Nombre de nos concitoyens excluent aujourd’hui le gluten de leur alimentation, alors même qu’ils ne souffrent pas de maladie cœliaque. La blogosphère fourmille de témoignages et de controverses, mais majoritairement le gluten fait partie des parias, avec les OGM, l’huile de palme, etc. Il fait l'objet de l’une des principales phobies alimentaires d'exclusion (régimes « sans »). On tend en fait à confondre son rôle pathogène dans l’authentique maladie cœliaque avec des effets prétendument nuisibles pour la population générale.
Les parents de nouveau-nés ne savent plus trop quoi penser ou faire quant à l’introduction d’aliments contenant du gluten – pas du tout, un peu, le plus tard possible ? – et regardent le quignon de pain que veut saisir bébé avec une angoisse grandissante. Quel est le point de vue de la science à ce propos ? Difficile de répondre de façon claire. Si les études ici rapportées ne sont pas très récentes, il semblait intéressant d’évoquer la question.
Une association DT1 / maladie cœliaque
Nous savons de longue date que les patients porteurs d’un diabète de type 1 (DT1) doivent être régulièrement surveillés, à la recherche de signes de maladie cœliaque. Cette maladie auto-immune est parmi les plus fréquemment associées à un DT1, après les dysthyroïdies (comme la maladie de Basedow) et les hypothyroïdies auto-immunes.
Son diagnostic fait d’abord appel à la clinique (anorexie, perte de poids, douleurs digestives, troubles du transit, etc.). Il s’appuie ensuite sur des alertes biologiques simples (anémie ferriprive, EPO élevée, carences diverses) et le dosage d’anticorps spécifiques (anti-TG2, anti-EMA). Il nécessite une confirmation histologique après biopsie duodénale.
Un débat contradictoire
Une majorité de travaux incriminent le gluten comme facteur environnemental majeur… Sur un terrain à risque génétique de DT1.
Les protéines de gluten se distinguent des autres protéines de céréales : elles sont partiellement résistantes au traitement enzymatique dans l’intestin, ce qui entraîne leur exposition continue au système immunitaire intestinal. Des études sur des modèles animaux diabétiques de type 1 ont démontré que la pathogenèse est influencée par l’alimentation. Ainsi, un régime sans gluten prévient le diabète chez les souris NOD, alors qu’un régime à base de céréales favorise son développement.
Chez les nourrissons, plusieurs enquêtes ont démontré que la quantité, le moment et le mode d’introduction affectent le potentiel diabétogène du gluten, et certaines études suggèrent maintenant qu’un régime sans gluten pourrait préserver la fonction des cellules bêta. Ces travaux plaident donc pour une introduction plus tardive du gluten dans le régime des nouveau-nés – conseil donné aux parents durant des années pour réduire le risque de maladie cœliaque (1).
Au contraire, une nouvelle étude incite quant à elle ne pas retarder son introduction chez le nourrisson (2). Le Babydiet Study avait déjà mené une étude interventionnelle visant à préciser si retarder la première introduction du gluten dans l’alimentation des nouveau-nés à haut risque de DT1 pouvait affecter son incidence à l’âge de 3 ans.
Ce travail ne confirmait pas les effets diabétogènes du gluten décrit dans d’autres études observationnelles. Il a été poursuivi pendant treize ans. En pratique, chez 150 enfants recrutés à moins de 3 mois ayant au moins un parent de premier degré atteint de DT1 et un des cinq allèles de susceptibilité, le gluten a été introduit à partir de l’âge, soit de 6 mois, soit de 12 mois. Ces enfants ont été suivis tous les 3 mois jusqu’à l’âge de 3 ans puis tous les ans.
On a recherché au moins un des anticorps GAD65, IA-2, et Zn-T8 et leur persistance à au moins deux contrôles, ou à la fin de l’étude. La maladie cœliaque a aussi été recherchée (persistance des anticorps antitransglutaminase C). La durée d’allaitement et les dates d’introduction du gluten ont été suivies par les parents.
Les enfants ont été comparés, selon leur véritable date de première exposition au gluten (entre 4,5 et 7,5 mois, versus à entre 10,5 et 13,5 mois) et les résultats ajustés selon l’allaitement maternel.
La médiane de suivi a été de 8,5 ans (écart interquartile : 3,9-9,3 ans). Parmi ces enfants, 27 ont développé des anticorps anti-îlots, dont 17 plusieurs, 14 ont présenté un DT1, et 22 des anticorps de la maladie cœliaque (anti-TG-C). Non seulement le fait de retarder l’exposition au gluten n’a ici montré aucun effet protecteur quant à l’apparition d’un DT1, mais c’est plutôt l’inverse qui a été constaté. L’introduction plus tardive s’accompagnait de présence plus élevée d’anticorps anti-îlots.
Une précédente étude, Diabetes Autoimmunity Study in the Young (Daisy), avait aussi réfuté que la date précoce d’exposition au gluten ou l’allaitement maternel influent sur l’apparition du DT1. Les auteurs ne nient pas que les modalités d’apport du gluten puissent jouer un rôle, mais leur travail contredit certaines idées assez ancrées, et incite désormais certains pédiatres, y compris en France, à conseiller aux parents d’introduire des farines « avec gluten » avant l’âge de 6 mois. Exactement l’inverse de ce qui est préconisé depuis des années ! Qui croire ?
Professeur émérite, université Grenoble Alpes (Grenoble)
(1) Antvorskov J. C., Josefsen K., Engkilde K. et al. « Dietary gluten and the development of type 1 diabetes », Diabetologia, vol. 57, no 9, septembre 2014, p. 1770-1780. DOI : 10.1007/s00125-014-3265-1
(2) Beyerlein A., Chmiel R., Hummel S. et al. « Timing of Gluten Introduction and Islet Autoimmunity in Young Children: Updated Results From the Babydiet Study », Diabetes Care, vol. 37, no 9, septembre 2014, p. 194-195. DOI : 10.2337/dc14-1208.
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