Le congrès européen de cardiologie (ESC, Munich, 26 au 29 août 2018) a réuni cette année près de 33 000 professionnels de santé. Les participants auraient pu être déçus du nombre d’études négatives, notamment en prévention primaire, mais elles ont le mérite de trancher au moins provisoirement certains débats.
En cardiologie, comme ailleurs la prévention a le vent en poupe. Mais le mieux est parfois l’ennemi du bien comme le montrent plusieurs études négatives présentées lors du congrès de l’european society of cardiology.
Exit l'aspirine en prévention primaire ?
Alors que la place de l’aspirine en prévention primaire fait débat depuis les années quatre-vingt, ce n’est pas une mais deux études qui viennent sinon clore le sujet, du moins d’ébranler fortement le mythe d’un bénéfice « universel ».
La première, l’étude ARRIVE, a inclus 12 546 personnes à risque cardio-vasculaire moyen (hommes d’au moins 55 ans ayant 2 à 4 facteurs de risque cardiovasculaires ou femmes de plus de 60 ans avec au moins 3 facteurs de risque, mais sans antécédent de pathologie CV ni de diabète). Ces patients ont bénéficié soit d’un traitement par aspirine 100 mg soit d’un placebo. Après 8 ans de suivi, les auteurs ne mettent pas en évidence de d’amélioration sur le critère principal d’efficacité (IDM, angor instable, AVC/AIT, décès d’origine CV) avec un taux d’évènements de 4.29 % sous aspirine vs 4.48 % sous placebo, (p = 0.60). Les hémorragies digestives, la plupart de gravité modérée étaient deux fois plus fréquentes sous aspirine (0.97 vs 0.46 %, p = 0.0007).
Pour le Pr Michael Gaziano (USA) l’absence d’impact cardiovasculaire de l’aspirine pourrait être liée en partie au faible niveau de risque de cette cohorte. Quoi qu’il en soit, « Arrive n’est pas en faveur de l’aspirine en prévention primaire chez les patients à bas risque CV, estime Ulrich Laufs (Allemagne) qui commentait l’étude. Sa prescription pourrait être discutée de façon individuelle chez des personnes à risque augmenté sans risque hémorragique et une bonne adhésion au traitement ».
Même chez le diabétique, le jeu n’en vaut pas forcément la chandelle comme le montre l’étude multicentrique anglaise Ascend menée chez 15 480 diabétiques sans pathologie cardiovasculaire avérée avec un critère principal d’efficacité identique à celui d’ARRIVE. Après 7 années de suivi, les évènements sont certes légèrement moins fréquents sous aspirine que sous placebo (8,5 % vs 9,6 %, p = 0,01) mais au prix d’un sur risque d’hémorragies majeures de 4,1 % vs 3,2 % (p = 0,003). Quant à un éventuel effet protecteur sur la survenue de cancers, l’étude Ascend ne constate pas non plus de différence entre les deux groupes mais un suivi à plus long terme est prévu.
« L’effet positif de l’aspirine est largement contrebalancé par l’augmentation du risque hémorragique, même chez les patients à haut risque CV et cela dans tous les sous-groupes » conclut Jane Armitage (Royaume-Uni). Le bénéfice clinique net n’est donc pas en faveur de la prescription clinique.
Autre enseignement négatif d'un autre bras de l’étude Ascend : la supplémentation en oméga-3, déjà remise en cause en prévention secondaire échoue à montrer son bénéfice CV en prévention primaire chez les diabétiques. Ce qui ne remet pas pour autant en cause la consommation de poissons riches en oméga3, soulignent les experts.
AOD et thrombose veineuse post-hospitalisation
Le rivaroxaban ne convainc pas non plus en prévention primaire de la thrombose veineuse post-hospitalisation. « Après hospitalisation pour pathologie aiguë, le risque thromboembolique veineux persiste plusieurs semaines après la sortie. Il est doublé dans les 21 premiers jours et associé à 5 fois plus de décès dans les 6 premières semaines » souligne Alex Spyropoulos (USA). Pour autant, l’intérêt de la poursuite de l’anticoagulation préventive après la sortie reste discuté. Les 12 109 patients de l’étude Mariner hospitalisés pour décompensation cardiaque, respiratoire, AVC, maladie infectieuse ou inflammatoire ont été randomisés pour évaluer le rivaroxaban 10 mg (7,5 mg pour un DFG entre 30 et 50) en relais du traitement par héparine (HBPM ou HNF). Les évènements du critère primaire, thrombose ou embolie veineuse symptomatique et décès lié à la thrombose à 45 jours n’étaient pas significativement diminués (0,83 % vs 1,10 % sous placebo, p = 0,136). Les hémorragies mineures étaient plus fréquentes mais sans augmentation des hémorragies majeures.
Des résultats en demi-teinte en cardiologie interventionnelle
Côté cardiologie interventionnelle, seul le TAVI tire son épingle du jeu avec des registres à 5 ans en faveur de son indication chez les patients à plus faible risque. Le registre allemand Gary montre une mortalité supérieure après TAVI (10% versus 5 %) mais qui n’est plus significative après ajustement sur l’âge. Dans le registre France-2 présenté par le Pr Martine Gilard, la mortalité reste forte (61 %) bien que le taux de complications CV diminue progressivement. Les paramètres hémodynamiques de la valve implantée se maintiennent et surtout la dégénérescence sévère est très faible (2,5 %). « En attendant les résultats d’études randomisées, ces données sont encourageantes pour l’extension des indications chez le sujet à plus faible risque mais âgé, du fait de l’incertitude sur la durabilité à très long terme ». Par contre, la réparation mitrale percutanée par MitraClip® dans les IM secondaires à l’insuffisance cardiaque ne diminue pas la mortalité ni les hospitalisations, malgré la diminution de la fuite mitrale. Rappelons que selon les recommandations européennes, le MitraClip® peut être envisagé dans l’IM primaire chez les patients inopérables et dans l’IM secondaire réfractaire au traitement médical.
Les résultats de l’étude Cabana comparant l’ablation de la FA au traitement médical par antiarythmiques ne permettent pas vraiment de conclure. L’ablation diminue de moitié les récidives de FA (pas les flutters ni la tachycardie atriale) sur les 5 ans de suivi mais sans réduire les évènements du critère composite (mortalité totale, AVC, saignements majeurs, et arrêts cardiaques). « En l’absence de données robustes sur des critères de jugements durs, l’ablation de FA doit être réservée proposée aux patients symptomatiques » affirme le Pr Jean-François Obadia (Paris).
Tout n’était cependant pas négatif dans cette version 2018 de l’ESC avec pour la première fois un traitement étiologique réduisant la mortalité par cardiopathie amyloïde, congénitale ou sénile, au pronostic très sombre. Il s'agit du tafamidis, un médicament orphelin déjà prescrit dans les neuropathies amyloïdes.
Dans les endocardites infectieuses, l’étude Poet montre qu’après stabilisation de la maladie, l’antibiothérapie IV peut être relayée par la voie orale, évitant les hospitalisations prolongées.
Enfin, l’essai Camellia pourrait faire espérer un traitement médical de l’obésité ; la lorcasérine, agoniste sélectif du récepteur de la sérotonine, qui réduit à un an le poids de 4,2 kg vs 1,4 kg sous placebo et se révèle bien tolérée chez des patients à haut risque CV, que ce soit sur le plan cardiovasculaire ou psychiatrique. Elle diminue significativement la survenue de DT2 mais échoue à réduire les FRCV comme la PA ou les lipides.
En bref...
De la ride au coeur Le nombre et la profondeur des rides du front seraient corrélées avec le risque de mortalité CV, selon une étude toulousaine.
Le bon cholestérol, pas si bon ? La relation entre morbimortalité CV et HDL dessinerait une courbe en U, avec un taux “optimal” entre 0,3 et 0,6 g/l. Au-dessus, il s’agirait d’un cholestérol dysfonctionnel défavorable à la santé CV.
Des saignements protecteurs : Dans l’étude Compass comparant chez les coronariens ou artéritiques stables l’aspirine, le rivaroxaban ou leur association, les saignements digestifs ou urinaires auraient permis de diagnostiquer respectivement 13 et 83 fois plus de cancers et à un stade plus précoce