Chez ce patient de 52 ans, originaire de la Côte d’Ivoire, les symptômes débutent en septembre 2016, par des gonalgies inflammatoires avec épanchements puis secondairement, l’apparition d’une polyarthrite périphérique distale symétrique fortement active (DAS 28 CRP à 5,83) dans le cadre d’une altération de l’état général (AEG) sévère et d’une dysphagie associée à des lésions cutanées atypiques serpigineuses, érythémato-prurigineuses d’évolution rapide au tronc et au dos, épargnant la face (voir photos).
Le bilan biologique met en évidence un syndrome inflammatoire biologique avec une hyperleucocytose à 38 000 leucocytes et une CRP à 120 mg/l.
Le patient est orienté initialement en médecine interne pour exploration de cette AEG conduisant à la découverte d’un carcinome épidermoïde œsophagien. La réunion de concertation pluridisciplinaire conclut à la réalisation d’une chimiothérapie (Cisplastine et 5 Fluoro-Uracile) sans prise en charge chirurgicale contre-indiquée devant l’atteinte ganglionnaire métastatique lombo-aortique.
Bilan infectieux et immunologique négatif
Par la suite, le patient nous est adressé pour exploration de cette polyarthrite périphérique conduisant à la réalisation d’un bilan immunologique et infectieux qui s’avère négatif (FR/anticorps anti-CCP/FAN/anticorps anti-ADN/sérologies VIH, VHB, VHC), d’une ponction articulaire des deux genoux montrant un liquide inflammatoire biologique aseptique sans microcristaux et d’un bilan radiologique sans lésions apparentes.
Dans ce contexte, le diagnostic de polyarthrite paranéoplasique est posé, qui conduit à la réalisation d’un traitement de bolus de Solumédrol en intraveineuse de 120 mg avec relais per os des corticoïdes, associé à des infiltrations d’Hexatrione dans les deux genoux et l’introduction d’un traitement immunosuppresseur (Méthotrexate en sous-cutanée) permettant un résultat fonctionnel excellent.
D’autre part, nous demandons un avis dermatologique qui nous confirme l’existence d’un 2e syndrome paranéoplasique cutané de type érythéma gyratum repens. Ce dernier est en voie de guérison à la suite du traitement étiologique du cancer œsophagien. Ce qui explique le résultat de la biopsie cutanée (cicatrice superficielle réépithialisée avec augmentation des mastocytes).
Une physiopathologie obscure
Le syndrome paranéoplasique (SNP) est un ensemble de manifestations cliniques et/ou d’anomalies biologiques associées à certains cancers (non liés à l’envahissement tumoral local ou métastatique).
La physiopathologie de ce syndrome reste une entité encore obscure mais deux mécanismes sont suggérés. Le premier est lié à un effet direct de médiateurs autocrines ou paracrines tels que cytokines pro-inflammatoires, peptides hormonaux et facteurs de croissance, générant un processus inflammatoire dans les tissus cibles. Le second suggère une réaction d’hypersensibilité soit par réaction croisée d’antigènes communs à la tumeur et aux tissus cibles soit par libération d’antigènes intracellulaires à partir des cellules tumorales apoptotiques. Il en résulte la production d’auto-anticorps contre les antigènes tissulaires entraînant le SNP (1).
Le pourcentage de ces manifestations reste difficile à estimer mais selon différentes sources, celui-ci varie entre 8 et 15 %, principalement sur une néoplasie pulmonaire, mammaire et digestive (2).
Il existe de nombreux SNP rhumatismaux et systémiques pouvant se classer en atteintes articulaires, neuromusculaires, cutanées, vasculaires et diverses dont l’exemple historique est l’ostéoarthropathie hypertrophiante pneumique de Pierre Marie (3). Chez notre patient, deux syndromes paranéoplasiques se sont révélés en concomitance.
Le premier est l’érythéma gyratum repens, décrit pour la première fois par Gammel en 1952 (4), qui révèle une origine néoplasique dans 80 % des cas dont les plus fréquents restent l’atteinte pulmonaire (33 %), œsophagienne (8 %), mammaire (6 %) et autres (6 %). De rares cas d’EGR-like associés à un lupus, CREST-syndrome, syndrome de Sjögren, dermatose bulleuse, tuberculose pulmonaire, psoriasis, grossesse ont été décrits, même également chez des sujets sains (5-8).
Généralement, il précède la découverte du cancer avec un temps de latence de 1 mois à 2 ans, d’où la nécessité de réaliser une surveillance au long cours. Les hommes sont le plus souvent touchés avec un sex-ratio de 2 : 1, de préférence caucasiens, d’une moyenne d’âge avoisinant les 60 ans. Le diagnostic reste avant tout clinique avec des lésions annulaires érythémateuses, prurigineuses, disposées en bandes concentriques, serpigineuses, bordées par une collerette desquamative, très évolutives (1 cm/jour), siégeant au tronc et à la racine des membres.
Le second SNP de ce patient est un rhumatisme inflammatoire paranéoplasique de type polyarthrite isolée. Il s’agit d’une situation rare, où l’argument le plus important pour relier cette polyarthrite à un cancer est la relation temporelle et, a fortiori, la disparition de ce dernier lorsque le patient est guéri de son cancer (9, 10) [voir « critères d'aide au diagnostic » ci-dessous].
Les SNP sont un groupe d’affections associées à des tumeurs majoritairement malignes indépendamment de leur siège et de leur taille. Via une stratégie adéquate utilisant des explorations paracliniques, ils permettent de faire le diagnostic du cancer. Le traitement de la néoplasie sous-jacente aboutit généralement à la régression de ce syndrome. Néanmoins ce traitement antitumoral n’est pas toujours suffisant, d’où la nécessité de l’associer à un traitement symptomatique, et éventuellement, immunologique ou à visée osseuse.
Critères d’aide au diagnostic de polyarthrite paranéoplasique
- Âge > 50 ans
- Délai moyen entre l’arthrite et le diagnostic de cancer < 6 mois
- Polyarthrite (symétrique ou asymétrique)
- Faible réponse aux corticoïdes
- Altération de l’état général
- Absence de nodule rhumatoïde
- Élévation de la CRP
- Absence d’érosion radiographique
- Régression de l’arthrite après un traitement antitumoral
Hôpital Lariboisière , Paris.[
(1) Manger B et al Nat Rev Rheumatol 2014;10(11):662-70
(2) Yeung S.C. et al. Curr Opin Pulm Med 2011 ; 17 (4) : 260-268
(3) Hochedez P et al. Ann Dermatol Venereol 2001;28:244–6
(4) Gammel JA. et al. Arch Derm Syphilol 1952;66:494-505
(5) Kreft B. Eur J Dermatol 2007;17:79–82.
(6) Hochedez P et al. Ann Dermatol Venereol 2001;28:244–6.
(7) Martinez C et al. Rev Med Interne 2012;33(Suppl. 2):A99–100.
(8) Rongioletti F et al. J Eur Acad Dermatol Venereol 2014;28:112–5
(9) Masson C et al. Oncologie 2009;11(1):37-42
(10) Ghozlani I et al. Rev Mar Rhum 2016;35:22-8
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