Dans un article provocateur paru il y a deux semaines sur le site de l’European Heart Journal (EHJ), Darrel Francis et Graham Cole de l’Imperial College London ont estimé que les recommandations européennes de 2009 préconisant un traitement par les bêtabloquants avant une chirurgie pourraient être à l’origine de 800 000 morts en Europe.
Suite à de nombreuses réactions, l’article a été retiré moins de 48 heures après sa parution. Le rédacteur en chef de l’EHJ Thomas Lüscher a expliqué dans un communiqué que l’article devait être revu par un comité éditorial. C’est une nouvelle étape dans la controverse commencée en 2012, lorsque Don Poldermans, qui a coordonné la rédaction des recommandations a été convaincu par l’université Erasmus de Rotterdam de mauvaises pratiques dans la conduite de plusieurs études, dont DECREASE IV qui a largement servi de base aux recommandations.
Des études qui doivent être refaites
« Nous sommes dans une situation où les études doivent être refaites, car les prises en charge ont beaucoup évolué la mise sur le marché des bêtabloquants, » estime le Pr Nicolas Danchin (Paris) qui mène avec la Cnam une étude sur les bénéfices des bêtabloquants après un infarctus. Selon le cardiologue, la perspective d’une opération « ne justifie pas que l’on mette le patient sous bêtabloquants ». Pour parvenir à un chiffre de 800 000 accidents potentiels, les deux cardiologues britanniques se sont appuyés sur l’étude POISE publiée en 2008 dans le Lancet. Si elle avait bien confirmé que les patients qui recevaient des bêtabloquants avant l’opération avaient moins d’attaques cardiaques, elle montrait aussi un surrisque d’AVC et de décès.
Le protocole de POISE serait discutable
La comparaison entre ces différentes études est toutefois difficile. Selon François Philippe, cardiologue interventionnel à l’Institut mutualiste Montsouris qui a participé à la rédaction des recommandations de 2009, « l’étude POISE est très défavorable aux bêtabloquants à cause de son protocole aberrant. Donner de fortes doses, de 100 à 200 mg de métoprolol, 2 à 3 heures avant la chirurgie présente un surrisque évident mais ce n’est pas comme ça que les cliniciens procèdent. Comment un comité d’éthique a-t-il pu donner son accord à une stratégie pareille ? » S’interroge-t-il.
Une titration à pas de loup
En pratique clinique, François Philippe estime en effet qu’il faut réserver les bêtabloquants aux patients coronariens avérés ou cumulant des facteurs de risque cardiovasculaires comme l’hypertension ou la consommation de tabac. Pour ces derniers, la titration doit se faire sur plusieurs semaines en fonction du pouls. De nouvelles recommandations sont en cours d’écriture, et préciseront les conditions de sélection des patients à mettre sous bêtabloquants avant un acte chirurgical.
Suspect Drug Research Blamed for Massive Death Toll. Science Vol 343, 31 janvier 2014
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