PAR LES Drs THIERRY LEFEVRE* ET YVES LOUVARD*
JUSQU’A RECEMMENT, l’angioplastie des occlusions coronaires chroniques (CTO) était considérée, dans notre pratique quotidienne, comme inutile, difficile, coûteuse, voire dangereuse. Ces lésions coronaires étant par définition stables, les options thérapeutiques étaient très mesurées (1). Ainsi, les CTO monotronculaires, même à fonction ventriculaire gauche normale et ischémie documentée, sont longtemps restées du ressort du traitement médical tandis que les lésions tritronculaires avec une CTO, même à niveau de complexité faible, voire les CTO isolées de l’interventriculaire antérieure, étaient généralement orientées d’emblée vers une chirurgie de pontage. Ces lésions sont fréquentes : parmi les patients chez qui on suspecte une cardiopathie ischémique et ayant une coronarographie, la fréquence des CTO est de l’ordre de 20 à 30 %, et augmente avec l’âge.
Des arguments solides mais indirects.
Nous ne disposons pour l’instant que d’arguments indirects en faveur de la revascularisation des CTO. Ils sont solides mais restent controversés en l’absence d’études randomisées. La première étude randomisée, proposée par l’Euro CTO Club, est en cours. Les études observationnelles chirurgicales (2) ont montré qu’une revascularisation complète était associée à un meilleur devenir des patients et que, notamment, la présence d’une CTO non revascularisée était associée à un taux d’événements cardiaques majeurs plus élevés. Claessen (3) a montré que les principaux facteurs associés à la mortalité à 5 ans après un infarctus du myocarde étaient la présence d’un choc cardiogénique, l’échec d’angioplastie et, en troisième position, la présence d’une CTO associée, qui multiplie par quatre le risque la mortalité. Les études observationnelles comparant le devenir des patients après succès ou échec de la désobstruction coronaire par angioplastie sont très nombreuses, ont fait l’objet de multiples métaanalyses et vont toutes dans la même direction (4-6) : amélioration de la qualité de vie, de l’angor, de l’ischémie, de la fonction ventriculaire gauche, du risque rythmique, de la nécessité d’un pontage ultérieur et, surtout, de la mortalité.
L’intérêt potentiel de traiter les CTO par angioplastie pourrait être contrebalancé par un risque excessif lié à la procédure, un taux de succès trop faible ou un risque de resténose ou de thrombose élevé. Cependant, l’accumulation des connaissances et de l’expérience dans des centres dédiés de plus en plus nombreux en France et le « compagnonnage » avec nos amis japonais, et plus récemment européens, a permis d’améliorer la sécurité et le taux de succès de ces procédures, tandis que les stents actifs ont réduit de manière spectaculaire le risque de resténose et de réocclusion.
Aujourd’hui, une tentative de désobstruction peut être proposée pour traiter des symptômes et améliorer la qualité de vie, la fonction ventriculaire gauche d’un myocarde hybernant et, potentiellement, le pronostic à long terme. Cela implique l’existence d‘une viabilité myocardique dans le territoire concerné et la présence d’une ischémie myocardique (présente dans plus de 94 % des cas [4]). La viabilité peut être attestée par l’absence d’ondes Q à l’ECG, une cinétique préservée du territoire considéré sur l’échographie, la ventriculographie ou l’IRM, et l’ischémie (dont on connaît bien la valeur pronostique depuis l’étude COURAGE) par la scintigraphie, l’échographie de stress ou d’effort ou l’IRM, qui semble être aujourd’hui l’examen le plus précis. Dans tous les cas, la désobstruction doit être discutée seulement s’il existe une ischémie documentée sur plus de deux à quatre segments et/ou une viabilité de plus de 25 à 50 % du territoire considéré.
Les chances de succès et les risques de la procédure doivent être soigneusement évalués par rapport aux bénéfices attendus en fonction de l’expérience des équipes.
Approche antérograde ou rétrograde ?
Il est indispensable de disposer d’une coronarographie de très bonne qualité avant de définir la stratégie d’angioplastie de la CTO. Plusieurs incidences doivent être acquises avec des injections longues afin de visualiser l’artère occluse, son lit d’aval et le réseau collatéral. Il est fondamental d’analyser le film de façon minutieuse avant de commencer la procédure, de ne pas être limité par le temps et de requérir à l’œil attentif d’un deuxième opérateur. Dans certain cas, le scanner peut se révéler utile pour visualiser notamment le trajet de l’occlusion. Lors de l’angioplastie, une injection bilatérale est souvent la seule manière de connaître la longueur de la lésion (souvent plus courte que prévue) et de visualiser la progression pas à pas du guide en bonne position dans le lit d’aval.
L’approche antérograde est la voie « par défaut ». De nombreuses astuces sont venues progressivement parfaire cette technique (guides effilés adaptés au cheminement dans les microcanaux, utilisation quasi systématique des microcathéters permettant de mieux contrôler la partie distale du guide, utilisation de guides « en parallèle » (lorsque le premier guide est positionné en fausse lumière…), guides 0,014 dédiés CTO à force de pénétration élevée, techniques de réentrée (avec ou sans matériel dédié), pénétration guidée par l’échographie endocoronaire en cas de « moignon » non visible…
L’approche rétrograde, du fait de sa complexité, est réservée aux centres experts ayant accumulé une grande expérience de la voie antérograde. Elle consiste à aborder l’occlusion chronique par la partie distale, généralement moins dure que la proximale en passant le plus souvent par les branches collatérales septales et, parfois, épicardiques, sous couvert d’une protection par un microcathéter. Le franchissement de l’occlusion peut être réalisé par voie rétrograde ou, en cas d’échec par voie antérograde avec création d’une dissection par voie rétrograde (la fameuse technique CART), ou l’inverse.
Le franchissement de l’occlusion par le guide d’angioplastie ne signifie pas toujours un succès. La prédilatation peut se révéler très difficile, voire impossible. Les techniques d’« anchoring balloon », « catheter 5F dans un 6F », Rotablator, laser, sont parfois nécessaires. Enfin, les stents doivent être actifs, correctement apposés à la paroi afin de limiter le risque de resténose ou de thrombose.
80 à 90 % de succès dans les centres dédiés.
Avec l’évolution du matériel et des techniques et l’entrainement des opérateurs et des équipes, le risque d’échec a considérablement diminué. Aujourd’hui, les chances de succès dépendent non seulement des caractéristiques de la lésion (longueur, calcifications, tortuosités, absence de cul de sac), mais aussi de l’histoire clinique (âge, antécédents de pontage ou d’infarctus) et de l’expérience de l’opérateur (opérateurs dédiés). Les taux de succès sur des lésions non sélectionnées dans les centres dédiés sont de l’ordre de 80 à 90 % avec des risques de complication comparables à ceux d’une angioplastie standard. Les perforations coronaires sont devenues très rares grâce à la visualisation précoce et systématique de la bonne position du guide. Le risque d’insuffisance rénale peut être évité en limitant la quantité de produit de contraste au strict nécessaire (idéalement moins de quatre fois en ml le chiffre de la clairance de la créatinine) et en préparant le patient de façon optimale (alcalinisation, hydratation, arrêt des médicaments néphrotoxique, etc.). L’exposition aux rayons X reste une limitation et doit suivre la régle ALARA (« As Low As Reasonably Acceptable »). Des moyens existent pour réduire les doses : avoir une machine bien réglée, travailler table haute et capteur bas, en utilisant des champs larges dès que possible, en collimatant, en évitant les incidences les plus irradiantes, avec une cadence d’images basse, en changeant d’incidence très régulièrement et en limitant les acquisitions.
* Institut Cardiovasculaire Paris Sud, hôpital Privé Jacques Cartier, Massy.
(1) Christofferson RD, Lehmann KG, Martin GV et coll. Effect of chronic total coronary occlusion on treatment strategy. Am J Cardiol 2005; 95(9):1088-91.
(2) Valenti R, Migliorini A, Signorini U et coll. Impact of complete revascularization with percutaneous coronary intervention on survival in patients with at least one chronic total occlusion. Eur Heart J 2008;29(19):2336-42.
(3) Claessen BE, van der Schaaf RJ, Verouden NJ et coll. Evaluation of the effect of a concurrent chronic total occlusion on long-term mortality and left ventricular function in patients after primary percutaneous coronary intervention. JACC Cardiovasc Interv 2009;2:1128–1134.
(4) Di Mario C, Werner GS, Sianos G, et coll. European perspective in the recanalisation of Chronic Total Occlusions (CTO): consensus document from the EuroCTO Club. EuroIntervention 2007;3:30–43.
(5) Joyal D, Afilalo J, Rinfret S. Effectiveness of recanalization of chronic total occlusions: a systematic review and meta-analysis. Am Heart J 2010;160(1):179-87.
(6) Sianos G, Werner G, Galassi A et al. Recanalisation of chronic total coronary occlusions: 2012 consensus document from the EuroCTO club. Eurointervention 2012;8(1):139-45.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024