Pour faire comprendre les enjeux de cette pathologie, la dialectique a dû évoluer : après avoir mis l’accent sur le risque de fracture, il convient à présent de mettre aussi l’accent sur le risque de dépendance. L’impact de la maladie est sous-estimé par les patients eux-mêmes et ce pour de multiples raisons : cette condition est silencieuse, elle est dissimulée et surtout elle est niée par la personne car elle possède une connotation de vieillissement que refusent d’admettre même les nonagénaires par ailleurs en bonne santé. À l’inverse de la fracture, acceptée comme un risque contrôlé par la qualité de la chirurgie orthopédique actuelle, le risque de dépendance est beaucoup moins contrôlable, et c’est de ce risque qu’il convient de convaincre la population. Il est aussi d’autres risques mal connus : cette pathologie peut mettre en jeu le pronostic vital et la qualité de vie. Les personnes plus que nonagénaires ont en général sublimé la peur de la mort mais restent effrayées par le naufrage dans la dépendance.
Les dix commandements de l’Académie
Dans son effort de conviction de la population, l’Académie insiste sur une prévention fondée sur dix principes : renforcer la supplémentation calcique ; renforcer la supplémentation vitaminique D ; pousser la pratique de l’exercice physique ; s’acharner à prévenir les chutes ; s’associer aux campagnes antitabac ; promouvoir la modération de la consommation alcoolique ; encourager le dépistage par l’ostéodensitométrie ; favoriser l’usage – lorsque nécessaire – de médicaments ; généraliser pour les chirurgiens traitant les fractures de fragilité la pratique d’une lettre d’orientation vers les collègues généralistes ou rhumatologues ; trouver avec l’assurance maladie les moyens d’un suivi systématique de l’observance de cette prévention par les patients.
Des résultats tangibles mais fragiles
Depuis la campagne tous azimuts lancée en 2008 par l’Académie, l’incidence des fractures de hanche a graduellement baissé, année après année mais marque un plateau ces deux dernières années. Les chirurgiens ne parviennent pas à établir des réseaux fiables de correspondants auprès de qui confier l’accidenté fracturé. Les raisons peuvent en être multiples : les rhumatologues sont plutôt intéressés par la pathologie rhumatismale et plus généralement les maladies auto-immunes ; les endocrinologues ne sont pas en nombre suffisant (seulement 4 500 spécialistes certifiés dans cette discipline aux États-Unis)[1].
Remobiliser les patients
Très souvent c’est le malade lui-même qui constitue l’obstacle au succès de la prise en charge… Ainsi, la non-observance des prescriptions médicamenteuses vient de la crainte des effets indésirables rares mais redoutés par les patients : nécrose mandibulaire, fractures atypiques du fémur. Dès leur jeune âge les femmes doivent être convaincues, selon les mots de l’Académie que leurs « os sont plus précieux que tous les diamants qui pourraient leur être offerts et conservés dans un coffre-fort… ». La perception culturelle doit être transformée : la fracture n’est pas qu’une parenthèse transitoire. La victime d’une fracture doit accepter d’ôter le bandeau qu’il préfère garder sur ses yeux et il est du devoir des soignants de lui restituer une vision complète.
Le rôle éducatif du soignant doit s’attacher à éliminer les idées fausses au sujet de l’ostéoporose. La première est de croire qu’elle ne constitue pas une menace vitale : c’est faux quand on sait que même aujourd’hui avec les progrès de la chirurgie, une fracture de hanche s’avère fatale une fois sur quatre à cinq. Croire que l’ostéoporose est un sujet accessoire de santé publique est également une erreur : avec plus de 20 milliards de dollars consacrés au traitement de fractures de fragilité, elles s’avèrent plus coûteuses que les AVC et/ou les accidents cardiaques. Dire que l’ostéoporose démarre à la ménopause est une autre aberration couramment propagée. Cette affection peut démarrer dès la deuxième décade de vie, de plus en plus fréquemment en raison des habitudes de sédentarité souvent cultivées dans l’adolescence.
Resensibiliser les soignants à plus de rigueur
Cela commence par une évaluation systématique du risque de fracture dans les dix ans à venir avec l’outil FRAX. Ensuite, il est important de demander quelques examens biologiques simples comprenant NFS, dosage de la vitamine D, des paramètres phosphocalciques, évaluation de la fonction rénale, dosage de la testostérone chez l’homme… L’ostéodensitométrie complète cette évaluation. Ensuite, en cas de fracture, il convient d’activer les réseaux de soignants. Le chirurgien ne peut pas compter sur l’anesthésiste pour le suivi post-fracture et doit privilégier le rhumatologue et le généraliste.
Mieux prendre en charge la fracture chez l’homme et la femme
S’il est vrai qu’une femme sur deux fera l’expérience d’une fracture ostéoporotique dans la seconde moitié de sa sixième décennie, c’est un homme sur quatre qui la fera également dans cette tranche d’âge. Dans le cas de la femme, si la densité minérale osseuse est amoindrie et que se sont produits deux tassements vertébraux, le risque de nouvelle fracture est certain et imminent. Si le risque de récidive fracturaire est moins marqué chez l’homme que chez la femme, il importe de noter que ces sujets masculins survivent moins bien dans les suites d’une fracture de hanche.
Au niveau économique, le coût des fractures aux Etats Unis dépasse la vingtaine de milliards de dollars. En globalité, il surpasse celui des accidents vasculaires cérébraux ou celui des accidents cardiaques. La dépense médicamenteuse apparaît donc économiquement fondée.
Usage des médicaments et fracture atypique
Sans amoindrir le caractère indispensable des autres mesures de prévention, l’usage des médicaments, plus particulièrement les bisphosphonates s’est installé dans la démarche thérapeutique. L’os étant le produit d’un constant remodelage équilibré permanent entre résorption osseuse et ostéoformation, les bisphosphonates sont des agents anti-résorption. La première étude de validation de ces médicaments date de 1996 (Fracture intervention trial, essai contrôlé alendronate contre placebo de prévention des fractures chez la femme ménopausée).
Le premier cas de fracture fémorale atypique sous ce traitement, est rapporté presque dix ans plus tard, en 2005. Sur des milliers de cas traités par bisphosphonates l’incidence de fractures reste faible, de 3 à 9,8 cas pour 100 000 personnes.années. Ces incidents survenant sur des patients traités par bisphosphonates de façon prolongée, il a été suggéré d’en suspendre provisoirement la prescription sur certains patients.
La topographie de la fracture atypique du fémur est particulière car elle se situe entre le petit trochanter et la région supra condylienne du fémur. Cette fracture, parfois observée chez des ostéoporotiques non traités, est toutefois fortement corrélée à un usage prolongé des bisphosphonates. Il est donc maintenant recommandé, après quelques années (3 à 5) de traitement, de proposer une interruption médicamenteuse (« drug holyday ») dont la durée reste mal définie, mais qui impose une surveillance plus rapprochée.
La fracture atypique ne doit pas être confondue avec une fracture de fatigue. Les remaniements osseux initiaux se produisent sur la corticale latérale, parfois favorisés par une morphologie modifiée du fémur du fait d’un remodelage en varus. Sa détection précoce, parfois durant la surveillance rapprochée en cas de douleur suspecte de la cuisse, peut conduire à un enclouage préventif. Cette chirurgie de précaution s’avère plus bénéfique pour le patient qu’une ostéosynthèse d’urgence imposée par la survenue d’une fracture atypique confirmée souvent déplacée et plus difficile à traiter et à consolider. L’usage du téraparatide dans les suites opératoires est souvent un appoint utile.
À défaut d’apporter des solutions thérapeutiques révolutionnaires, la conférence de l’Académie Américaine sur l’ostéoporose conserve le mérite de remotiver tous les soignants à une prise en charge renforcée d’un fléau de santé publique …qui avance masqué.
Chirurgien orthopédiste, Membre de la SoFCOT (Société Française de Chirurgie Orthopédique et traumatologique)
85e congrès de l'American society academy of orthopaedic surgeons (AAOS), 6 au 10 Mars 2018, La Nouvelle Orleans (Louisiane, Etats-Unis).
(1) En France, la situation est sensiblement différente avec une communauté rhumatologique largement formée et habituée à la prise en charge de l’ostéoporose, contrairement aux endocrinologues qui ne s’en occupent plus.
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