En septembre 2016 (QDM n° 9517), j'avais attiré l'attention sur le risque de commotion cérébrale couru par les rugbymen professionnels, pour l'essentiel ceux du « TOP 14 » et ceux de la « PRO D2 ». Depuis cette époque, on relève des indices d'aggravation.
Augmentation des accidents
Ce sport se caractérise par une recrudescence des accidents. Cette aggravation porte sur le nombre d'indisponibilités pour blessure : désormais, les clubs du top 14 révèlent régulièrement que leur « infirmerie » est occupée par 7, 10, 15 joueurs… Le nombre de traumatismes crâniens consécutifs à des chocs est en progression aussi : dans le championnat actuel, tous les matches ou presque se soldent par 1, 2, 3… mises à l'écart de joueurs appelés à se soumettre au « protocole commotion ». Dernier constat inquiétant, sur le nombre de décès : 4 morts au cours des 8 derniers mois ! Cette évolution catastrophique ne peut laisser personne indifférent : des médecins (des neurologues au premier chef), des dirigeants, des arbitres, des entraîneurs ont ouvertement réagi. La prise de conscience du danger s'est élargie jusqu'aux parents de très jeunes joueurs, à tel point que les adhésions ont cette année diminué de près de 10 %. Cependant, on n'a pas encore pris toute la mesure du fléau et on se satisfait trop souvent de légères modifications aux règles du jeu.
Les causes du phénomène sont multiples
La multiplication des accidents est corrélative de l'expansion du professionnalisme : l'attrait du gain explique pour une part que le jeu se soit durci et que certains joueurs s'engagent volontiers aujourd'hui dans des tentatives de démolition de l'adversaire. De telles agressions étaient beaucoup moins fréquentes à l'époque du rugby amateur et on peut affirmer que l'enjeu contribue trop souvent à polluer le jeu.
À cette cause indirecte s'ajoutent des causes plus facilement repérables. L'une tient à la recherche de compétiteurs à morphologie surdimensionnée : il n'est pas rare de rencontrer des piliers de 120, 130 voire 140 kg, des deuxièmes lignes de plus de 2 m et même des trois-quarts de 110 ou 120 kg (l'un des plus célèbres, l'ailier all-black Lomu pesait 125 kg). Les packs de 900 kg ne sont plus exceptionnels et on en viendra bientôt à 950 et, pourquoi pas, 1 000 kg ?
La préparation physique des joueurs a donné de plus en plus de place à la musculation : le renforcement musculaire quotidien est considéré comme le moyen incontournable de rendre les rugbymen plus solides, plus toniques, plus résistants aux coups. On ose espérer que l'apparition de ces carapaces ne doit rien à l'absorption de substances stimulantes mais, dans certains cas, on se prend à douter ...
L'évolution technique du jeu a fait qu'on est progressivement passé d'un face-à-face d'évitement à un face-à-face de tamponnement : on cherche moins à contourner l'adversaire qu'à le percuter le plus rudement possible (on ne parle guère aujourd'hui du fameux « cadrage-débordement »). Les lignes arrières sont rarement vues en phase de transmission du ballon en pleine course et, chez les avants, la mode est au « pick and go » (qui consiste à se saisir du ballon sous le bras et à foncer tête baissée sur l'adversaire).
La mise en condition psychique des joueurs s'apparente trop souvent à la préparation d'un combat militaire : il n'est pas rare d'entendre des entraîneurs demander à leurs joueurs de se comporter en « tueurs » (sic). On confond trop facilement combativité et agressivité, désir de gagner et volonté de détruire.
Quels remèdes envisager ?
On pense d'abord à des mesures qui pourraient être efficaces si elles n'apparaissaient pas comme peu réalistes. La différenciation des catégories de poids comme dans le judo, la lutte ou la boxe supprimerait les trop grands déséquilibres entre les gabarits mais cette répartition s'accorderait mal avec le principe de non discrimination inscrit dans la charte de la Fédération Internationale de Rugby : depuis les origines, ce sport a été considéré comme devant incorporer tous les morphotypes.
On pourrait concevoir aussi que les rugbymen de haut niveau soient sécurisés grâce au port de casques, de maillots matelassés etc. à la manière des joueurs de football américain : là encore, il ne semble pas que les instances suprêmes y soient prêtes.
Il faut donc chercher ailleurs. On pourrait commencer par appliquer le règlement actuel avec plus de rigueur : les règles visant à réprimer le jeu dangereux sont déjà en place et il faudrait sanctionner plus sévèrement. L'avertissement et la pénalité peuvent suffire pour des fautes « vénielles » mais le recours au « carton jaune » (10 minutes d'exclusion) devrait intervenir plus souvent. À un degré de plus, on peut infliger un « carton rouge » et des matches de suspension. À l'extrême, on pourrait introduire des punitions plus lourdes telles que la radiation et, peut-être, puisqu'il s'agit de joueurs professionnels, des sanctions financières. Les principales atteintes au jeu dangereux ont été identifiées (placage haut, placage à retardement, placage dit "cathédrale") et les arbitres les repèrent facilement (d'autant qu'ils peuvent avoir recours au « replay » vidéo) mais ils s'interdisent parfois de prendre des décisions radicales. Autre prescription à respecter en dehors du terrain : le contrôle anti-dopage avec l'obligation de se révéler « négatif ».
On devrait aussi appliquer des règles qui expurgeraient le jeu de certains « mauvais gestes » : réhabiliter le traditionnel placage « aux jambes » et réprimer le placage au-dessus de la ceinture. Les modalités de l'entrée dans les « rucks » (l'ancienne mêlée spontanée) devraient être revues et les percussions en bélier qui sont devenues habituelles (tête en avant) devraient être interdites.
Même si la répression a sa place, aucune sanction ne suffira à réinsuffler le bon esprit du jeu (le fair-play). C'est l'éducation sportive des entraîneurs, du public et bien sûr des joueurs qui nous conduira vers la solution.
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