« L’ABROGATION des recommandations en urgence par le Conseil d’Etat est une séquelle de l’imbroglio médiatique autour de l’affaire du Médiator », déclare au «Quotidien» le Pr Jean-Jacques Altman, chef de service de diabétologie à l’Hôpital Européen Georges Pompidou et membre du groupe de travail de la HAS ayant élaboré les recommandations de novembre 2006. « La situation a un côté délirant, renchérit le Pr André Grimaldi, chef de service de diabétologie à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière et vice-président du groupe de travail. Cette décision entretient un climat de suspicion générale ».
Il faut dire que l’annulation du texte est rendue dans un contexte particulièrement trouble en effet. Après le séisme provoqué par l’affaire du Médiator, « qui n’a jamais eu de place dans les recommandations », rappelle le Pr Grimaldi, le signal de pharmacovigilance concernant la pioglitazone laisse planer le doute sur un nouveau scandale sanitaire en germe. Mais bien plus encore la question des conflits d’intérêt des experts ne cesse d’agiter l’opinion.
Vice de forme
Le Conseil d’Etat a motivé sa décision par le fait que quatre des vingt-sept membres du groupe de travail n’ont pas fourni de déclaration publique d’intérêts. C’est donc sur l’argument du «vice de forme» que l’institution a donné raison à la requête déposée par l’Association de formation médicale indépendante Formindep, «le surplus des conclusions ayant été rejeté». Car ce n’est pas le seul reproche formulé à la HAS par Formindep. L’organisme dénonce également la trop grande proximité de certains experts avec l’industrie pharmaceutique et leur manque d’indépendance. Selon Formindep, les délibérations seraient sous influence et les conclusions potentiellement orientées. Si le Conseil d’Etat ne prend pas position à ce sujet, l’annulation laisse la porte ouverte au doute. La nécessité d’un «grand nettoyage» parmi les experts semble gagner du terrain au sein même des institutions. La HAS a d’ailleurs annoncé dans son communiqué de presse que le groupe de travail préparant actuellement les nouvelles recommandations répond «à des règles plus strictes» concernant la gestion des conflits d’intérêt, suite à la consultation dugroupe«déontologie et indépendance de l’expertise».
L’indépendance à tout prix
La solution d’une expertise indépendante n’est peut-être pas idéale non plus. Ne se priverait-on pas alors de l’avis de spécialistes qualifiés puisque la recherche clinique est majoritairement financée par le secteur privé ? Compte-tenu de la difficulté à recruter des experts, l’essence des recommandations pourrait perdre de son intérêt même. « Le critère numéro 1 pour de bonnes recommandations est la compétence des experts, insiste le Pr Grimaldi. Que des intervenants aient des conflits d’intérêt signifie aussi qu’ils ont suffisamment de pertinence pour que l’industrie ait envie d’avoir recours à leurs services. Ne pas en avoir ne devrait pas légitimer en soi seul la qualité d’un expert ». Si l’on peut s’interroger sur l’objectivité des experts rémunérés par l’industrie, la question serait davantage celle de la transparence. En jouer le jeu peut-il être un gage suffisant d’engagement moral pour accepter une mission d’intérêt général ? « J’irai même plus loin, poursuit le Pr Grimaldi. Pour que les choses soient tout à fait claires aux yeux de tous, il faudrait déclarer les sommes versées. Il deviendrait plus facile de fixer des limites et déterminer ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas ».
Dérives de l’AMM
Bien qu’abrogées, les recommandations sont très peu critiquées sur le fond, hormis le vide concernant les nouvelles molécules non citées n’existant pas à l’époque. « Les glitazones n’étaient recommandées qu’en bithérapie de 2e ligne dans les recommandations françaises de 2006, fait remarquer le Pr Grimaldi. Et le document insistait sur l’attente des résultats des études en cours concernant le risque cardiovasculaire et sur le nécessaire suivi des données de pharmacovigilance pour le risque carcinogène. Et bien nous en a pris ! S’il y avait une leçon à tirer pour les prochaines recommandations, ce serait de placer les incrétines en trithérapie. Mieux vaut privilégier les traitements classiques et faire reculer dans un premier temps les nouvelles molécules dans la stratégie thérapeutique. Il faut plus de recul pour évaluer le rapport bénéfice/risque ».
Un écueil serait de ne vouloir se référer qu’aux données de l’AMM brute. « Il faut bien avoir à l’esprit que l’AMM est délivrée sur la base des études programmées par les industriels dans leur plan de développement, souligne le spécialiste. Ce qui sous-tend bien sûr un objectif de rentabilité. Prescrire en première intention des médicaments nouveaux et chers ne semble pas la meilleure des stratégies ». Confondre l’AMM et recommandations serait en l’état actuel des choses une erreur.
Les recommandations de bonne pratique reposent ainsi en grande partie sur un niveau de preuves, dit « faible », c’est-à-dire le consensus d’experts. Mais peut-il en être autrement, ne serait-ce qu’en raison du coût financier des études. « Depuis quelques années, l’enjeu des recommandations est devenu disproportionné, déplore le Pr Altman. Les firmes pharmaceutiques et l’évaluation des pratiques professionnelles s’en sont emparées de façon outrancière. Il faut peser chaque mot, chaque phrase, pour éviter qu’ils ne soient interprétés mal à propos. Et encore, nous n’en sommes pas comme à la FDA à avoir des juristes et des avocats dans les groupes de travail. Il y a la volonté de les faire passer pour ce qu’elles ne devraient pas être, des oukazes manichéens et dictatoriaux. Elles sont en train de perdre leur vocation première, celle d’aider les professionnels par des conseils nuancés.Certaines situations cliniques particulières nécessitent des ajustements ».
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