont pas assez fines dans cette population.
Comment expliquer ce phénomène ?
L'environnement et les changements importants de nos modes de vie jouent un rôle majeur dans la montée de l'obésité, liée à la fois à l'urbanisation, au manque d'activité physique et à une alimentation trop raffinée ou riche en graisse, et surtout disponible à toute heure du jour et de la nuit. La prévention de l'obésité est donc un enjeu majeur de société, qui dépasse le cadre de la maladie.
Qu'en est-il des obésités d'origine génétique ?
Beaucoup de progrès ont été faits dans les connaissances de ces obésités, qui concernent toutefois peu de cas. Il existe notamment des cas rares d'obésités monogéniques, avec par exemple une mutation homozygote sur le récepteur MC4 ou le récepteur de la leptine. Mais au-delà de ces obésités rarissimes, on retrouve le plus souvent des profils génétiques favorables à l'obésité, avec une mosaïque de gènes en jeu.
En 2012, à l'issue d'un appel à projets, 37 centres spécialisés de l'obésité (CSO) ont été identifiés sur le territoire par les agences régionales de santé. Quel bilan 10 ans après ?
Le bilan est positif, les CSO ont permis d'améliorer la prise en charge de niveau 3 des patients les plus sévères, avec des IMC élevés et des complications. Mais nous souhaitons pouvoir offrir une prise en charge conséquente en niveau 2 également, pour des patients en sortie de CSO ou bien avec des obésités débutantes. Malheureusement, nous manquons de spécialistes en nombre suffisant pour répondre aux besoins de la population. C'est pourquoi nous plaidons pour l'augmentation du nombre de médecins spécialistes dans notre discipline. Nous sommes en contact avec les conseillers du ministère.
De nouveaux médicaments ont été autorisés récemment. Quels sont-ils ?
Deux nouveaux médicaments du laboratoire Novo Nordisk, deux agonistes du GLP1, viennent d'arriver sur le marché. Le liraglutide 3 mg est en vente en pharmacie sous le nom de Saxenda. Et le sémaglutide 2,4 mg fait l'objet d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) pour les obésités avec un IMC ≥ 40 kg/m². Ces deux médicaments ont fait bien sûr l'objet de toutes les phases cliniques nécessaires pour montrer leur efficacité et leur bonne tolérance et sont autorisés, mais les discussions tournent autour de leur remboursement.
Le setmélanotide (Imcivree) a par ailleurs obtenu mi-janvier un accès précoce par la Haute Autorité de santé pour le traitement des obésités génétiques avec altération de la voie leptine/mélanocortines. C'est une vraie avancée pour les patients, notamment pour l'obésité de l'enfant, car ces diagnostics sont faits assez précocement.
Avec l'arrivée de ces nouveaux médicaments, nous assistons à une vraie révolution dans le traitement de l'obésité. Et d'autres médicaments sont attendus prochainement, comme le sémaglutide oral.
À noter que l'orlistat, un inhibiteur de la lipase digestive, est disponible depuis plusieurs années, mais n'est pas remboursé et est peu utilisé : du fait de son mode d'action, il peut entraîner des troubles digestifs.
Comment positionner ces nouveaux médicaments dans la prise en charge de l'obésité ?
C'est notamment le rôle du réseau Force que je coordonne et qui est un réseau de recherche clinique spécialisé dans l'obésité et les maladies métaboliques associées, constitué à la fois de chercheurs fondamentalistes et de cliniciens issus des CSO. Des discussions intéressantes se tiennent, notamment au sein du réseau, entre les chirurgiens et les médecins pour essayer de designer des essais permettant de positionner les médicaments par rapport à la chirurgie bariatrique et aux approches non médicamenteuses.
Une nouvelle ère thérapeutique s'ouvre, et il sera très important de déterminer quelle stratégie pour qui, quand et à quelle dose pour un rapport efficacité/tolérance favorable.
Quelle place pour les approches non médicamenteuses et non chirurgicales ?
Les approches physiques, nutritionnelles et psychologiques sont indispensables et font partie du parcours de soins des patients mais ne sont pas remboursées. Nous nous battons pour que ces actes soient mieux pris en charge.
(1) Les enquêtes Obépi ont d'abord été réalisées par le laboratoire Roche avant d'être reprises par la Ligue contre l'obésité.
(2) Société française et francophone de chirurgie de l'obésité et des maladies métaboliques
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024