PAR LE Pr MICHEL GALINIER*
LES PROGRES du traitement de l’insuffisance cardiaque systolique, qui ont déjà permis de diviser par deux son taux de mortalité en vingt ans, se poursuivent. La trithérapie antineurohormonale, associant un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (spironolactone ou éplérénone) aux IEC et aux bêtabloquants, est désormais indiquée chez tous les patients en stade II à IV de la NYHA n’ayant pas d’insuffisance rénale sévère avec une recommandation de classe I et de niveau. Chez les patients restant symptomatiques sous ce traitement en rythme sinusal, si la fraction d’éjection (FEVG) est ≤ 35 % et la fréquence cardiaque ≥ 70 battements par minutes (bpm), l’ivabradine est indiquée avec une recommandation de classe IIa et de niveau B. Chez les patients les plus sévèrement atteints, en insuffisance cardiaque avancée, l’assistance circulatoire doit être envisagée, soit en pont à la transplantation avec une recommandation de classe I et de niveau B, soit en destination thérapie avec une recommandation de classe IIa et de niveau B.
Diagnostic.
Le diagnostic d’insuffisance cardiaque, fondé sur la clinique, peut maintenant faire appel à deux stratégies différentes, l’une basée sur l’échocardiographie et l’autre sur les peptides natriurétiques. Ainsi, si l’échocardiographie, qui demeure l’examen clé, n’est pas disponible, une approche alternative s’appuyant sur les peptides natriurétiques peut être mise en œuvre, en utilisant des seuils différents pour les situations chroniques et aiguës. Le diagnostic d’insuffisance cardiaque est éliminé par des valeurs de BNP ou de NT-proBNP inférieures à, respectivement, 35 et 125 pg/ml chez un patient ambulatoire ayant des symptômes progressifs et inférieures à 100 et à 300 pg/ml chez un sujet présentant une dyspnée aiguë, avec une excellente valeur prédictive négative. Chez les patients dont les valeurs sont supérieures, une échocardiographie est recommandée (schéma 1).
Le diagnostic de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée ou insuffisance cardiaque diastolique, qui reste difficile, a été précisé, imposant l’existence, en dehors des symptômes et de signes d’insuffisance cardiaque, d’une FEVG ≥ 50 % sans dilatation ventriculaire gauche, et d’anomalies structurales cardiaques, hypertrophie ventriculaire gauche ou dilatation de l’oreillette gauche (› 34 ml/m²), et/ou de signe échocardiographique de dysfonction diastolique (onde e’ ‹ 9 cm/sec et/ou rapport E/e’ › 15).
Le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection altérée ou insuffisance cardiaque systolique repose dorénavant, pour les patients en stade II à IV, sur un triptyque associant IEC (ou ARA-II en cas d’intolérance), bêtabloquants et antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM), scellant la fin de l’association IEC-AR-II. La trithérapie bloquant le système rénine-angiotensine-aldostérone, IEC, ARA-II et ARM reste contre-indiquée du fait du risque d’hyperkaliémie. Ainsi, chez les patients restant symptomatiques en stade II à IV sous l’association IEC-bêtabloquants, alors que jusqu’à présent nous avions le choix entre associer un ARA-II ou un ARM, c’est maintenant ces derniers qu’il faut utiliser, leur niveau de preuve étant plus élevé, notamment sur la réduction de la mortalité. Les ARM sont ainsi indiqués avec une recommandation de classe I et de niveau A chez tous les patients en stade II à IV restant symptomatiques sous l’association IEC-bêtabloquants dont la fraction d’éjection est ≤ 35 % et étendue même à l’ensemble des patients ayant une insuffisance cardiaque systolique, à condition que leur débit de filtration glomérulaire soit ≥ 30 ml/min et que la kaliémie soit ≤ 5 mmol/l. La place des ARA-II se limite donc aux patients développant une toux sous IEC et ils doivent alors être prescrits à la dose maximale tolérée, les fortes doses s’étant révélées, comme pour les IEC, supérieures aux faibles posologies, en atteignant si possible la dose cible, par exemple 150 mg pour le losartan.
L’ivabradine.
Chez les patients restant symptomatiques sous la trithérapie antineurohormonale en rythme sinusal, dont la FEVG est ≤ 35 % et la fréquence cardiaque ≥ 70 bpm malgré une dose-maximale tolérée de bêtabloquants, l’ivabradine doit être prescrite pour diminuer la fréquence des hospitalisations pour insuffisance cardiaque avec une recommandation de classe IIa et de niveau B. L’ivabradine peut également être utilisée chez les patients en rythme sinusal ne pouvant être traités par bêtabloquants, comme les asthmatiques, ou intolérants à ces derniers, si la FEVG est ≤ 35 % et la fréquence cardiaque ≥ 70 bpm, avec une recommandation de classe IIb et de niveau C.
L’AMM européenne de l’ivabradine dans l’insuffisance cardiaque précisant qu’elle ne peut être prescrite que chez les patients dont la fréquence cardiaque est ≥ 75 bpm, car elle diminue alors la mortalité totale et cardio-vasculaire, il existe donc une différence de 5 bpm entre AMM et recommandations dont les cliniciens devront tenir compte, en connaissant la variabilité de ce paramètre. Quoi qu’il en soit, cette place prépondérante de l’ivabradine chez les patients demeurant tachycardes en rythme sinusal sonne le glas de la digoxine dans cette indication, puisqu’à la différence de l’ivabradine, elle ne diminue pas la mortalité et peut présenter des effets arythmogènes ventriculaires. De plus, chez les patients en fibrillation atriale permanente, la digoxine a également perdu du terrain, puisque selon les dernières recommandations elle ne doit être prescrite qu’en deuxième intention, après les bêtabloquants qui sont plus efficaces pour contrôler le rythme à l’effort, pour ramener la fréquence ventriculaire au-dessous de 80 bpm au repos et de 110 bpm à l’effort sous-maximal (test de marche de 6 minutes).
Stimulation multisite et assistance circulatoire.
Les indications de la stimulation multisite ont été étendues aux patients en stade II de la NYHA, ayant une FEVG ≤ 30 % et, soit une durée de QRS ≥ 130 ms en présence d’un bloc de branche gauche, soit une durée de QRS ≥ 150 ms en l’absence d’un bloc de branche gauche.
Pour les patients les plus sévèrement atteints, l’accent est mis sur l’apport de l’assistance circulatoire qui a maintenant, en plus de son indication classique en attente d’une transplantation cardiaque de classe I et de niveau B, quatre autres indications :
– en destination de thérapie pour les patients non éligibles à une transplantation cardiaque, recommandation de classe IIa et de niveau B ;
– en pont à la décision chez les patients dont le pronostic vital immédiat est en jeu pour les maintenir en vie jusqu’à ce qu’une évaluation complète permette de proposer une décision thérapeutique ;
– en pont à la candidature à une transplantation pour rendre éligible un patient temporairement contre-indiqué à cette dernière en améliorant ses fonctions vitales ;
– et, enfin, en attente d’une récupération myocardique, comme dans les myocardites aiguës.
Les candidats à l’assistance circulatoire sont ainsi les patients en insuffisance cardiaque avancée depuis plus de deux mois malgré un traitement médical et électrique optimal ayant plus d’un des critères suivants : FEVG ‹ 25 % et pic VO2 ‹ 12 ml/kg/min, avoir été hospitalisé au moins trois fois pour décompensation cardiaque dans les douze derniers mois sans facteur précipitant évident, être dépendant des inotropes intraveineux, avoir une dysfonction rénale et/ou hépatique due à un bas débit circulatoire et non à des pressions de remplissage inadéquates, altération de la fonction ventriculaire droite.
Le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée continue en revanche à marquer le pas, puisque les recommandations reconnaissent qu’aucun traitement n’a, à ce jour, démontré de bénéfice dans cette indication.
Les mesures hygiénodiététiques.
Concernant les mesures hygiéno-diététiques, si le régime sans sel reste impératif dans l’insuffisance cardiaque aiguë, il est maintenant discuté au cours de l’insuffisance cardiaque chronique, les nouvelles recommandations n’abordant pas de manière concrète ce problème pourtant crucial. Elles confirment en revanche l’intérêt d’un exercice physique d’endurance régulier pour améliorer les symptômes et les capacités fonctionnelles, recommandations de classe I et de niveau A, ainsi que d’une approche multidisciplinaire de la maladie. Quant aux adaptations du traitement grâce à une surveillance des peptides natriurétiques ou à la télésurveillance, elles doivent encore faire leurs preuves au vu des résultats divergents des essais disponibles.
Ainsi, plus que jamais, l’insuffisance cardiaque est un syndrome pour lequel les progrès sont constants du moins pour sa forme systolique.
* CHU Toulouse-Rangueil
Référence :
ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure 2012: The Task Force for the Diagnosis and Treatment of Acute and Chronic Heart Failure 2012 of the European Society of Cardiology. Developed in collaboration with the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur Heart J first published online May 19, 2012doi:10.1093/eurheartj/ehs104
Les recommandations sont disponibles sur le site de l’ESC : http://www.escardio.org
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