L’être humain vit debout, soumis aux lois de la pesanteur et le rachis subit les contraintes liées à cette station, qui a été à l’origine de l’apparition des courbures rachidiennes sagittales caractéristiques de l’espèce. Le système musculoligamentaire joue un rôle primordial dans le maintien de l’équilibre.
La dégénérescence discale est un phénomène inéluctable qui va modifier les courbures rachidiennes du fait de la perte de hauteur du disque. Ces changements sont importants à analyser pour mieux comprendre certaines lombalgies dont l’origine mécanique confirmée est parfois mal identifiée.
Il faut différencier deux parties dans la colonne vertébrale : le pelvis (bassin) et le rachis de C7 à S1 (e rachis cervical ne sera pas abordé ici). Considéré comme la vertèbre pelvienne, le bassin a deux rôles : de socle, sur lequel s’encastre la colonne et de transmisson de la charge aux têtes fémorales, qui vont la distribuer aux membres inférieurs jusqu’au sol.
Analyse du complexe spinopelvien
• Paramètres pelviens
L’anneau pelvien rigide est caractérisé par l’angle d’incidence pelvienne (IP), intersection d’une ligne qui va du centre des têtes fémorales jusqu’au milieu du plateau sacré (elle rend compte du volume du bassin) et d’une autre, perpendiculaire au milieu du plateau sacré (elle caractérise le vecteur de transmission de la charge du rachis sus-jacent). Le PI décrit ainsi une relation entre le plateau sacré et les têtes fémorales. C’est un paramètre de morphotype individuel.
Le bassin étant susceptible de tourner autour des têtes fémorales, deux autres angles liés au PI par une relation géométrique sont utilisés pour décrire la position de celui-ci. Le Pelvis tilt (PT) ou version pelvienne est l’angle entre la verticale passant par le centre des têtes fémorales et une ligne rejoignant leur centre à celui du plateau sacré (quand le pelvis tourne en rétroversion, le PT augmente et inversement). La pente sacrée ou Sacral slope (SS) est l’angle du plateau sacré avec l’horizontale. IP = SS + PT.
• Paramètres rachidiens
La forme sagittale de la colonne vertébrale est caractérisée par une série de courbes définissant lordoses lombaire et cervicale et cyphose thoracique. La limite théorique anatomique de la lordose lombaire est définie par les vertèbres T12 et L5. Ceci ne correspond pas à la réalité mécanique car elle peut être plus ou moins longue. C’est pourquoi il est préférable de redéfinir ses points de mesure, avec le plateau de S1 en limite distale ; le point d’inflexion en limite supérieure, définie par une analyse de la forme de la colonne vertébrale sur l’axe sagittal et correspondant au changement réel de courbure de la lordose vers la cyphose ; l’apex de la lordose lombaire (point le plus antérieur de la lordose sur un rachis en position verticale).
On peut ensuite tracer, sur un mode biomécanique, les courbures du rachis avec un modèle dessinant deux arcs tangentiels d’un cercle. Le point tangentiel est localisé à l’apex et les centres de l’arc touchent la ligne horizontale dessinée de l’apex. L’arc proximal est stable autour de 15–19° en moyenne. Ceci implique que la valeur globale de la courbure lombaire est directement liée à la valeur de l’arc distal. De la même manière, on calcule l’angle de cyphose thoracique entre le point d’inflexion et le plateau de C7.
• Relation entre les paramètres pelviens et rachidiens
Dans toutes les études, il y a une forte corrélation entre SS et angle de la lordose (R = 0,86 ; p ‹ 0,001), montrée ensuite par le nouveau modèle géométrique avec deux arcs de cercle tangentiels. Approximativement, la lordose lombaire (LL) = PI + 10°.
Ainsi on comprend les relations très étroites entre les paramètres pelviens et rachidiens. Il existe un complexe spinopelvien avec comme point de jonction le plateau sacré.
L’analyse de populations asymptomatiques montre que 70 % de la lordose lombaire est située sur L4/L5/S1 chez le sujet sain. P Roussouly a réalisé une étude prospective dans une population normale asymptomatique qui a permis de définir quatre types de rachis, selon leur IP. La population générale est divisée en trois groupes : IP faible (‹ 45°), moyenne (45 à 60°) et élevée (› 60°).
L’analyse globale de l’équilibre de la colonne vertébrale impose d’inclure la cyphose thoracique supérieure. Le fil à plomb abaissé de C7 chez une personne asymptomatique équilibrée se projette juste au niveau du plateau sacré, le plus souvent à sa partie postérieure et dans tous les cas en arrière des têtes fémorales. Cette ligne verticale représente un moyen très commode d’analyser l’équilibre global du rachis.
Pour le corréler équilibre à la position du bassin, il faut y associer la SS. On définit alors un nouvel angle, spinosacral (SSA), entre le plateau sacré et la ligne reliant son centre au le milieu de C7, qui est très proche de la ligne de gravité. La valeur moyenne de SSA est de 135° +/– 8. C’est un paramètre intrinsèque d’équilibre qui est très fortement corrélé à LL (r = 0,88) et SS (r = 0,91). Cet angle est primordial car il permet d’intégrer sur une seule mesure l’analyse globale de l’équilibre du complexe spinopelvien.
Situations pathologiques
Trois situations pathologiques peuvent se présenter. Soit le patient n’a jamais été normal : c’est le cas des spondylolisthésis avec lyse isthmique qui apparaissent avant l’adolescence et ont tous un potentiel évolutif majeur d’autant plus élevé que le plateau sacré est en forme de dôme. Soit il était initialement normal et un événement intercurrent brutal (trauma, infection, tumeur…) a conduit à un changement d’organisation des vertèbres et provoqué un nouveau stress local sur un segment précis du rachis. Il va tenter de s’adapter en adaptant l’équilibre rachidien dans les limites autorisées par ses paramètres anatomiques comme l’IP. Les disques normaux et le système musculoligamentaire vont tenter de compenser le défaut en adaptant les courbures sus et sous jacentes à la zone pathologique.
Dernière situation, la plus fréquente en pratique : le patient était initialement normal et l’évolution naturelle dégénérative – avec la perte de hauteur discale liée à l’âge – a conduit à un changement de l’organisation spinopelvienne qui a provoqué un déséquilibre harmonieusement réparti. Selon Battié, la dégénérescence discale est génétique à 75 %. Des facteurs et conditions extérieures peuvent l’aggraver : surpoids, activités physiques et professionnelles contraignantes, traumatismes etc.
Outre les retentissements potentiels sur les structures neurologiques, cette perte de hauteur engendre une perte de lordose lombaire inéluctable. Il est donc important d’analyser les adaptations mécaniques de la colonne vertébrale thoracolombaire.
Toute variation des courbures rachidiennes, quelle qu’en soit la cause, devra être compensée et l’un des moyens d’y parvenir est de modifier la position du socle (SS). Or SS et IP sont liées. Par conséquent, connaissant l’IP (paramètre constant) on pourra en déduire une approximation de la forme initiale des courbures du rachis.
La rotation postérieure du bassin réduit la SS. Ce phénomène est logique car il permet de faire reculer la ligne verticale abaissée de C7, qui est fortement corrélée à la ligne de gravité. L’organisme essaie donc de rapprocher le plus possible cette ligne du plateau sacré qui est la zone d’équilibre économique. Un patient avec IP faible est moins capable de compenser par ce mécanisme, car la capacité de rétroversion du bassin est une anatomique. En cas de cyphose lombaire sévère, la flexion au niveau des genoux va encore améliorer l’inclinaison du bassin et horizontaliser le plateau sacré pour permettre le maintien de l’équilibre. Cette flexion des genoux permet aussi de dépasser la limite de rétroversion du bassin imposé par la limite d’extension des hanches.
La douleur
Dans le cadre des lombalgies, l’origine des douleurs est multiple. L’origine discale est maintenant reconnue : les phénomènes inflammatoires associés au Modic 1 sont fortement corrélés à des douleurs. De même, les phénomènes arthrosiques des facettes en génèrent.
Les pertes de courbures du rachis qui sont quasi exclusivement cyphosantes dans le plan sagittal sont responsables de phénomènes de compensation par le système musculoligamentaire. Ce mécanisme actif est efficace et justifie pleinement l’utilisation de la rééducation dans l’arsenal thérapeutique, surtout au stade initial, car le travail musculaire et de la posture permettent de trouver des attitudes de compensation économiques et donc non douloureuses. Cependant ce travail est limité par la fatigue des muscles posturaux qui ne peuvent fonctionner au-delà d’un certain seuil.
C’est dans ce cadre que l’analyse de l’équilibre rachidien global devient essentiel pour comprendre les troubles et apporter un regard neuf sur l’étiologie et les méthodes de traitement des lombalgies avec trouble de l’équilibre sagittal. Les dégénérescences discales liées à l’âge se concentrent sur les derniers disques lombaires. Or ils sont responsables de 70 % de la lordose lombaire (lire supra) : toute perte de lordose entre L4 L5 et S1 va conduire à une diminution importante de lordose globale qui va être compensée par la nécessité de rééquilibrer le rachis.
Cela n’est possible que par une augmentation de la rotation postérieure du pelvis : c’est-à-dire une horizontalisation du plateau sacré qui permet de remettre la verticale de C7 en arrière des têtes fémorales. Le rachis lombaire dégénératif va donc modifier sa forme initiale. Ainsi, si un geste chirurgical d’arthrodèse est envisagé il faudra respecter ou recréer les lordoses correspondants à l’IP, sinon on prendra un risque majeur de laisser un dos mal lordosé, ce qui engendrera un dos généralement plus plat que son état initial et donc un déséquilibre sagittal.
C’est le fameux « flat back » ou dos plat post-opératoire, qui est iatrogène parce que les paramètres rachidiens n’ont pas été rétablis. Ceci souligne l’intérêt capital d’effectuer des radiographies du rachis debout de profil avant toute chirurgie rachidienne (au minimum de D12 aux têtes fémorales) pour pouvoir mesurer ces paramètres. Il n’est plus concevable de réaliser une arthrodèse rachidienne en méconnaissant les paramètres pelviens.
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