La prévalence du diabète varie de 24 à 48 % chez les patients insuffisants cardiaques, quelle que soit la fraction d’éjection. Alors que depuis une vingtaine d’années un effort considérable a été réalisé pour dépister chez les patients diabétiques l’ischémie myocardique silencieuse sans conséquences cliniques pertinentes, il pourrait donc être plus intéressant de dépister les dysfonctions ventriculaires gauches asymptomatiques associées au diabète en utilisant des biomarqueurs. La mise en route d’un traitement spécifique orienté soit vers le myocarde, avec un blocage du système rénine-angiotensine-aldostérone, soit vers les modalités de contrôle glycémique des traitements du diabète de type 2, comme l’empagliflozine, ayant fait la preuve d’une efficacité dans la prévention du risque d’insuffisance cardiaque pourrait alors prévenir l’apparition de cette dernière. Le diabète, du fait de sa prévalence croissante, constituera en effet dans les années à venir une des principales causes d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (ICFEr) ou préservée (ICFEp).
NT-proBNP, un puissant marqueur de risque
La détection des patients diabétiques de type 2 à haut risque cardiovasculaire par le NT-proBNP a fait l’objet de trois études.
Dans un travail danois ayant inclus 315 diabétiques de type 2, dont 183 présentant une normoalbuminurie, 80 une microalbuminurie et 47 une macroalbuminurie, suivis en moyenne 15,5 ans, le NT-proBNP au seuil de 62 pg/mL s’est révélé un puissant marqueur de risque à long terme, indépendant du taux d’excrétion urinaire d’albumine (1).
Dans une étude réalisée à Vienne, ayant inclus 631 diabétiques non sélectionnés, suivis en moyenne pendant un an, le NT-proBNP au seuil de 125 pg/mL a identifié les patients à haut risque d’hospitalisation, pour causes cardiovasculaires non planifiées, ou de décès, avec une excellente valeur prédictive de 98 %, mais positive d’uniquement 13 % (2).
Dans l’étude SICA-Diabetes, menée sur 1 224 diabétiques de type 2 non insuffisants cardiaques ou rénaux pendant 436 jours, le pourcentage d’hospitalisation cardiovasculaire et de décès, respectivement de 8 et 0,6 % pour un NT-proBNP inférieur à 125 pg/mL, passe à 13 et 1,2 % pour un NT-proBNP entre 125 et 250 pg/mL, à 19 et 3,9 % pour un NT-proBNP entre 250 et 300 pg/mL (3).
L’intérêt d’une telle démarche de dépistage par les peptides natriurétiques des patients diabétiques à haut risque d’événements cardiovasculaires, qui pourraient tirer bénéfice d’un traitement antineurohormonal, est validé par l’essai PONTIAC (3). À partir d’une population de 2 189 diabétiques, cette étude en a sélectionné 300 présentant une valeur de NT-proBNP supérieure à 125 pg/mL indemnes de maladies cardiaques et les a randomisés entre un groupe traité par IEC, ou ARA2, à posologie titrée associé à un bêta-bloquant et un bras contrôle. Après un suivi de deux ans, on observe une diminution significative de 69 % des hospitalisations et des décès de causes cardiaques dans le groupe traité par rapport au bras contrôle (schéma 1).
Imagerie et caractérisation tissulaire
Des modifications précoces, tant morphologiques que fonctionnelles, peuvent également être mises en évidence chez les sujets diabétiques asymptomatiques par l’échocardiographie ou l’IRM. Un remodelage ou une hypertrophie concentrique ventriculaires gauches sont observés, l’augmentation de la masse myocardique étant indépendante de la pression artérielle, de l’index de masse corporelle, de l’âge et de la maladie coronarienne.
Grâce à des techniques de caractérisation tissulaire, une augmentation du taux de triglycérides du myocarde et une fibrose myocardique ont pu être mises en évidence. Une dysfonction diastolique est retrouvée chez 50 % des diabétiques (4). Bien que peu spécifiques, puisqu’influencées par de nombreux facteurs tels que l’âge, l’obésité et l’hypertension artérielle (5) possèdent une valeur pronostique, un rapport E/e' supérieur à 15 multipliant par 2,2 le risque de développer une insuffisance cardiaque (6). Dans une large population de patients diabétiques, l’existence d’une dysfonction diastolique est reliée à la mortalité après ajustement à l’âge, au sexe, à l’hypertension artérielle, à la fraction d’éjection ventriculaire gauche, à la maladie coronarienne et à l’ancienneté du diabète (7). Une dysfonction systolique est mise en évidence chez environ 25 % des diabétiques par les techniques d’imagerie de quantification de la déformation myocardique, avec une diminution du strain longitudinal global (4). Sa signification pronostique reste à déterminer.
Cette prévalence élevée des dysfonctions myocardiques explique que les patients diabétiques puissent développer une insuffisance cardiaque à l’occasion d’une rétention hydrosodée modérée favorisée par la néphropathie, ou d’une altération surajoutée de la dysfonction cardiaque induite par un événement coronarien aigu.
Vers une détection en deux temps ?
Un dépistage en deux étapes du remodelage et/ou de la dysfonction ventriculaires gauches des patients diabétiques pourrait ainsi être proposé : la première, biologique, un dosage des peptides natriurétiques (un taux de NT-proBNP ≤ 125 pg/mL arrêtant les investigations) ; la seconde, échocardiographique, réservée aux diabétiques dont le taux de NT-proBNP est supérieur à 125 pg/mL, aboutissant à la mise en route d’un traitement par un bloqueur du système rénine-angiotensine en cas d’anomalies morphologiques ou fonctionnelles. De plus, cette détection des diabétiques à haut risque d’insuffisance cardiaque pourrait permettre une individualisation du traitement hypoglycémiant, par l’évitement des classes thérapeutiques favorisant l’apparition d’une insuffisance cardiaque, comme les glitazones ou, au sein des inhibiteurs des DPP4, la saxagliptine, et le choix de classes favorables, comme les inhibiteurs de la SGLT2, ou neutres, comme les biguanides (8). Quant à la place des marqueurs de remodelage, comme le sST2, ou de fibrose, telle la galectine-3, elle devra être précisée par de futurs travaux.
La validation de cette stratégie de dépistage des sujets à risque d’insuffisance cardiaque a fait l’objet d’un grand essai d’intervention, l’étude STOP-HF, réalisée en Irlande (9). Elle a inclus 1 374 patients âgés de plus de 40 ans non insuffisants cardiaques, sans dysfonction ventriculaire gauche connue, présentant des facteurs de risque d’insuffisance cardiaque : hypertension artérielle, diabète, obésité, dyslipidémie, maladie vasculaire, arythmie. Un dosage annuel du BNP était réalisé et déclenchait une prise en charge spécifique en cas de valeur supérieure à 50 pg/mL dans le groupe intervention, comportant un avis cardiologique, une échocardiographie et d’autres investigations si nécessaire, puis un suivi par un cardiologue et une infirmière spécialisée. Le résultat du dosage n’était pas communiqué au médecin dans le groupe contrôle.
Après un suivi de huit ans au maximum, dans le bras intervention, le critère primaire de l’étude, associant survenue d’une insuffisance cardiaque et existence d’une dysfonction ventriculaire gauche systolique (fraction d’éjection < 50 %) ou diastolique (fraction d’éjection ≥ 50 % et rapport E/e' > 15) à l’échocardiographie de fin d’étude, est diminué de 41 %, et de 54 % pour le sous-groupe (498 patients au total) présentant un BNP supérieur à 50 pg/mL (schéma 2). Parmi les critères secondaires, on observe dans le groupe intervention une diminution des événements cardiovasculaires de 31 %, et de 35 % pour le sous-groupe. Ce bénéfice semble essentiellement lié à une plus grande utilisation des médicaments bloquant le système rénine-angiotensine-aldostérone dans le groupe intervention.
Ainsi, les effets spécifiques des différentes classes d’hypoglycémiants sur le risque d’insuffisance cardiaque, positifs ou négatifs, laissent espérer le développement de stratégies de prévention et de traitement qui justifient l’identification précoce des patients diabétiques présentant une altération des structures et fonctions ventriculaires gauches. Cardiologues et diabétologues doivent donc poursuivre leur collaboration en l’élargissant à la pathologie myocardique pour mieux prévenir le risque d’insuffisance cardiaque.
CHU Toulouse-Rangueil, UMR UT3 CNRS 5288, université Paul-Sabatier-Toulouse III
(1) Tarnow L et al. Diabetologia 2006;49(10):2256-62
(2) Huelsmann M et al. Eur Heart J 2008;29(18):2259-64
(3) Huelsmann M et al. J Am Coll Cardiol 2013;62(15):1365-72
(4) Strom J. J Am Soc Echocardiogr 2014;27(5):489-92
(5) Ernande L et al. J Am Soc Echocardiogr 2011;24(11):1268-75
(6) From AM, Scott CG, Chen HH. J Am Coll Cardiol 2010;55(4):300-5
(7) From AM, Scott CG, Chen HH. Am J Cardiol 2009 ;103(10) :1463-6
(8) Fitchett DH, Udell JA, Inzucchi SE. Eur J Heart Fail 2017;19:43-53
(9) Ledwidge M, Gallagher J, Conlon C et al. JAMA 2013;310(1):66-74
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