« C'est l'un des rares domaines de la chirurgie où c'est le chirurgien qui a dû inventer un usage pour un outil que lui avait fourni le physicien », raconte le Pr Christophe Baudouin, chef de service au centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts (Paris). Dans le domaine de la chirurgie de l'œil, l'apparition du laser femtoseconde dans les années 2010 a marqué un tournant sur lequel est revenue l'Académie nationale de chirurgie lors d'une séance dédiée.
Son co-inventeur, le prix Nobel de physique Gérard Mourou, en explique le principe. « Dix femtosecondes, c'est le temps que met la lumière pour traverser un globule rouge, illustre-t-il. Un laser femtoseconde produit des impulsions lumineuses extrêmement brèves. L'énergie concentrée sur un temps aussi court est telle qu'elle transforme un tout petit volume en plasma avec une très grande précision. Il est même possible de régler le laser pour faire de l'ablation à l'intérieur même des tissus. »
Du temps long à la femtoseconde
Historiquement, les premières applications du laser en ophtalmologie étaient la consolidation de la rétine après un décollement ou au contraire sa destruction pour traiter une rétinopathie diabétique. Il fallait des lasers « temps long » (des impulsions de l'ordre du dixième de seconde) absorbés par la rétine. Une première évolution a consisté à réduire le ratio énergie sur temps, avec des impulsions d'une nanoseconde. « Cela fait comme un coup d'aiguille sur une peau de tambour, explique le Pr Baudouin. Un tel dispositif est utilisé pour faire un trou dans l'iris afin de soulager un glaucome aigu par fermeture de l'angle. On peut aussi le projeter sur le filtre trabéculaire afin de le faire mieux fonctionner en cas de glaucome à angle ouvert. »
En réduisant encore le temps d'impulsion à une durée de l'ordre de la picoseconde, le laser devient capable de retirer des tranches de tissus de l'ordre de 1 micron d'épaisseur. « Les premiers dispositifs de ce genre datent des années 1990 avec les lasers excimer, se souvient le Pr Jean-Pierre Rozenbaum, spécialiste de la chirurgie réfractive et membre de l'Académie de chirurgie. Ces premiers dispositifs avaient des inconvénients : la récupération était longue et il y avait une gêne socioprofessionnelle importante. Ces défauts ont été corrigés par l'arrivée du Lasik en 1995. » Cette technologie permet de découper et repousser une lamelle de cornée de 130 micromètres d'épaisseur.
Plusieurs techniques pour plusieurs types de patients
« Ces systèmes de microkératome manquaient encore de précision, remarque le Pr Rozenbaum. C'est là que les lasers femtoseconde ont changé la donne en permettant la découpe de lamelle de moins de 100 μm. Cela permet une récupération visuelle en quelques heures seulement, et l'absence de douleur. » Le laser femtoseconde peut aussi être utilisé en complément d'une chirurgie de la cataracte pour « nettoyer » l'enveloppe du cristallin qui devient opaque en cicatrisant. L'endroit frappé par un laser femtoseconde se transforme en une microcavité de gaz. « Ces microcavités peuvent être tracées selon l'axe que l'on veut, explique le Pr Baudouin. C'est comme si l'on disposait d'un bistouri de la taille d'un micron. » La précision est telle qu'elle nécessite des systèmes de tomographie optiques et de la reconstruction d'imagerie pour opérer en réalité augmentée.
Deux techniques chirurgicales ont été développées, fondées sur le laser femtoseconde : le Femtolasik (décrit plus haut) et le « Smile » (Small Incision Lenticule Extraction), qui consiste, à l'aide du femtoseconde, à réaliser un réticule à l'intérieur même de la cornée et de l'extraire à travers une petite boutonnière de 2 mm.
Le choix du recours au laser de surface (PKR) avec excimer ou à un Femtolasik, délivré plus en profondeur, dépend plus du patient que de l'indication : « Les techniques comme le Smile fragilisent davantage la mécanique cornéenne que le PKR, rappelle le Pr Rozenbaum. Les cornées déjà fragilisées et les patients à risque sont orientés vers le PKR, alors que les cornées épaisses et bien structurées seront orientées vers le Femtolasik. Les patients qui ont un risque professionnel, policiers ou militaires, ou les pratiquants de sports de combat sont aussi orientés vers le PKR. » Environ 23 millions de personnes ont été opérées à l'aide d'un laser femtoseconde.
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