L’étude de Framingham a été la première à démontrer que le diabète est un facteur de risque indépendant d’insuffisance cardiaque, augmentant, par rapport aux sujets non diabétiques, son incidence de 2,4 fois chez l’homme et de 5 fois chez la femme, relation persistante après ajustement sur l’âge, la présence d’une hypertension artérielle, d’une obésité, d’une dyslipidémie et d’une coronaropathie. Ces données ont depuis été confirmées par plusieurs larges études épidémiologiques.
Un facteur de risque indépendant
Dans l’étude « Kaiser Permanent Northwest Cohort », l’incidence de l’insuffisance cardiaque est multipliée par 2,5 chez les diabétiques. Dans la « Reykjavik Study », le risque d’insuffisance cardiaque est multiplié par 2,8 par le diabète et 1,7 par l’intolérance au glucose. Dans la « Cardiovascular Health Study », ayant inclus 5 888 sujets de plus de 65 ans suivis en moyenne 5,5 ans, le risque attribuable au diabète comme facteur de risque indépendant de la survenue d’une insuffisance cardiaque est de 8,3 %. Dans la « Strong Heart Study », ayant inclus 2 740 sujets, après ajustement pour de multiples cofacteurs (âge, sexe, obésité…) l’existence d’un diabète multiplie par 1,5 le risque d’insuffisance cardiaque, suggérant le rôle d’une atteinte myocardique spécifique par le diabète. Le risque d’insuffisance cardiaque chez le diabétique est corrélé avec l’HbA1c, une variation de 1 % du taux de l’HbA1c étant associée à une modification de 16 % du risque d’insuffisance cardiaque.
De multiples mécanismes
Les mécanismes conduisant à l’insuffisance cardiaque au cours du diabète sont nombreux. La maladie coronaire demeure la principale cause de dysfonction ventriculaire gauche chez les diabétiques. La macro-angiopathie diabétique, à l’origine de lésions athéromateuses diffuses, source d’ischémie et de nécrose myocardique, est un élément essentiel dans l’apparition d’une altération de la fonction systolique. Une atteinte microvasculaire, marquée par un épaississement de la membrane basale, une raréfaction microvasculaire et une dysfonction endothéliale, est responsable d’une diminution du flux de réserve coronaire. L’hypertension artérielle du fait de sa forte prévalence au cours du diabète joue un rôle important, à l’origine d’un remodelage puis d’une hypertrophie ventriculaire gauche concentrique, générant une dysfonction diastolique. La néphropathie diabétique en induisant une hypervolémie participe à la genèse de l’insuffisance cardiaque. Une atteinte myocardique directe par le diabète, appelée myocardiopathie diabétique, est également en cause. Sa définition, apparition d’une dysfonction ventriculaire gauche chez un patient diabétique en l’absence d’une coronaropathie, d’une cardiopathie hypertensive ou de toute autre étiologie d’insuffisance cardiaque connue, est plus théorique que pratique, les mécanismes conduisant à l’insuffisance cardiaque étant le plus souvent intriqués au cours du diabète. Ses causes sont multiples, dominées par les phénomènes de glucotoxicité et de lipotoxicité ainsi que de la dysfonction mitochondriale. La glycation des protéines, fixation non enzymatique du glucose sur les protéines, peut entraîner des modifications structurelles et fonctionnelles des protéines myocardiques, notamment de celles impliquées dans le couplage excitation-contraction, à l’origine d’une réduction des transitoires calciques et de la force de contraction des sarcomères. Elle est de plus à l’origine de la formation de produits terminaux de la glycation avancée qui peuvent activer les réponses inflammatoires. L’augmentation des acides gras circulants ainsi que leur utilisation et de leur oxydation au niveau myocardique peut être responsable d’une surcharge lipidique du myocarde, véritable stéatose myocardique, et d’un phénomène de lipotoxicité. Une dysfonction mitochondriale, favorisée par l’augmentation de l’apolipoprotéine O, a été retrouvée. Un état inflammatoire chronique de bas grade, une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone et la neuropathie diabétique interviennent également. L’ensemble de ces mécanismes est à l’origine d’une augmentation de la mort cellulaire par apoptose et nécrose des cardiomyocytes et du développement de dépôts de collagène responsable d’une fibrose interstitielle.
Des modifications précoces
Tant morphologiques que fonctionnelles, des modifications peuvent être mises en évidence précocement chez les sujets diabétiques symptomatiques. Un remodelage ou une hypertrophie concentrique ventriculaire gauche sont observés au cours du diabète, l’augmentation de la masse myocardique étant indépendante de la pression artérielle, de l’index de masse corporelle, de l’âge et de la maladie coronaire. Grâce à des techniques de caractérisation tissulaire, une augmentation du contenu en triglycérides du myocarde et une fibrose myocardique ont pu être observées. Une dysfonction diastolique est retrouvée chez 50 % des diabétiques. Bien que peu spécifique, puisqu’influencée par de nombreux cofacteurs tels que l’âge, l’obésité et l’hypertension artérielle, elle possède une valeur pronostique, un rapport E/e’ > 15 multipliant par 2,2 le risque de développer une insuffisance cardiaque. Une dysfonction systolique est mise en évidence chez environ 25 % des diabétiques par les techniques d’imagerie de quantification de la déformation myocardique. Cette prévalence élevée des dysfonctions myocardiques explique que les patients diabétiques puissent développer une insuffisance cardiaque à l’occasion d’une rétention hydrosodée modérée favorisée par la néphropathie ou d’une altération surajoutée de la dysfonction cardiaque induite par un évènement coronarien aigu.
Vers de nouvelles stratégies de prévention
L’identification précoce des diabétiques à haut risque de développer une insuffisance cardiaque grâce à l’utilisation des peptides natriurétiques de type B pourrait permettre de mettre en place des stratégies de prévention. Dans une étude réalisée à Vienne, une valeur de NT-proBNP > 125 pg/ml identifie les diabétiques à haut risque de décès ou d’hospitalisation pour cause cardio-vasculaire après un an de suivi. Au cours de l’essai PONTIAC, un traitement par IEC ou ARA2 titrés associés aux bêtabloquants chez des diabétiques sans antécédent de maladie cardiaque présentant un NT-proBNP > 125 pg/ml diminue de 69 % le risque de décès ou d’hospitalisation pour cause cardiaque versus un groupe contrôle non traité après un suivi de deux ans. Un dépistage en deux étapes du remodelage et/ou de la dysfonction ventriculaire gauche des patients diabétiques pourrait être proposé : la première biologique par un dosage des peptides natriurétiques, un taux de NT-proBNP ≤ 125 pg/ml arrêtant les investigations ; la deuxième étape échocardiographique, réservée aux diabétiques dont le taux de NT-proBNP est > 125 pg/ml, aboutissant à la mise en route d’un traitement par un bloqueur du système rénine-angiotensine en cas d’anomalies morphologiques ou fonctionnelles. Quant à la place des marqueurs de remodelage, comme le sST2, ou de fibrose, telle la galectine-3, elle devra être précisée par de futurs travaux.
Cette identification pourrait de plus guider le traitement hypoglycémiant dont les effets sur le risque de développer une insuffisance cardiaque sont très hétérogènes. Certains ont des effets négatifs comme les glitazones par un mécanisme de rétention hydrosodée, d’autres ont un effet positif comme l’empagligflozine, un inhibiteur SGLT2, qui du fait de ses propriétés diurétiques diminue de 39 % le risque de décès ou d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque au cours de l’essai EMPA-REG OUTCOME.
Cardiologues et diabétologues doivent donc poursuivre leur collaboration en l’élargissant à la pathologie myocardique pour mieux prévenir le risque d’insuffisance cardiaque.
Fédération de cardiologie,UMR UT3 CNRS 5288, université Paul Sabatier-Toulouse III, faculté de Médecine (Toulouse)
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